De nombreuses données statistiques, rendues publiques jeudi, viennent de révéler au grand jour les grands problèmes que José Luis Rodriguez, président du gouvernement espagnol, et Mariano Rajoy, président du Parti Populaire (opposition conservatrice) ont feint ignorer dans l'échange de leurs diatribes au débat annuel sur l'état de la nation. Ce sont des données fiables qui décrivent le quotidien des millions d'espagnols et d'immigrés. Elles sont puisées dans des rapports de conjoncture d'institutions officielles ou d'études bien documentées réalisées par des ONG sérieuses. Ces sources révèlent l'image réelle de l'Espagne, non celle de la championne de la Coupe du monde de football, ni des grands succès et titres de Rafa Nadal ou du Barca. C'est l'Espagne où le nombre de pauvres ne cesse d'augmenter, l'épargne des ménages se rétrécit et les recettes de la Sécurité sociale diminuent. C'est aussi l'image du grand malade de l'Union Européenne avec 4,9 millions de sans-emploi, dont 150.000 marocains et avec plus 30% de la population active étrangère en chômage. Ces données sont bien explicitées dans les résultats de la dernière Enquête sur la Population Active (EPA) et rapports de conjoncture diffusés, mercredi, par le ministère du Travail et de l'immigration et celui de l'Institut Espagnol de la Statistique, rendu public, jeudi. Certaines parmi elles ont été également citées par Zapatero lors du débat sur l'état de la nation (mardi-mercredi) pour justifier le recours à l'adoption de mesures impopulaires et réformes drastiques pour remédier à la crise du marché du travail. D'abord, au niveau de la comptabilité de la Trésorerie de la Sécurité Sociale, les recettes ont baissé de 13% en mai dernier, par rapport à la même période de 2010. En dépit d'un excédent net de 8,152 de milliards d'euros, soit 0,75% du Produit intérieur Brut (PIB), la Sécurité Sociale a comptabilisé 1,226 milliards d'euros de moins, lit-on dans un rapport de conjoncture du ministère du Travail et de l'Immigration. Cet excédent est calculé sur la base des 48,12 milliards d'euros en termes de recettes contre 42,356 milliards d'euros de versements aux bénéficiaires sous forme de prestations et de couverture sociale. Une des causes avancées pour justifier la réduction des recettes, est tributaire à la diminution du volume des cotisations des travailleurs en chômage qui ont atteint un total de 43,612 milliards d'euros jusqu'au 31 mai, accusant une chute de 1,08% par rapport à la même période de 2010. Dans la rubrique, par exemple, des prestations contributives, les pensions (invalidité, retraites, veuvage et prestations et orphelinage) absorbent 35,27 milliards d'euros alors que les pensions et prestations non contributives ont bénéficié de 1,444 milliards d'euros, soit une hausse de 4,36% en comparaison avec celles de mai de 2010. Ce bilan négatif de la trésorerie de la Sécurité sociale en Espagne vient d'être accompagné de l'annonce, jeudi par la Banque Centrale d'Espagne, de l'annonce du déficit du compte courant qui se situe à 20,514 milliards d'euros durant les quatre premiers mois de l'année en cours (baisse de 2,2% para rapport à la même période de 2010). Le déficit de la balance commerciale, de janvier à fin avril, s'est élevé à 14,97 milliards d'euros (15,73 milliards d'euros de janvier à avril de 2010). Le solde positif de la rubrique tourisme et voyages a, par contre, augmenté pour atteindre 6,9 milliards d'euros durant le premier quadrimestre de l'année en cours (contre 5,94 milliards durant la même période de 2010). Par contre, le déficit des autres services s'est élevé à 35,2 milliards d'euros de janvier à avril (face à 30,19 milliard durant la même période de 2010). Au chapitre des mouvements de capitaux, la Banque Centrale d'Espagne signale qu'au premier quadrimestre, les investissements directs ont provoqué le départ net de 7,11 milliards d'euros, face à des entrées nettes de 9,392 milliards d'euros de 2010. Les investissements directs de l'Espagne à l'étranger ont provoqué l'émigration de 14,875 milliards d'euros de janvier à avril dernier. De même, les investissements de portefeuille ont généré des entrées nettes de 28,711 milliards d'euros, face à des sorties nettes de 924,5 millions d'euros pendant la même période. Le autres types d'investissements accumuleront des sorties nettes de capitaux pour une valeur de 9,916 milliards d'euros. De son côté, l'Institut Espagnol de la Statistique (INE) signale, dans