Brahim Zerkdi est député du Mouvement Populaire (MP) et ancien président de la commune rurale Drarga à Agadir. Il dénonce un projet de loi «concocté dans la précipitation». Il met aussi en garde contre les dérives qui peuvent découler des pouvoirs accordés aux gouverneurs et appelle à respecter la démocratie locale. Entretien. ALM : Vous avez récemment participé en tant que député du MP à un séminaire pour débattre du nouveau projet de loi sur l'urbanisme. Quel en était l'objectif ? Brahim Zerkdi : Nous estimons, au Mouvement Populaire, que le projet de loi n° 04-04, édictant diverses dispositions en matière d'habitat et d'urbanisme, comprend des insuffisances. Il a déçu nos attentes. Tout le monde attendait ce projet de loi qui devait corriger des plans d'aménagements inapplicables, rendre réalistes des schémas utopiques, contrer le fleurissement de l'habit insalubre par des mesures concrètes… Force est de constater à la lecture des articles du projet de loi de M. Hjira qu'il a été concocté dans la précipitation. Que reprochez-vous au juste au contenu de ce projet de loi ? Le fait qu'il ait été réalisé par des fonctionnaires d'un ministère qui me semblent décalés de la vie quotidienne. Un projet de loi requiert des consultations avec tous les acteurs du fait urbanistique. Il nécessite un débat constructif pour accoucher d'un projet solidement assis qui tient compte des avis des uns et des autres, qui confronte des opinions divergentes. Or, l'économie de la consultation a été faite dans ce projet. Le ministère de tutelle a profité de la catastrophe d'Al Hoceïma pour publier un texte qui comprend de nombreuses lacunes. Tout le monde déplore ce qui s'est passé dans cette région. Mais ce n'est pas dans des conditions d'émoi que l'on construit une loi qui engage l'avenir du pays. Qu'est-ce qui vous incite à dire que ce texte a été réalisé dans la précipitation ? D'abord le défaut de consultation. Ensuite, les amendements qui ont été demandés par le ministère de la Justice, par exemple, au Conseil de gouvernement, et dont il n'a pas été tenu compte. Ce ministère est intervenu dans les chapitres relatifs aux peines pénales. Sans parler du vrai danger que fait encourir cette loi à la démocratie locale, à savoir la mise à mort de la déconcentration et de la décentralisation. Et justement, ce qui semble le plus vous contrarier, ce sont les prérogatives données aux gouverneurs au détriment des présidents de communes ? Les présidents de communes ne sont que la face apparente de l'iceberg. C'est le corps entier des élus locaux que ce projet de loi rend tributaire de la décision d'un gouverneur. Tous les pouvoirs de la chose urbanistique sont désormais entre les mains des gouverneurs. Il ne s'agit pas de remettre en question les compétences et l'intégrité de nos gouverneurs, mais de s'interroger sur les dérives qui peuvent naître de leur toute-puissance. Certains d'entre eux peuvent céder aux tentations. L'urbanisme est un champ tellement vital, tellement considérable en termes d'investissements, qu'il ne peut dépendre d'une seule autorité. Cette situation peut générer des dérives. Mais les présidents de communes n'ont pas toujours donné l'exemple d'une bonne gestion de l'urbanisme… Mais dans ce cas, traitons le mal ! Au lieu d'éliminer le corps malade, désignons le nerf coupable. Il est facile de dire que tel secteur ne marche pas, alors enlevons tout. Au lieu de procéder ainsi, que l'on mette en place des mesures pour contrôler les présidents de communes. Ce n'est pas parce que certains ont commis des abus que l'on va revenir en arrière et remettre en question les fondements de la démocratie locale. Ce projet de loi sera débattu à la Chambre des représentants. En tant que député d'un parti présent au gouvernement, comment comptez-vous le contester ? A l'heure où je vous parle, ce projet de loi provoque un rejet total de toutes les formations politiques. Au Parlement, les discours de tous les députés convergent pour en dénoncer l'insuffisance. Cela dit, il est plus facile pour un député de l'opposition d'émettre une opinion négative sur un projet que pour le député d'un groupe qui fait partie de la coalition gouvernementale. Celui-ci a une épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête. Dès qu'il prend une position opposée à une optique du gouvernement, il peut être suspecté de fronde par son parti. Cependant, ce projet est si important pour l'avenir de notre pays qu'on ne peut pas faire l'économie de ne pas en débattre au Parlement.