Ce qui est en cause au fond dans le discours du Trône prononcé par Sa majesté le Roi Mohammed VI, c'est bel et bien un nouveau projet de société. Non pas un discours réformateur mais un pacte collectif, un contrat fondé sur la nécessaire paix sociale et sur la solidarité. La fête du Trône ? Plus qu'une cérémonie symbolique traduisant l'attachement de tous les Marocains, de toutes confessions et de toutes les cultures, à Sa Majesté le Roi et à la Famille royale : une communion partagée en vérité, une symbiose entre les Marocains et une Institution millénaire qui a accompagné et façonné le Maroc d'hier et d'aujourd'hui. Sans interruption et par-delà les vicissitudes de l'Histoire, rien n'a pu ébranler ni porter atteinte à ce lien organique qui fait du Royaume cette exception à nulle autre pareille dans l'aire culturelle arabo-musulmane. C'est que la Monarchie, telle qu'elle est en elle-même, est restée la forme privilégiée et exemplaire du statut du pouvoir dans notre pays. Elle n'a pas été imposée ; bien au contraire, elle a été un vecteur central structurant de la Nation marocaine. Et si elle est pérenne, ce n'est ni par on ne sait trop quelles circonstances fortuites de l'Histoire ni par suite des contraintes et des ressorts d'une culture traditionnelle d'obéissance. Non, assurément, parce qu'elle a, suivant des épisodes historiques différenciés, assumé la plénitude du «cahier des charges» qui était le sien et qu'elle a su fixer le cap- la «feuille de route» comme l'on dit aujourd'hui… Les Sultans, les Rois, ont eu de tout temps une claire vision de leur mission. Chacun à sa manière et suivant son style propre ; tous ont œuvré sans relâche pour la préservation de l'essentiel national à savoir l'intégrité territoriale, l'unité de la Patrie, le développement économique et le progrès social, sans oublier le « rang » du Maroc dans le concert des Nations. Faut-il se demander de nouveau si le peuple marocain a une appréhension conséquente de cette chance et de ce capital que constitue la Monarchie ? Doit-on l'inviter le cas échéant à regarder autour de lui pour qu'il mesure, dans toutes leurs conséquences, le coût politique d'autres régimes confrontés aux démons de la division et de la violence. C'est que la Monarchie marocaine qui est la nôtre a réglé depuis des siècles un principe de légitimité consensuel. Mais elle ne limite pas à ce seul aspect tant il est vrai qu'elle doit également être à l'avant-garde des aspirations les plus profondes et les plus authentiques de la nation. Voici un demi-siècle, c'était feu SM Mohammed V qui a été, au terme de tant d'épreuves, le libérateur du Royaume. Voici trois décennies c'était son digne successeur, feu SM Hassan II, qui a galvanisé les énergies nationales pour l'unification du Royaume et pour l'édification d'un Etat moderne. Aujourd'hui, on le voit tous les jours, c'est SM Mohammed VI qui s'est engagé résolument dans un vaste projet de société fondé sur la démocratie, le pluralisme, les libertés, la modernité ainsi que sur la justice sociale et la solidarité nationale. Dans tous ces cheminements historiques de la seconde moitié du Xxème siècle et du début de ce millénaire, une trame éclaire toutes ces séquences: celle du patriotisme. Et le discours du Trône de SM Mohammed VI, vendredi dernier, prend à mes yeux tout son relief. Plus qu'un bilan comme c'était traditionnellement l'usage, mais une vision stimulante et mobilisatrice. Par-delà l'intendance et les contingences de l'année écoulée pourrait-on dire ce discours a été l'expression achevée d'une forme de transcendance politique. Le Souverain ne s'est pas limité à des axes de travail mais il a tenu à les mettre en perspective dans une démarche globale articulée autour d'un certain nombre de priorités. Solidarité, développement, modernité, préservation de l'intégrité territoriale et mise à niveau incontournable de certaines formes d'actions liées aux partis politiques: voilà, entre autres, les composantes du «noyau lourd» du Maroc de demain désormais à l'ordre du jour. Cette méthodologie porte un nom: le «coaching» royal. De quoi s'agit-il ? D'un nouveau souffle devant dynamiser l'idéal démocratique et la modernisation qui doit l'accompagner. De quoi interpeller et secouer les partis instamment invités à « remplir pleinement leur mission de représentation et d'encadrement des citoyens». De quoi contribuer à terme à réhabiliter l'action politique et renforcer les partis qui se déploient dans ce champ-là. Fini donc le temps du clientélisme, du clanisme, voire du népotisme ; fini aussi celui de gestions de carrières et d'intérêts politiciens tournant le dos aux besoins et aux aspirations des citoyens et qui, en dernière analyse, conduisent à la dépolitisation et constituent le terreau favorable à la culture de l'intolérance et de l'extrémisme. De ce point de vue, si les élections de 2002/2003 ont été ce qu'elles ont été, S.M. le Roi Mohammed VI entend que sur les bases qu'il a fixées, les partis politiques soient au rendez-vous des prochaines échéances électorales de 2007. Pareille avancée ne peut évidemment se réaliser comme prévu que si le paysage médiatique national opère lui aussi sa mise à niveau. Professionnalisme, modernisation des entreprises de presse, respect des principes de la déontologie : voilà les axes de la grande réforme qui sera mise en chantier dans ce domaine. Ce qui est en cause au fond, c'est bel et bien un nouveau projet de société. Non pas un discours réformateur mais un pacte collectif, un contrat fondé sur la nécessaire paix sociale et sur la solidarité. Ce contrat-là ne sera pas imposé «par le haut» mais il devra être, au contraire, l'expression finalisée de concertations et d'accords liant le gouvernement et les partenaires économiques et sociaux. Les grandes réformes à entreprendre requièrent donc l'implication de tous les citoyens et de toutes les forces vives. Elles ne pouront être couronnées de succès que si elles sont ardemment soutenues par une nouvelle culture citoyenne. Notre destin est commun et tous, là où nous sommes, nous avons intérêt à nous imprégner fortement de cette exigence. Voilà qui repose au premier plan la nécessité d'“une bonne formation fondée sur une foi tolérante, une culture ouverte et une éducation saine » et qui impose que l'on consacre “les cinq années qui restent à rattraper tout retard enregistré dans la réforme vitale” du système éducatif. Enfin, le Souverain n'a pas manqué de cadrer de nouveau le statut du religieux dans le Royaume à l'heure où ce débat est amorcé ici et là de manière tronquée et réductrice. Il a fermement souligné l'impératif d'une “nette séparation entre le religieux et le politique eu égard à la sacralité des dogmes véhiculés par la religion et qui doivent être à l'abri de toute discorde ou dissension”. Dans cette même ligne, il s'est élevé contre “ toute instrumentalisation de la religion à des fins politiques”. “Sous la Monarchie constitutionnelle marocaine, a-t-il conclu sur ce chapitre, religion et politique ne sont réunies qu'au niveau de la personne du Roi,Commandeur des croyants”. Au total, S.M. Mohammed VI impulse, recadre, fixe le cap, s'attache au suivi des chantiers lancés et garde la haute main tant sur le vécu quotidien des Marocains qu'il entend améliorer que sur les perspectives retenues à terme. C'est assurément un grand bond qualitatif qui vient d'être réalisé avec un retour insistant sur le projet de société qui doit, tous, nous mobiliser. A nous d'être à la hauteur de ce grand dessein du nouveau règne! A nous de montrer que nous sommes dignes d'avoir comme Guide suprême Sa Majesté Mohammed VI, le Roi transcendant. • Par Abdelhadi Alami Membre du bureau politique du RNI