Nadia Zeggai est la fille du capitaine Mimoun Zeggai, le plus ancien détenu marocain qui vient d'être libéré des camps de l'horreur de Tindouf. Dans l'entretien qui suit, elle explique les conditions de détention et de libération de son père et les épreuves auxquelles sa famille a dû faire face. ALM : Cela fait plus de 28 ans que vous n'avez pas pu voir votre père. Comment a été le premier contact et qu'avez-vous ressenti en le revoyant de nouveau ? Nadia Zeggai : Pour l'heure, je n'ai fait que l'entrevoir, au moment où il descendait de l'avion à l'aéroport d'Agadir. La peur d'un choc, que des retrouvailles subites étant déclencher, nous empêche de le rencontrer. Les médecins et psychologues qui assurent le suivi de son état de santé, ainsi que ceux des 243 prisonniers de guerre marocains libérés, nous ont conseillé d'attendre, le temps qu'il soit préparé à nous retrouver. Donc, autant y aller petit à petit. Lui, il n'y croit toujours pas. Rendez-vous important compte tenu que cela fait des années qu'il n'a eu aucun contact avec sa famille. Nous revoir pourrait lui être fatal. Mais déjà, rien qu'à cette idée, le voir encore vivant, ayant toutes ses capacités physiques et mentales, conscient du monde autour de lui, nous emplit d'une joie indicible. Ma mère qui ne retient plus ses larmes, ma sœur et moi sommes toujours à Agadir, à attendre le moment opportun où nous pourrons de nouveau redevenir une famille avec un père aimant et aimé de tous. Savez-vous comment et dans quelles conditions votre père a été fait prisonnier ? Je n'avais pas plus d'un an quand il a dû nous quitter pour rejoindre les forces armées basées au Sahara marocain. C'était en 1974, il avait alors 36 ans. Ses collègues qui ont survécu à cette guerre nous racontent que son arrestation a eu lieu alors qu'il essayait de libérer le passage pour que les troupes marocaines puissent avancer. Mon père était au bord d'un char, précédé par un autre, quand une attaque subite avait eu lieu. Le conducteur de char qui était devant le sien avait été tué. Mon père a été contraint de quitter son char et aller dégager le deuxième pour permettre aux autres de continuer leur trajet. C'est à ce moment qu'il a reçu des tirs. Blessé au pied, il ne pouvait plus avancer. C'est là où il a été fait prisonnier dans le champ d'honneur. Comment avez-vous réussi à survivre à cette épreuve. Par quels moyens ? Qui vous a aidé ? Nous sommes une famille de trois enfants (un garçon et deux filles). Si nous avons pu survivre à cette épreuve, c'est grâce à l'action sociale des Forces armées royales et au soutien de S.M le Roi Mohammed VI, alors Prince héritier. Nous percevions le salaire de mon père. Pour les études, S.M le Roi nous prenait entièrement en charge. Mon frère poursuit ses études de Management aux Etats-Unis, après 6 ans d'études à l'IIHEM. Ma sœur est capitaine. Moi, je travaille au ministère de la Jeunesse et sports, après une formation d'éducatrice. Cela veut dire que vous vous êtes toujours adaptée… Des milliards de dirhams ne pouvaient remplacer l'absence de mon père. Il devait être libéré déjà en 1995. Mais, cette année-là, aucun officier n'a été relâché. Nous n'avions d'autre choix que de prendre notre mal en patience et nous contenter des quelques lettres et photos (en moyenne une à deux par an) que nous recevions grâce à l'intermédiation du Comité International de la Croix Rouge (CICR). Dans ses lettres, mon père ne laissait rien apparaître de ce qu'il vivait en prison. Il nous demandait juste d'être patients et insistait pour que ne nous n'abandonnions pas nos études. Il voulait qu'on réussisse dans notre vie. Il était sûr que nous allions nous revoir de nouveau. Vous vous êtes engagée dans une véritable lutte pour la libération de votre père. Quelles démarches avez-vous entrepris ? Au début, nous ne savions pas quoi faire. Personne ne parlait des détenus marocains à Tindouf. Ce sujet était presque tabou. L'initiative a émané du Parlement Européen qui avait organisé un acte de remise d'«un Passeport pour la liberté » pour la libération du plus ancien détenu au camp de Tindouf. Nous avions été contactés par la suite et c'est à partir de ce moment que les choses ont commencé à bouger. Je me suis rendu à Bruxelles une première fois pour récupérer une photocopie du Passeport de la liberté de mon père et où j'ai également participé à une conférence de presse, tenue pour l'annonce de cette initiative. Ce voyage m'a également servie d'occasion pour expliquer les conditions de détention que vivaient les Marocains à Tindouf. Pour les Européens, tout allait bien dans le meilleur des mondes. Pour eux, la détention des soldats marocains se passait dans le respect total de leur dignité et de la légalité internationale. C'était loin d'être le cas et je me suis efforcée de décrire la réalité des choses. Je me suis rendue une deuxième fois pour la signature d'une pétition pour la libération des autres Marocains détenus dans les camps de l'horreur polisarienne.