La présence du Roi Juan Carlos le laissait deviner : l'Espagne fonde de grands espoirs sur la réunion qui a rassemblé les opérateurs des deux pays mardi à Rabat autour du thème «Maroc-Espagne : un espace de prospérité partagée». Dans son discours d'ouverture, le monarque a dit ce qu'en attend son pays à un moment où celui-ci traverse l'une des crises économiques les plus graves et les plus pernicieuses que le monde ait jamais connues. ll a également eu à l'endroit du Maroc ces paroles qui ont enthousiasmé un auditoire déjà acquis à sa cause : «Nous sommes ici pour déclarer notre engagement à non seulement accompagner la modernisation industrielle du Maroc, mais encore sa projection à l'international». Tous ont compris le sens profond de l'intention du monarque : au regard de l'Espagne, le Maroc est une plate-forme susceptible de rayonner en direction de l'arrière-continent africain. Les orateurs qui ont succédé au Roi espagnol à la tribune le diront solennellement : c'est à une trilatérale du développement économique et du progrès social que souhaitent aboutir les travaux de la réunion et la visite du monarque qu'accompagne une nombreuse délégation d'officiels et d'hommes d'affaires dans le but «de relancer le partenariat stratégique et de renforcer des relations privilégiées par le voisinage géographique et la proximité historique». Les deux pays riverains du détroit de Gibraltar joueraient dans ce triangle le rôle de pionniers, avec, en perspective, l'adhésion de l'Afrique, aire géographique du Maroc et, pour l'Espagne, l'Europe et, l'Amérique latine, son champ d'affinités historiques et culturelles. Mais avant «cette projection à l'international», le Roi Juan Carlos a appelé à cultiver l'existant. Il est, cet existant, que le capital espagnol est présent dans 9.000 entreprises au Maroc, que les firmes espagnoles établies dans le Royaume sont plus d'un millier et que de l'autre côté du détroit, en Espagne, les Marocains résidents y ont créé quelque 2.000 petites entreprises. Un bel exemple d'investissements croisés, mais cependant un modèle perfectible, ont jugé les opérateurs des 2 pays. Les congressistes ont, en effet, laissé entendre que plusieurs voies s'offrent à cette amélioration : celle du développement urbi et orbi certes, mais aussi celle du partage de la connaissance et des techniques de production. Curieusement ce n'est pas des rangs des opérateurs marocains qu'est venue la revendication du transfert de technologie, mais des industriels ibères installés dans le Royaume. Le représentant d'une des firmes espagnoles les plus anciennement établies au Maroc – 1945 – a suscité autant d'attention et d'intérêt que ceux qui ont accompagné le discours du Roi Juan Carlos en annonçant clairement cette intention. Pour cet industriel rompu aux pratiques des affaires en pays étranger, il est temps de repenser non seulement l'aire de la coopération et son champ d'action, mais encore sa texture et son contenu. Tous ont compris qu'il est temps d'exporter le savoir-faire espagnol vers le Maroc si on veut d'une plate-forme rayonnant au plus profond du continent africain. Immenses sont les perspectives offertes à ce transfert. L'Espagne occupe les tout premiers rangs pour l'industrie de l'eau, les transports, les énergies renouvelables, le textile et l'habillement, le bâtiment et la construction…. tous des secteurs où il y a une demande réelle en Afrique et où le Maroc pourrait jouer le rôle de transpondeur. La CGEM s'est montrée sensible à cet argument et sa présidente, Miriem Bensalah-Chaqroun, en a convenu qui a qualifié cette journée de mardi de «jour de grande espérance». Le Roi du Maroc a toujours considéré que la coopération économique rapproche les peuples, a-t-elle déclaré comme pour dire que puisque la volonté politique y est, l'entrepreneuriat aurait mauvaise grâce à ne pas suivre. Car si l'Espagne est devenue le 1er client commercial du Maroc devant la France, celle-ci reste le premier partenaire économique du Royaume. Mais il y a des prémices de changement qui se lèvent à l'horizon : dans beaucoup de pays subsahariens, la finance marocaine accompagne l'implantation des entreprises espagnoles. Reste l'arrière-plan de la réunion : ces non-dits qui parlent d'eux-mêmes. Et le fait est qu'on n'a pas évoqué tous les subliminaux de «l'espace maroco-espagnol de prospérité partagée». Car si du côté espagnol on ne fait pas mystère de la volonté de se donner de l'air au Maroc - au moyen notamment de «l'internationalisation des entreprises espagnoles», de la délocalisation donc-, les choses sont moins bien livrées du côté marocain. Mais on ne peut s'empêcher de relever que cet espace partagé s'est ouvert après le boycott par le patronat marocain de la mission des hommes d'affaires turcs. Fronde prétendument menée dans le but «d'émettre un signal fort à Abdelilah Benkirane et de le sensibiliser à la méthode participative». Il n'a échappé à personne que le chef de gouvernement a brillé par son absence à la réunion patronale mixte du mardi, alors que plusieurs ministres de son parti y étaient et y ont même animé des débats.