Le patron de l'OMP ( Omnium marocain des pêches), Mohamed Laraki, ne décolère pas contre le ministre de tutelle Saïd Chbaâtou. Il le tient pour responsable de la grève des marins à Tan Tan, qui met sérieusement en péril l'existence de son entreprise. Aujourd'hui Le Maroc : Les marins pêcheurs ont levé depuis plus de deux semaine leur grève au port d'Agadir alors que ceux de Tan Tan poursuivent toujours leur mouvement de protestation. Pourquoi ? Mohamed Laraki : C'est une question que nous nous posons nous-mêmes. Le port de Tan Tan est en train de subir une grève que je qualifierai de sauvage lancée par le syndicat national des officiers et marins de la pêche hauturière (SNOMPH). Les autorités de cette ville y compris la préfecture et le délégué maritime, tout comme notre groupe l'OMP, n'ont jamais été au courant de l'existence d'un Syndicat des gens de la mer au sein de notre entreprise. Quand avez-vous appris l'existence que votre personnel était syndiqué ? Le 22 avril exactement par un simple fax daté du 15 du même mois qui annonce une grève pour le lendemain 23 à partir de 8 heures du matin. Ce document était accompagné du rapport d'une assemblée qui s'est déroulée le 15 avril à Agadir et d'un autre papier comportant des revendications. Il s'agit notamment du changement du mode de rémunération (le salaire) et son remplacement par un pourcentage sur le chiffre d'affaires au profit de l'équipage des bateaux. Ce cahier revendicatif porte deux cachets, celui de la délégation maritime d'Agadir le 19 février et celui de la wilaya de la même ville le 20, alors que Tan Tan ne fait partie sur le plan administratif de cette ville. Pour vous, l'activité de ce syndicat n'est pas régulière ? Absolument et nous le confirmons. C'est un syndicat qui n'est même pas en règle par rapport aux autorités compétentes de Tan Tan. Comment se fait-il alors que votre groupe s'est aligné sur les résultats de la réunion que ce syndicat a eu avec les armateurs d'Agadir pour sortir de la crise? Faute d'interlocuteur responsable et de revendications responsables, il fallait bien faire quelque chose afin de débloquer la situation et reprendre notre activité. Même si ce syndicat ne nous a rien adressé qui nous concerne directement, nous nous sommes dit qu'il conviendrait mieux de faire confiance au wali d'Agadir qui est le représentant du gouvernement de S.M le Roi et aux résultats issus de la commission qu'il préside au sujet de ce conflit social. Et vous vous êtes engagés à adopter les décisions prises par cette commission syndicat-armateurs… L'OMP s'est engagé sans réserve aucune au nom de l'Association des opérateurs économiques de Tan Tan vis-à-vis du gouverneur de la ville d'adopter toutes les Pourquoi le ministre de la Pêche, Saïd Chbaâtou, a-t-il dit que vous n'avez décidé d'accepter le compromis d'Agadir qu'une semaine après, c'est-à-dire tardivement… Ce n'est pas vrai. Nous avons confirmé par écrit notre engagement immédiatement au gouverneur de Tan Tan, soit le 22 mai. Je dispose du document qui le prouve. Comment se fait-il que le problème du port de Tan Tan reste insoluble à ce jour alors qu'un début de solution a été trouvé pour celui d'Agadir ? Il faut poser la question au ministre. Sur 2M dimanche 2 juin, le ministre a été pourtant élogieux à l'égard de l'OMP qu'il a présenté comme une entreprise patriote et modèle… L'attitude bienveillante du ministre à la télévision à l'égard de notre groupe est en contradiction avec la situation que nous subissons à Tan Tan. Aujourd'hui, force est de constater que nous sommes privés de nos droits et pris en otage par le ministre. En fait, nous sommes victimes de lui et non de la grève. Ne s'agit-il pas finalement d'un règlement de comptes sous couvert de conflit social ? Je ne le pense pas car le plan d'aménagement de la pêcherie, le ministre n'a réussi à le mettre en œuvre que grâce à l'OMP, à son histoire, à son sérieux et à ses données fiables. L'OMP rapatrie au pays la majeure partie des devises générées par son activité et paie les salaires dans la monnaie nationale. Pour un groupe qui joue la transparence, avouez que le traitement qu'on lui inflige à