Commencées dans l'enthousiasme, les retrouvailles du dialogue social ont fini en queue de poisson. À cause de Noubir Amaoui. Intempestif comme à son habitude, celui-ci a choqué l'assistance par une sortie pour le moins déplacée. Abderrahmane Youssoufi consulte sa montre. Il est midi 15 minutes, ce vendredi 19 avril. La réunion du dialogue social, en présence cette fois-ci de l'ensemble des partenaires, a commencé il y a près de trois heures, vers 9 heures 30, au siège de la primature. Le chef du gouvernement lève la séance. “ On reprendra notre travail dans quelques jours, dit-il à ses interlocuteurs. Nous devons nous rendre tout de suite à la mosquée pour la prière de l'absent à la mémoire de nos frères Palestiniens assassinés par l'armée d'Ariel Sharon“. Sur ce, la voix d'un homme, assis en face de Abderrahmane Youssoufi à la table de négociation, tonne avec effet. C'est Noubir Amaoui, leader de la CDT, qui manifeste bruyamment son mécontentement d'interrompre la réunion. “ On a à peine commencé que vous arrêtez la séance. Il y a encore pleines de choses à régler comme la revalorisation des salaires… Vous faites pire que Sharon“, lance-il en vociférant à l'adresse du Premier ministre. Du coup, les visages, détendus depuis le début, changent d'expression. Le malaise est plus que perceptible. L'assistance est choquée par la sortie pour le moins déplacée du syndicaliste. Un silence de plomb s'abat sur la salle. Il a duré quelques secondes avant que Abderrahmane Youssoufi ne se décide à répondre. Sereinement. En regardant son vis-à-vis dans les yeux. La réplique est cinglante. “ Ce que vous venez de dire est honteux. Ce que fait Sharon est unique dans les annales de l'histoire. Votre déclaration innocente les agissements de Sharon. Je vous demande de la retirer et de vous excuser…“ Noubir Amaoui, la mine contrite, le regard hébété, se referme soudain comme une huître. Cloué au piloris et de belle manière, il ne tentera pas de reprendre la parole ou d'éclater de nouveau en imprécations. L'imprévisible Amaoui a dû se rendre compte après la mise au point tout en finesse du chef du gouvernement de l'énormité de sa gaffe. En reprochant à ce dernier de suspendre la réunion pour aller se recueillir sur les morts palestiniens, il est apparu sous un jour qui ne l'honore pas. Non pas comme un supporter d'Ariel Sharon mais comme un homme que le sort des palestiniens indiffère. Déroutant. Et dire que Noubir Amaoui a été l'une des premières figures politiques au Maroc à dénoncer dans des meetings à Casablanca la barbarie sioniste. C'est à ne rien comprendre. En fait, dès l'ouverture des travaux, Noubir Amaoui apostrophait Abderrahmane Youssoufi. Il épiait l'occasion de faire du “rentre dedans“ au patron de l'USFP. Et pour cause… Le chef de la CDT a perdu de sa superbe depuis qu'il a quitté de manière intempestive le dernier congrès de l'USFP, signant ainsi de lui-même son acte d'exclusion du parti. Noubir Amaoui sans l'appareil du parti c'est comme un poisson en dehors du milieu marin. Il frétille. Même au syndicat, il risque d'être poussé vers la porte de sortie. Cette réalité, il l'a appris à ses dépens. Noubir Amaoui aime détester Abderrahmane Youssoufi. Mais en a-t-il les moyens ?“, souligne un membre de l'USFP, allusion faite à la fête du travail, le 1er mai. Inaugurée dans l'enthousiasme, la réunion du vendredi a fini en queue de poisson. De l'avis de tous les participants y compris de l'UMT qui a jusqu'ici boudé le dialogue social, cette séance est une bonne prise de contact pour la reprise du dialogue entre les partenaires sociaux sur des bases saines et franches en adoptant une nouvelle méthode dans la négociation. Évoqués à cette occasion, les dossiers chauds ne manquent pas. Mais il faut se donner le temps pour les régler et surtout trouver les fonds pour répondre aux différentes revendications. En attendant, le souci immédiat des uns et des autres est de désamorcer la tension sociale dans la perspective du 1er mai qui, tout porte à le croire, sera une journée ordinaire. Rendez-vous a été pris, mercredi 24 avril, au siège du ministère de l'Emploi pour la reprise du dialogue.