Les répliques de ce que les commentateurs ont qualifié de tremblement de terre dans la scène politique française ne manqueront pas de se faire sentir longtemps. La France résiste à l'extrémisme à coups d'alliances. Dimanche tombaient les résultats, insoupçonnables, du premier tour des présidentielles en France. 19,41 pc pour le président sortant Jacques Chirac, 17, 19 pc pour le leader d'extrême droite Jean-Marie Le Pen et 15,85 pc pour le chef de file des socialistes Lionel Jospin. Coup de théâtre. Encore une, les sondeurs toutes catégories ont vu à côté. Le candidat du Front national, qui a eu du mal à se procurer son ticket d'entrée dans l'arène des présidentielles, a passé le premier tour. Il a même surclassé le premier ministre socialiste Lionel Jospin, longtemps donné pour favori même au second tour. La donne est tout simplement déroutante. D'abord, le taux d'abstention, de 27,63%, est sans précédent pour un scrutin présidentiel. Ensuite, le parti socialiste est éliminé du second tour pour la première fois depuis 1969. Enfin, et c'est là la véritable pilule amère pour une grande partie de la classe politique française, Jean Marie Le Pen, l'homme de tous les extrémismes et de toutes les polémiques, a recueilli les votes de 4. 771. 077 français. Du coup, toutes les alliances jusque-là à peine envisageables, deviennent une recommandation, voire une nécessité pour « sauver la France de l'extrémisme ». La rue s'échauffe. Dans plusieurs grandes villes de l'Hexagone, des manifestants descendent spontanément. A Paris, les CRS sont mêmes obligés de faire usage de grenades lacrymogènes pour dégager les abords de l'Assemblée Nationale. Dans les quartiers généraux des différentes formations politiques, c'est aussi l'effervescence. L'heure n'est plus tout à fait au bilan, mais à la prospective. Le 5 mai, date du second tour qui opposera Jacques Chirac et Jean Marie Le Pen, approche dangereusement. Et pour beaucoup de PC, le choix est tout fait. De «deux maux» l'on se résout à choisir le moindre. Dans le camp des socialistes, l'amertume est au menu. Lionel Jospin, une fois le verdict des urnes confirmé, trace un trait sur sa carrière et annonce son prochain retrait de la vie politique. Son premier souci est l'avenir des socialistes, qu'il appelle avec la gauche «à se mobiliser et à se rassembler dès maintenant pour les élections législatives afin de préparer la reconstruction de l'avenir». En attendant, c'est François Hollande, le premier secrétaire du PS, qui fait état d'un probable soutien des socialistes à Jacques Chirac pour le second tour. « Nous ferons ce que nous avons à faire parce que nous sommes des républicains et des démocrates», dit-il. Chez les communistes du PCF c'est la déroute. Le parti, à travers son candidat Robert Hue, a obtenu le plus mauvais score, toutes élections confondues, depuis sa création à Tours en 1920. De plus, n'ayant pas atteint les 5% nécessaires pour le remboursement de sa campagne, le PCF connaîtra une grave et peut être fatale crise financière. En attendant, Marie-George Buffet, la secrétaire nationale du parti, promet que les communistes feront « barrage à l'extrême droite ». Les verts, qui avaient présenté la candidature de Noel Mamere, n'ont pas de réel motif de déception. Avec leur 5,3 pc de voix, ils ont réalisé « un score historique pour l'écologie ». Néanmoins, ici aussi on estime qu'il y a péril en la demeure et l'on se résout, à contre-coeur, à plaider pour Chirac au second tour. Même si Noël Mamère n'hesite pas à donner du «ripou» au président sortant et de l' «imposteur» au candidat de l'extrême droite, c'est la crainte contre «70 députés du Front National à l'Assemblée Nationale» aux législatives de juin, qui l'emporte. On ne l'entend pas de cette oreille auprès de Lutte ouvrière, dont la candidate Arlette Laguiller, du haut de ses 6 pc de voix, a estimé que Lionel Jospin était le seul responsable de sa défaite et que son parti n'appellerait pas à voter Jacques Chirac contre le FN. Dans le clan Chirac, passé le premier moment d'euphorie, on prend la mesure du défi sérieux. Au delà de la sérénité quant aux deuxième tour, la prudence est de mise. Il va falloir rassembler les français autour des « valeurs républicaines », affronter l'extrême droite, sans pour autant démobiliser les partisans. En même temps, on imagine mal une nouvelle cohabitation et l'on planifie déjà pour « une vraie majorité présidentielle qui permettra au président de la République d'engager les réformes ». En attendant, Jacques Chirac, qui n'a jamais caché combien peu il appréciait Jean Marie Le Pen, se voit mal lui donnant la réplique pour le traditionnel débat télévisé. Qu'a cela ne tienne, ce dernier ne se laisse pas démonter. Il balaie de la main les premiers sondages sur le second tour et mise sur « le « grand mouvement populaire » qui, quand il « se produit, rien ne résiste et tout est balayé».