Abderrazak Afilal, en homme politique chevronné, ne mâche pas ses mots pour décrire la situation qui règne dans le paysage politique marocain. Entretien. ALM : Que pensez-vous de ce remue- ménage post-élections communales ? Abderrazak Afilal : En réalité, les partis politiques ont commis une grave erreur en acceptant le nouveau mode de scrutin. Le résultat se résume à l'épidémie de dispersion qui a caractérisé l'après scrutin. Aucune formation ne peut se targuer d'avoir une majorité. Cela est devenu presque impossible. En ce qui nous concerne, nous avons essayé de gérer ce qui pouvait l'être avec nos alliés. Chaque fois que l'on croit être sur les mêmes longueurs d'ondes, nous nous retrouvons dans l'obligation de tout recommencer. A un moment, nous sommes d'accord, puis tout à coup nous nous le sommes plus. Cependant, le parti de l'Istiqlal est sur la bonne voie. On peut donc déduire de vos propos que la débandade sévit au sein même de la Koutla ? Le concept même de « koutla » signifie l'union ou l'unification et non pas une domination d'une partie sur l'autre. Ceci est fondé sur la base de principes établis communément. Nous disons par exemple que s'il existe une quelconque majorité d'un parti de la koutla dans une commune, les autres le soutiennent automatiquement. Car si un candidat est élu président sans le soutien de la koutla, il sera isolé. Il est grave qu'un président ne dispose pas d'une majorité composée de ses alliés traditionnels. La vérité c'est que l'on parle de koutla, de la nécessité de se souder les coudes, mais en fait chacun ne défend que ses propres intérêts. Je pense que notre paysage politique devrait être composé de deux ou trois pôles indépendants, comme c'est le cas en France par exemple. On distinguera la gauche, la droite et le centre. Actuellement, il est impossible d'unir ces trois tendances en un seul, et unique axe. En plus de ces raisons purement politiques, il faut noter que l'opportunisme qui caractérise bon nombre d'hommes politiques marocains, ne facilite pas la tâche aux défenseurs des principes de la Koutla, dits démocratiques. Nous n'avons toujours pas atteint un certain niveau d'éducation démocratique et surtout de la pratique de la démocratie. Vous imaginez un président de conseil de ville avec seulement un certificat d'études primaires ? Qu'est-ce qu'il faudrait faire pour remédier à cette situation ? Nous ne pouvons élever le niveau de la pratique politique dans notre pays que si la gestion de la chose publique est confiée à des responsables dignes de ce nom. Alors que ce qui se passe chez nous est tout à fait le contraire. Alors que les minables réussissent rapidement, les compétences sont marginalisées et opprimées. Première conséquence de cet état des choses, c'est l'effritement de notre paysage politique. Pour répondre à votre question, il faut qu'il y ait un choc de consciences et des mentalités. La réforme du code électoral n'a pas totalement résolu le problème, du moment que la chose publique peut être confiée à un simple chômeur. La loi devait mettre la barre beaucoup plus haut. Les procédures doivent être révisées de fond en comble. Cependant, les mentalités doivent impérativement suivre. Que voulez-vous dire par mentalité ? Je veux dire que la mentalité «makhzanienne» sévit toujours. Pourquoi le Maroc d'aujourd'hui a-t-il besoin de Moqaddem, de Cheikh et de Caïd ? Sur un autre plan, on n'est pas encore arrivé à concevoir que c'est le Parlement qui a son gouvernement et non le contraire. Il y a un manque de volonté de changement chez nos politiques. C'est à croire qu'ils ont peur. On reproche aux partis politiques de ne pas pouvoir encadrer les masses populaires alors qu'ils sont dépourvus de moyens. Les partis politiques doivent être restructurés au vrai sens du terme. Ainsi, l'on pourrait savoir qui représente effectivement ces masses populaires. En conclusion, c'est une gigantesque mixture de problèmes qui engendre des résultats tels que ceux de nos jours.