son rapport mensuel de conjoncture relatif à l'Indice des Prix à la Consommation (IPC), un taux d'inflation interannuel de 3,2%. L'augmentation du prix du carburant a atteint, de janvier à avril, une moyenne de 3,5%. Cette donnée a un lien direct avec le pouvoir d'achat des ménages qui ont vu leur capacité d'épargne baisser de 3,7 points de mai 2010 à mai 2011. Le taux d'épargne des ménages et institutions à but non lucratif s'est situé à 4,4% de leur revenu disponible au premier trimestre, un chiffre inférieur de 3,7 points d'il y a un an à cause surtout de l'augmentation de la consommation des ménages. En rapport avec le quatrième trimestre de 2010, le taux d'épargne des ménages espagnols s'est réduit de plus de quinze points en passant d'un taux de 19,8% à 4,4% fin mars. En termes réels, le volume de l'épargne des ménages était de 7,38 milliards d'euros au premier trimestre de 2011, ce qui suppose une baisse de 6,219 milliards d'euros de moins par rapport au même trimestre de l'année précédente à cause précisément de la croissance de la consommation de 4,5% de janvier à mars dernier. Ces données statistiques n'auront de sens que lorsqu'ils sont comparées avec la réalité sur le terrain. A ce titre, il est instructif de se référer à un récent rapport qui détermine le nouveau profil du pauvre en Espagne. Le rapport se base sur la ventilation des personnes nécessiteuses qui fréquentent les centres d'assistance sociale. Le profil actuel de la personne cataloguée comme pauvre est un homme espagnol dont l'âge varie entre 37 et 40 ans. En 2008, le profil de pauvre était celui d'une femme étrangère de 35 à 40 ans. Cette description est déterminée par les rédacteurs d'un rapport réalisé pour le compte de l'ONG catholique Caritas. Le nombre de personnes et familles nécessiteuses a doublé de 2008 à 2010 à cause de la crise économique qui sévit en Espagne, note Caritas qui affirme avoir presté assistance dans ses installations à 114.000 personnes en 2010. Entre 2008 et 2010, un total de 322.000 personnes ont bénéficié de tout type d'assistance sociale de base de la part des volontaires de Caritas, lit-on dans le même rapport. Jusqu'à 2009, les personnes qui sollicitent ce type d'aide (produits alimentaires de base, vêtements, repas chauds surtout) étaient en général des femmes étrangères âgées de 35 à 40 ans, dont deux sur trois étaient extracommunautaires. Elles sont suivies des jeunes de 16 à 30 ans, des femmes aux charges familiales sans formation et au chômage. A cause de la persistance de la crise et des licenciements massifs, les nouveaux pauvres en Espagne sont aujourd'hui des espagnols de 35 à 40 ans qui jouissaient d'une situation sociale stable et occupée. Ce sont aussi des personnes qui ont une formation mais viennent de perdre leur emploi et ressources, et plusieurs d'entre eux étaient des chefs d'entreprise. Cette situation conduit dans certains cas à des ruptures matrimoniales et pour manque d'opportunités et mesures d'expulsions de leurs résidences pour non paiement d'hypothèques « tombent dans la pauvreté». En 2010, Caritas avait apporté un total de 14.400 aides économiques directes et en 2011, elle a mis en marche un fonds d'urgence de solidarité doté d'un million d'euros. Selon la dernière Enquête sur la Population Active, dont les résultats ont été diffusés le 29 avril dernier, le nombre de familles dont tous les membres actifs sont en chômage avait augmenté au premier trimestre de 2011 de 58.000 pour se situer à 1.386.000. Il s'agit de familles jeunes avec des enfants en bas âge qui ne se sont jamais trouvées dans la circonstance de demander une aide quelconque. Les personnes nécessiteuses sont désormais des chômeurs de longue durée avec un niveau de formation moyen-haut ou provenant d'emplois de basse qualification tels les secteurs du bâtiment, l'hôtellerie ou l'industrie, qui ont cessé de percevoir des prestations sociales et se trouvent écrasés par des hypothèques et dettes. C'est le panorama de l'Espagne à la ville des vacances pour les groupes parlementaires qui viennent d'assister au dernier débat sur l'état de la nation de Zapatero en tant que président du gouvernement. Les résolutions adoptées vont entrer dans les éphémérides des sessions parlementaires mais aucune d'elles ne changera le cours de la vie de près de cinq millions de personnes en quête d'un emploi, qui seront avec leurs membres de famille, privés de quelques jours de repos à la montagne ou à la plage.