Tan Tan est pour le moins injuste. Selon Saïd Chbaâtou, la pêche hauturière a vu augmenter cette année son chiffre d'affaires de 50% par rapport à l'exercice précédent… Ces bénéfices ne justifient-elles pas les revendications matérielles du personnel marin? Encore faut-il que cette croissance dont parle le ministre soit réelle. Malheureusement, ce n'est pas du tout le cas. Ce ministre a brandi à plusieurs reprises des chiffres complètement faux pour justement tromper le pauvre marin. En vérité, le chiffre d'affaires du secteur n'a cessé de baisser à cause de la pression sur les zones de pêche du sud. Plus grave, le ministre est en train de distribuer pour l'on sait quelle raison des licences de pêche alors que le Maroc les a retirés à l'Union européenne. Cette situation est en contradiction flagrante avec le plan d'aménagement de la pêcherie poulpière du ministre qui stipule que la “décision du gel d'investissement instaurée depuis 1992 est maintenue pour tous les segments de flotille et que toute action de nature à augmenter la capacité de pêche est interdite“. C'est le ministre lui-même qui dit cela dans son plan entrée en vigueur depuis le 1er mai 2001. Et voilà que M. chbaâtou viole les dispositions de son programme en octroyant des autorisations supplémentaires pour une pêche poulpière qu'il s'est engagé à rationaliser pour sauvegarder la ressource. Comment expliquez-vous l'octroi de ces nouvelles licences de pêche? Je ne sais pas. Tout ce que je sais c'est que l'état de la pêche céphalopodière est tel qu'elle ne doit pas supporter une licence de plus. Ce qui se passe est très grave. Avez-vous un problème social à l'OMP ? Pas du tout. Le personnel n'a jamais fait de revendications. Toutefois, il faut signaler que le ministre nous a exclu de toute réunion concernant le social. Quand nous l'avons rencontré début avril, il a dit beaucoup de bien de notre groupe sur tous les plans au point qu'il a promis de généraliser notre contrat-type à l'ensemble de la profession. Ce n'est qu'à la lumière de ce qui se passe maintenant que nous avons compris le jeu du ministre : il nous a tressé des lauriers pour nous endormir. Depuis, nous l'avons plus revu jusqu'au jour où il s'est signalé par une lettre datée du 24 avril où il invite notre association pour le vendredi 26 avril au siège de son ministère. Je vous signale que la grève avait déjà démarré. À l'ordre du jour de cette réunion, la reprise de l'activité de pêche céphalopodière à partir du 1er mai 2002 et poursuite du dialogue armateurs-marins de la pêche hauturière. Or, nous n'avons jamais été auparavant invités à assister à des négociations sur le volet social. Pourquoi ? Le ministre savait pertinemment que l'OMP, compte tenu de son expérience et de sa force, a les moyens de régler toutes les questions liées au social. C'est pour cela qu'il nous a mis à l'écart dès le début. Dans quel objectif ? Le ministre ne veut pas régler le problème social mais plutôt le créer et réussir une grève dans le secteur. Un ministre n'a pas vocation d'organiser ou de réussir une grève… Nous n'avons pas d'autre explication à donner… Nous observons juste que cette grève intervient à quelque mois des élections. Que pensez-vous du SNOMPH? À mon avis, le secrétaire général du syndicat est un protégé du ministre. Il ne bouge que sur ses instructions. Ce qui est scandaleux c'est le comportement du ministre qui est en train de mettre en péril l'existence de notre entreprise pour des considérations qui ne nous concernent guère. Vous êtes prêt à aller jusqu'à quel point pour mettre fin à cette grève qui perdure ? Si les choses ne s'arrangent pas, envisagez-vous la fermeture ? La décision ne m'appartient pas. La société est gérée par un conseil d'administration. En tout cas, nous sommes obligés de désarmer faute de production et de recettes. Nous avons connu la même situation en 1992. À cette époque, notre entreprise faisait travailler 2500 personnes et en l'espace de 6 mois ces effectifs furent réduits à 1850. Aujourd'hui, l'OMP, qui est sur le point d'engager 3.000 employés supplémentaires pour démarrer un nouveau complexe maritime, est menacé de disparaître.