Le chômage, l'analphabétisme et la pauvreté affectent notre société et laissent la porte grande ouverte à la délinquance, la mendicité et d'autres fléaux sociaux. Mais malgré tout, une partie des citoyens forcent le destin, travaillent et créent de nouveaux métiers. Il est parfois des crises qui stimulent la créativité devant la nécessité de survivre. Au moment où les fast foods américains, autrichiens, andalous et autres poussent comme des champignons dans les quartiers chics de Casablanca, les investissements débrouillards vont bon train à l'autre bout de la capitale économique. Après les marchands ambulants et les tables démontables offrant des jus, des saucisses ou encore de la soupe chaude, de nouvelles inventions commencent à se faire de la place et de la clientèle. Il s'agit particulièrement d'un breuvage issu d'un mélange d'herbes médicinales, communément connues sous le nom de «Laâchoub». Baptisé khoudenjane, il est surtout connu à Marrakech, faisant partie des innombrables mixtures traditionnelles marocaines. Aujourd'hui, les khoudenjanistes font partie du paysage casablancais. Ils se trouvent notamment dans les quartiers populaires de Sidi Othmane, Bernoussi, Place des Sraghnas, Hay Mohammadi etc. La formule de ce mélange chimique est un secret farouchement protégé. «C'est une composition d'au moins 22 herbes médicinales, minutieusement choisies, bien lavées et traitées de manière professionnelle. Je ne peux pas vous les énumérer, mais je peux vous garantir leur effet bénéfique sur le corps humain.» explique en souriant le jeune Hassan, qui sert à proximité de Kissariat Chouhadas. L'innovation ne se limite pas seulement à l'écoulement de ce nouveau commerce. Elle concerne aussi le vendeur. D'abord le look, avec le plus souvent une barbe «islamiste» et la tête coiffée d'un bonnet blanc comme le tablier. Hassan ne semble nullement gêné par la nature de son activité pour le moins étrange en ce début du troisième millénaire. Il affirme, en outre que son revenu varie entre 60 et 100 dirhams de bénéfice net par jour. Exonéré d'impôts, il paye quand même un dû informel. «C'est la propreté et l'honnêteté qui donne confiance aux clients, commente Hassan, l'air fier et confiant. «Voyez vous même s'il y a un gramme de saleté ou quoi que ce soit de repoussant» ajoute-t-il. Effectivement, la table couverte de métal inoxydable scintille de propreté. D'autant plus que le gars parle à haute voix, tout à fait sûr de lui devant ses clients qui consomment goulûment la boisson chaude. Il faut dire que le prix est aussi abordable que tentant. Un dirham le verre. Un petit tableau, écrit à la main, affiché à côté de la grande marmite surmontant le feu de bois (le breuvage se consomme brûlant), indique les effets miraculeux du précieux liquide. Rhumatismes, douleurs de dos, des reins, maux d'estomac… Mais il est avant tout, et c'est ce qui fait sa prospérité, un aphrodisiaque. «Il n'y a pas de pudeur dans la religion», comme dit un autre vendeur, nettement plus âgé que Hassan, pour inciter les âmes timides à venir profiter de ce viagra local. La perspective de retrouver une virilité dont le compte à rebours est déjà déclenché, enchante pas mal de quinquagénaires qui constituent des consommateurs par excellence du khoudenjane. Cependant, un autre vendeur qui opère à proximité de la mosquée Mohamed V à Hay Mohammadi, définit autrement la formule magique «Celui qui vous détermine un nombre donné des herbes utilisées est un imposteur. Il se peut que le breuvage soit composé de plus de 300 espèces d'herbes différentes. Le dosage se fait à la main et non pas en grammes ou en centilitres. C'est tout un savoir» affirme-t-il. Un homme en train de boire se mêle de la discussion et lance «C'est une recette que je consomme depuis longtemps. Cela me permet de rester toujours jeune.» En tous cas la recette ne doit pas marcher à tous les coups, car le type paraît avoir plus de cent ans.