Les autorités de la province de Taounate mènent, depuis plusieurs semaines, une vaste campagne contre la culture de cannabis. Elles mettent le feu à plusieurs champs incriminés. Les cultivateurs de cette fleur du mal sont en colère. Selon une source informée, le gouvernement prépare une nouvelle approche dans la lutte contre cette culture. Il s'agit d'un projet qui se caractérise par l'abandon de la fameuse stratégie des "cultures alternatives" au profit du "revenu alternatif". Pour la quatrième année de suite, les autorités de Taounate ont entrepris de lancer une vaste campagne pour brûler des champs de cannabis. Débutée il y a déjà quelques semaines, cette campagne est toujours d'actualité. Quotidiennement, les forces de l'ordre (gendarmes, forces auxiliaires…), coiffées brûlent des dizaines de champs. Au grand dam des agriculteurs. L'efficacité de cette campagne est loin d'être prouvée. En fait, elle est sévèrement critiquée par les citoyens, et ce pour deux raisons principales. Tout d'abord, elle est limitée, exclusivement, à la province de Taounate. Pourtant, cette dernière ne représente que 20% de la production totale de cannabis, soit 10.000 tonnes par an. C'est du moins ce qui ressort du rapport réalisé, en 2003, par l'Agence du Nord, en partenariat avec plusieurs autres organismes marocains et internationaux, sur la culture du cannabis au Maroc. Les 80% restant de la production du produit non traité sont produits dans les provinces de Chefchaouen (43%), d'Al Hoceïma (25%), de Larache (7%) et de Tétouan (4%). Même chose pour la superficie des cultures de cannabis. A Taounate, cette superficie ne dépasse guère les 20%, soit 27.000 hectares environ. Pourquoi avoir "ciblé" les villages de Taounate et pas les autres? Une question que se posent aussi bien les exploitants de cannabis que les notables de la région. “Serait-ce par ce que les autres régions sont beaucoup plus sensibles et insoumises que Taounate”, s'interroge un homme en colère. En tout cas, selon les habitants, cette opération manque de méthodologie. La deuxième anomalie dans cette campagne concerne le caractère aléatoire, voire anarchique, du choix des champs à brûler. En effet, les autorités n'ont pas établi de critères clairs. "Ils procèdent à la tête du client", souligne un élu de la région. C'est donc la porte-ouverte à tous les abus et injustices. Critiquer cette opération coup de poing de Taounate ne veut pas dire qu'elle doit être généralisée. Au contraire. Il est clair que toutes les personnes contactées sont unanimes: la répression de la culture du cannabis n'est absolument pas une solution à ce fléau. "En médecine, pour combattre un mal, il faut user d'un remède aussi fort, sinon plus que le microbe lui-même", souligne un autre élu. En brûlant un champ de cannabis, les autorités de Taounate n'ignorent pas que des dizaines de familles se trouveront dépourvues de leur ressource annuelle. Un élu communal estime que les familles touchées n'ont pas d'autre choix que de prendre leur mal en patiente et faire appel à la solidarité familiale pour pouvoir subvenir à leurs besoins l'année prochaine. Taounate, qui vit une véritable crise sociale, s'engouffre davantage. A noter que 85% de la production du cannabis est vendue brut à Taounate, donc seuls 15% de la production est donc transformée en résine. La nuance est importante car le prix de vente passe de 35 DH le kilo à 900 DH le kilo. Par ricochet, la simple culture du cannabis ne rapporte pas grand-chose aux agriculteurs. En moyenne, chaque famille exploitant le cannabis récolte un peu plus de 20.000 DH par an. En réalité, ce sont les trafiquants et les exportateurs qui raflent la mise. Aussi, dans la province de Taounate, 136.000 personnes sont directement concernées par la culture du cannabis. Le fraîchement nommé gouverneur de Taounate, Mohamed Fettal, a du pain sur la planche. Son prédécesseur lui laisse un dossier on ne peut plus compliqué. Les citoyens souhaitent que justice soit rendue et que la lutte contre la culture du cannabis s'inscrive dans une logique globale, dans une politique d'Etat qui sera élaborée par les élus, les autorités locales, l'Agence du Nord, les scientifiques, les opérateurs privés… D'un point de vue historique, les historiens s'accordent à établir l'existence de la culture du cannabis dans la région de Kétama, dans le Rif central, dès le 15ème siècle. Cette culture remonterait à l'arrivée des immigrants arabes dans la région, à partir du 7ème siècle.