Fouad Akalay est architecte et directeur du groupe de presse Archimédia. Il réagit au sit-in des architectes devant l'Agence urbaine de Casablanca. Pour Fouad Akalay, l'architecte est crédité de pouvoirs qu'il ne possède pas. La responsabilité en incombe aux agences urbaines qui obéissent à un mode de gouvernance désuet. Aujourd'hui le Maroc : Comment expliquez-vous la grogne des architectes ? Fouad Akalay : Les architectes ne sont pas assez consultés. Le président de l'ordre national des architectes l'a rappelé sans langue de bois, lors d'une intervention le 14 janvier. Tout le monde nous dit : “Vous les architectes, vous êtes responsables de l'espace urbain où nous vivons“. Les gens nous confèrent un pouvoir que l'on n'a pas en réalité. Il faut savoir qu'il existe au Maroc 2 500 architectes, dont 1 000 travaillent dans des administrations. Les architectes de l'administration ne peuvent pas réfléchir sur l'architecture, parce qu'ils sont contraints d'obéir aux décisions prises par leurs supérieurs hiérarchiques. Il reste les architectes privés… Et bien, ils veulent participer à la réflexion sur l'architecture, mais n'ont pas le pouvoir d'exprimer librement leur vision architecturale. Concrètement, comment se traduisent les entraves qui empêchent les architectes d'accomplir librement leur travail ? Un architecte n'est pas responsable de la hauteur d'un bâtiment, de la largeur d'une rue ou de la quantité d'espaces verts. L'architecte subit cet ordonnancement-là, et n'y participe pas. L'architecte ne pense pas la ville. Elle est dessinée par des fonctionnaires ! Il faudrait que les architectes soient des acteurs des mutations de la vie urbaine. L'habitat, le logement, les transports, l'environnement, les infrastructures, les techniques de conception des plans et la programmation des équipements gagneraient à être réfléchis en concertation avec les architectes. Or, jusque-là, les architectes ont été tenus à l'écart de cette réflexion. Les architectes qui tiennent aujourd'hui un sit-in ont des griefs particulièrement contre l'Agence urbaine de Casablanca. Qu'en pensez-vous ? L'Agence urbaine doit se faire aux changements opérés au Maroc. Elle ne peut pas continuer d'être gérée comme elle l'a été jusque-là. Sa gestion doit dépendre du ministère de l'Habitat. L'Agence urbaine doit jouer le rôle d'un moteur, d'une locomotive de l'économie. Elle doit être une source d'investissements. Elle doit se prononcer sur des sujets, expliquer sa vision de la ville, rendre publique sa stratégie. Elle ne peut pas se permettre le luxe de ne pas communiquer ! Or, force est de constater qu'il existe un déficit de communication à l'Agence urbaine de Casablanca. Aujourd'hui, aucune instance ne peut se permettre de ne pas communiquer, et encore moins quand elle s'appelle l'Agence urbaine de Casablanca. Comment expliquez-vous le statut exceptionnel des agences urbaines de Rabat et Casablanca qui continuent de dépendre du ministère de l'Intérieur ? Les raisons sont historiques. Auparavant, le ministère de l'Intérieur avait des prérogatives. Il intervenait dans des domaines très larges par rapport à la gouvernance du pays. Les agences urbaines de Rabat et Casablanca ont hérité de ce mode de gouvernance, inadapté aujourd'hui à la réalité du Maroc. Ce sont des réminiscences d'un ancien mode de gouvernance. Mais la situation urbanistique n'est pas florissante dans les villes où les agences urbaines dépendent du ministère de l'Habitat ? Oui, parce que ces agences ne tiennent pas leurs assises. Elles ne rendent pas compte de leurs actions. Elles n'expliquent pas l'état des lieux. Comment voulez-vous que la situation urbanistique soit rayonnante dans ces villes, alors que les agences urbaines travaillent dans l'opacité ! Il faut qu'elles initient des actions en direction des architectes, des élus politiques, des opérateurs économiques… En somme, elles doivent travailler de concert avec tous les acteurs, capables d'instruire une réflexion autour de cette chose qui nous intéresse tous : l'acte urbanistique.