Le public des jeunes reste la meilleure réussite du festival gnaoua d'Essaouira. Les journalistes étrangers présents sur place, et d'autres personnes, l'attestent. Le festival gnaoua d'Essaouira est d'abord une affaire de public. Un public jeune venu de toutes les villes du Royaume. Un public qui a consenti à des efforts immenses pour ne pas rater le rendez-vous avec Essaouira. Le trajet jusqu'à cette ville n'est pas une mince affaire. Le car reste le moyen de locomotion le plus utilisé par les jeunes. Ces derniers se sont donc investis, ont pris sur eux-mêmes pour participer à la fête. Ils se comptent par milliers. Difficile d'avancer un chiffre. Dans l'édition de l'année dernière, ils étaient près de 200 000. Mais ce qu'il y a de sûr, c'est qu'une foule compacte a rempli, samedi, non seulement les espaces devant la scène, mais également les rues de la médina. Une étrange complicité soude ce public. Les jeunes se réclament tous de l'esprit du festival. Des groupes de personnes se tiennent par la taille, en chaîne, pour ne pas se perdre dans la foule. D'autres ont pris place sur la place Moulay Hassan dès leur arrivée. Ils ont étendu des serviettes sur le sol, se sont appuyés contre leurs sacs à dos. On reconnaît ceux qui sont à Essaouira depuis le début du festival à leur teint hâlé. Ils ont le nez rougi par le soleil, parce qu'ils restent, pendant des heures, assis devant la scène, avant le commencement des concerts. Ils portent des foulards autour de la tête – un peu à la manière des Marocains qui vivent dans les provinces du Sud. Certains sont équipés de tam-tam et de taârijas, histoire de prendre leur mal en patience avant le début des concerts. Hassan, un jeune de la ville d'Agadir, est venu avec une tente qu'il dresse très tard la nuit sur la plage. Il insiste sur les vertus cathartiques de la musique gnaouie: «Je suis habité. J'attends tous les ans ce festival pour libérer les forces qui dorment en moi ». La façon dont il les libère est à l'unisson de celles des autres jeunes. Ils dansent en secouant la tête d'une façon endiablée, tapent tous des mains. Aucun concertiste ne peut rêver avoir un public aussi chaleureux, aussi enthousiaste que celui-là. Les journalistes étrangers -très nombreux- qui couvrent le festival ne cachent pas leur admiration pour ce public. Daniel Brown, journaliste producteur à RFI, nous a dit : «c'est l'énergie très forte qui se dégage de ce festival qui me touche en premier lieu. Il y a aussi un vrai plaisir partagé par les jeunes que je vois dans les rues. Je suis également sensible à l'esprit démocratique de cette manifestation. La gratuité des concerts fait en sorte que personne n'est exclue de la fête». Stéphane Godin, journaliste au quotidien français «L'Humanité», lui emboîte le pas : «Essaouira est sens dessus dessous, envahie par la foule. C'est la liesse populaire dans toute sa splendeur. C'est magnifique !» Avec ce public, on se rend compte que quelque chose à la fois de beau et de vulnérable est en train de se passer au Maroc. Vulnérable, parce que cette liesse, cette fête des jeunes ne fait pas plaisir à tout le monde. Des voix rétrogrades, des ennemis de la liberté, se sont déjà élevés pour crier contre la permissivité de ce festival. Cet événement constitue pourtant un sanglant démenti à ces voix. L'air de fête qu'il communique est si indicible qu'il défie les mots. D'ailleurs, rien n'est hyperbolique pour décrire l'ambiance de ce festival. Pour Atika Sermouh, journaliste à la radio de la RTM qui a fait la présentation des artistes, «j'ai envie de dire à mes auditeurs: il faut le voir pour le croire». Leïla Lebbar, l'un des membres de l'équipe de A3 Communication qui organise l'événement, invoque quant à elle le titre d'une pièce de Shakespeare pour décrire l'esprit de la manifestation : «C'est un songe éveillé. Le songe d'une nuit d'été».