Consterné et profondément touché par la perte brutale de ses deux bébés, E.S, un jeune père, relate, avec beaucoup d'émotions, son parcours du combattant durant la première semaine suivant leur naissance. «Je viens de perdre deux jumelles dans un laps de temps de quatre jours. Nées prématurément, je les ai emmenées au service de la réanimation des prématurés de l'hôpital Avicenne. C'est à ce moment-là que j'ai appris que les places sont limitées et que celui qui n'a pas les moyens de se rendre à une clinique (peu sur la place d'ailleurs !) doit se rendre au destin, encore plus cruel que le mien, d'attendre la mort de son prématuré devant ses yeux», lance-il. Cruauté ! E.S n'est pas ce ceux qui mâchent leurs mots, puisqu'il parle même de crime. «J'avoue qu'il y a là un crime implicite qui se commet et de manière horriblement légale !», renchérit-il. Des cas pareils sont légion. Il suffit de se rendre au service de néonatologie de l'hôpital d'enfants de la ville de Casablanca pour s'en rendre compte. Le nombre de lits pour nouveau-nés étant limité, des dizaines de parents de bébés prématurés rebroussent chemin, le cœur serré. À Casablanca, le service de néonatologie de l'hôpital d'enfants est l'unique structure publique équipée pour accueillir les prématurés. «Officiellement, notre service dispose de 28 lits pour nouveau-nés. Dans les faits, nous utilisons entre 16 à 18 lits dont 12 couveuses. Et ce à cause d'un manque au niveau du personnel spécialisé, notamment les infirmières», annonce le Pr. Saïd Benomar, chef du service de néonatologie de l'hôpital d'enfants. Et d'ajouter d'une voix ferme : «Il s'agit-là du plus grand problème de Casablanca. Comment se fait-il qu'une ville aussi grande que Casablanca, accueillant près de 3,5 millions d'habitants, n'a que 16 lits pour prendre soin de ses nouveau-nés?!». Le manque d'une infrastructure adéquate est une cause qui fait tourner une grossesse en drame. Une grossesse, tant attendue et désirée, peut devenir ainsi un cauchemar si le bébé décide de venir au monde prématurément. Une arrivée brusque qui chamboule les plans des parents et qui met à nu l'insuffisance dont souffrent les hôpitaux du Royaume. La prématurité demeure toujours la deuxième cause de mortalité chez les nouveau-nés au Maroc. Une récente étude menée par le service de néonatologie à l'hôpital d'enfants à Rabat a évalué le haut risque de mortalité chez les prématurés. «Les données recensées durant notre pratique quotidienne nous montrent que 40% des prématurés hospitalisés au service proviennent de la maternité Souissi de Rabat, 40% des centres hospitaliers provinciaux, 16% des maisons d'accouchement et 4% naissent à domicile. Parmi les nouveau-nés provenant d'autres structures que la maternité Souissi de Rabat, 66% des transferts n'ont pas été médicalisés. Ce qui explique les 40% de décès au sein de cette population», relève-t-on dans cette étude. La prise en charge d'un prématuré n'est pas une chose aisée, en raison de sa fragilité et sa haute sensibilité. «Des cas de décès sont souvent enregistrés chez cette population à cause d'infections nosocomiales. En fait, un prématuré a besoin d'un transport médicalisé et de suivi médical spécial ; des mesures qui ne sont pas toujours respectées. Il faut ajouter également que le prématuré a besoin d'un traitement à base d'ampoules de caféine. Jusqu'à aujourd'hui, aucun laboratoire pharmaceutique n'est intéressé par leur importation à cause de leurs faibles marges de bénéfices», affirme un pédiatre préférant l'anonymat. L'étude du service de néonatologie à l'hôpital d'enfants à Rabat abonde dans le même sens, «Dans notre service, 30% des prématurés sont hospitalisés pour simple élevage. Dans les 60% restants, à la morbidité liée à leur immaturité s'ajoutent des facteurs aggravant leur état de santé, dont essentiellement l'hypothermie due à l'échec d'une bonne prise en charge en salle de naissance et durant le transfert». Les parents de prématurés frappent, en premier lieu, à la porte des services publics de néonatologie avant d'aller voir ailleurs. «Notre service est subdivisé en trois niveaux en fonction du degré de l'état du prématuré. C'est pour cela que la prise en charge oscille entre 1200 dirhams le jour pour la réanimation et 200 dirhams pour une hospitalisation dans le berceau», précise Pr. Saïd Benomar. Mais seule quelques parents qui arrivent à trouver une place pour leur rejetons. Pour les autres, c'est le début d'un terrible périple dans les cliniques de la métropole. Cette fois-ci, le prix de la prise en charge flambe pour atteindre 5000 dirhams le jour, en plus d'une ordonnance médicale quotidienne allant jusqu'à 1000 dirhams. Sachant qu'en moyenne, un prématuré nécessite une hospitalisation de deux semaines, les petites bourses finissent, en désespoir de cause, par frapper à la porte de l'unique association caritative de Casablanca, «La goutte de lait». Mais ce n'est pas «La goutte de lait» qui va mettre fin au calvaire des parents. Loin s'en faut. Les places y sont également limitées. Ne sachant plus à quel saint se vouer, certains parents se trouvent dans l'obligation de rentrer chez eux et attendre, la mort dans l'âme, le décès de leurs bébés. Une torture!