L'ancien directeur du «Monde», Jacques Fauvet, est mort samedi dernier. Il était connu par son action en faveur des libertés d'expression et la dénonciation du progrès informatique qu'il considérait comme un danger menaçant la vie privée. L'ancien directeur du journal «Le Monde», Jacques Fauvet, est décédé samedi dans un hôpital parisien à l'âge de 87 ans. Une chute est à l'origine de son hospitalisation. Fauvet a été si longtemps à la tête du «Monde» (de 1969 à 1982) qu'il a marqué sa ligne éditoriale des principes qui font la renommée de ce quotidien aujourd'hui. L'homme était à la fois écrivain et journaliste. Il est en effet l'auteur de plusieurs ouvrages de réflexion historique et politique : «Les Partis dans la France actuelle» (1947), «Les Forces politiques en France» (1951), «La France déchirée» (1957), «La IVe République» (1959), «La Fronde des généraux» (1961) et «Histoire du Parti communiste français» (1964-1965). Fauvet était connu par la connaissance approfondie qu'il avait de la vie parlementaire et surtout le combat qu'il a mené pour la liberté des individus. Jacques Fauvet est né en 1914 à Paris. Après l'obtention d'une licence en droit, il a commencé sa carrière de journaliste en tant que rédacteur en chef d'un journal en province : «L'Est républicain». Il y est resté de 1937 à 1940. Mobilisé pendant la seconde guerre, il est fait prisonnier des Allemands pendant la débâcle de l'armée française en 1940. Il resta cinq ans en Allemagne jusqu'à sa libération par les Soviétiques en 1945. Sitôt libéré, il rejoint «Le Monde» en tant que réacteur. À rappeler que le premier numéro du quotidien Le Monde parut le 18 décembre 1944 sous la direction de Hubert Beuve-Méry. C'est dire que Fauvet a été présent dans ce journal depuis sa création. Il y sera successivement chef du service politique (1948), rédacteur en chef adjoint (1958-1963), rédacteur en chef (1963-1969), puis directeur (1969-1982). Durant la période où il a été directeur du «Monde», Fauvet a montré du doigt la complaisance de certains magistrats avec les dirigeants politiques. Le vent des scandales financiers qui coûteront leurs postes à plusieurs politiques français durant les années 90, Fauvet l'avait soufflé pendant la présidence de Valéry Giscard d'Estaing. Ce qui lui a valu une inculpation, en novembre 1980, à la demande du garde des sceaux, Alain Peyrefitte, «pour avoir jeté le discrédit sur la magistrature» à travers cinq articles publiés dans Le Monde. Fauvet a été vite relâché en vertu de l'application de la loi d'amnistie de septembre 1981. Il a quitté Le Monde en 1982 et est devenu de 1984 à 1999 Président de la Commission nationale informatique et liberté (CNIL). Au sein du CNIL, il n'a cessé de défendre les libertés fondamentales. Il semblait particulièrement craindre que les progrès dans l'informatique ne permettent la création de systèmes automatisés de fichiers d'individus. La diabolisation de l'informatique ou son exploitation pour des desseins policiers obsédait Fauvet. Dans un discours de 1999, Il disait: «Aujourd'hui comme il y a vingt ans, c'est donc de libertés qu'il s'agit d'abord. La liberté de circuler, de consommer, de préférer, sans que cela soit connu de tous. Et ce souci du respect du droit des gens, de leur vie privée et, pourquoi pas de leur anonymat, ne contrarie pas le développement des nouvelles technologies, pas davantage que le droit à l'image, consacré par la loi du 17 juillet 1970 sur le respect de la vie privée, n'a freiné l'essor des techniques photographiques». Ses ennemis voyaient dans la dénonciation des menaces que font peser les nouvelles technologies sur les libertés des individus une preuve du passéisme de Fauvet et de son romantisme pour le roman de George Orwell : «1984». Fauvet n'en avait cure : rien ne l'a détourné de son idée fixe quant aux libertés de chacun. Et c'est ce qui fait la grandeur de l'homme.