Les révolutions qui secouent une grande partie du monde arabe ont, mercredi, dominé les assises du 10 ème forum arabe de l'information à Dubaï (Emirats Arabes Unis, 17-18 mai), qui ont élu pour thème central «Les médias arabes et les tempêtes de changement». Toues les tables rondes et ateliers de travaux ont connu d'âpres débats sur l'interaction de la chose politique et la communication, et le rôle qu'ont eu les médias dans la promotion de courants contestataires qui, finalement, se sont transformés en de véritables révolutions populaires. Le forum a constitué l'occasion pour les académiciens, journalistes, chercheurs et étudiants en vue de repasser, avec un regard très critique, les premiers acquis de ces révolutions. Il a été aussi un espace d'échanges de réflexions sur l'avenir de la communication dans le monde arabe et la menace permanente qui guette les décideurs politiques pour persister d'ignorer la volonté de leurs jeunesses en rupture avec les modes traditionnels dans la gestion de la chose publique. Cette réalité a été résumée en peu de mots, mardi, par le premier ministre d'Egypte, Issame Charaf, dans un discours d'ouverture de ce forum, lu en son nom par le ministre égyptien de la culture, Izzam Abou Ghazi. Les médias arabes ont joué, selon lui, « un important rôle » dans la création de la réalité politique aussi bien du point de vue positif que négatif. Ceci s'explique par le fait, a observé Charaf, que l'importance des médias a grandi parallèlement aux mouvements de changement qui secouent les sociétés arabes pour avoir réussi à mobiliser leur potentiel en portant main forte aux leaders du mouvement de changement, et exerçant par la suite une influence sur la décision politique. Les médias ont ainsi pu conduire à des changements dans certains régimes arabes pour introduire des réformes, a noté le premier ministre d'Egypte avant de reconnaître que «le monde arabe se trouve en face de deux phénomènes antagonistes ». Il y a d'un côté des « régimes qui s'attachent fermement à leurs sièges et essaient, par tous les moyens, d'avorter toute tentative de rotation pacifique du pouvoir ». De l'autre côte, il existe de « fortes pressions sur ces régimes qui leur exigent d'opter pour moins de pression policière». Il a cependant rendu hommage aux mouvements révolutionnaires dans le monde arabe parce que, a-t-il assuré, «le changement vers une vie meilleure pour la dignité et les droits humains dans un monde, dominé par les révolutions technologiques, a pour objectif de rompre toutes les chaînes imposées dans le passé». Cette prédiction du chef de l'exécutif égyptien a été développée, mercredi, avec plus d'emphase par les participants au niveau des débats à la table ronde intitulée « les arabes entre les défis du changement politique et les médias ». Ce débat a permis de démontrer que les médias traditionnels (ou conventionnels) et les médias nouveaux (électroniques ou virtuels) se complètent dans la mesure où ils opèrent un échange de données et de vérités en vue de contribuer à une large diffusion d'informations et au renforcement de la crédibilité. Deux courants de pensée ont surgi lors de ce débat. Un courant qui observe que les nouveaux médias poussent leurs aînés classiques vers l'extinction alors qu'un autre appuie l'idée de complémentarité entre les deux types de médias. Des intervenants ont pourtant soutenu que les deux types de médias ont assumé, chacun de son côté, sa part dans la mobilisation des masses arabes durant les révolutions pendant les derniers mois. Lorsque disparaît l'information (donnée concrète) et lorsque les médias étrangers sont interdits d'exercer, le peuple assume par ses propres mains la responsabilité en prenant la caméra, le micro, le téléphone cellulaire et utilise ses blogs, sites Internet ou sites de réseaux sociaux pour informer. C'est la raison pour laquelle s'impose aujourd'hui le recours à des instruments de vérification des informations diffusées ou présentées par les chaînes de télévision et les réseaux sociaux. Ceci signifie aussi que les médias conventionnels «ne sont pas encore morts» puisqu'ils continuent de jouir d'une forte audience auprès du public en comparaison avec les médias nouveaux. Certains intervenants ont mis, cependant, le doigt sur les dangers qui peuvent surgir lorsque des services de renseignements commencent à « exploiter » les informations collées aux réseaux sociaux dans le but de porter atteinte à la crédibilité des mass médias. C'est le cas, par exemple, de l'erreur commise par Reuters et Al Jazeera lorsqu'ils avaient diffusé de fausses images de révolutions arabes qui, en réalité, furent prises à des lieux et à des moments différents. Autre exemple cité est celui du recours à des «observateurs en place» ou «témoins oculaires». De même, de nombreux jeunes journalistes, qui n'ont pu être recrutés par les medias conventionnels sont passés outre cette ignorance et cette marginalisation en lançant leurs propres canaux sur «You tube ». Ils ont réussi ainsi à faire concurrence aux médias classiques grâce à la grande audience acquise auprès d'un large public fort de millions d'internautes. Autre argument de taille qui mérite un intérêt particulier de la part des chercheurs est que désormais les médias dans le monde arabe exercent sur la base d'agendas politiques concernant les régimes ou forces de pression, au même titre que leurs confrères occidentaux. C'est un indice qui corrobore la nouvelle tendance des médias de reconstituer l'image du citoyen arabe par ses propres moyens après les révolutions, mouvements contestataires et insurrections politiques et sociales. Cependant, d'autres voix critiques se sont élevées pour dénoncer le rôle de certains populistes et manipulateurs de slogans dans le monde arabe qui créent un amalgame entre la réalité des régimes politiques et la mission des médias. Avant les révolutions populaires en Tunisie et en Egypte, personne dans les deux pays n'osait manifester son point de vue mais la jeunesse a pu s'exprimer à travers le monde virtuel, ce qui avait finalement conduit à des révolutions. C'est précisément ces mêmes révolutions qui ont réussi à leur tour à «changer» le mode de travailler des médias. Actuellement, il paraît clair que les médias nouveaux ne cessent de bousculer les medias officiels en s'emparant graduellement de l'espace qu'ils occupent. Dans un atelier de travail, animé et dirigé exclusivement par des étudiants d'instituts supérieurs et facultés de communication arabes, les jeunes ont manifesté leur colère contre leurs aînés les vétérans aux médias conventionnels qui les marginalisent. Cette attitude a pour conséquence le recours aux médias nouveaux, comme source d'inspiration et moyen d'expression. Le 10 ème forum arabe de l'information a clos ses travaux, mercredi soir, avec la remise des «prix de la presse arabe». La cérémonie, présidée par Cheikh Mohamed Ben Rached Al Mektoum, vice-président de l'Etat des Emirats Arabes Unis, président du conseil et gouverneur de Dubaï, a été l'occasion de récompenser les meilleurs travaux de 12 journalistes arabes sur un total de 3.800 concurrents. Le forum a ainsi pris fin mais a relancé les éternels débats sur la viabilité des médias et leur rôle dans la promotion des idées, des pensées et des opinions. Cette fois, ces moyens de communication de masse ont eu l'opportunité de porter main forte aux mouvements de protestation de la jeunesse arabe et aux forces contestataires qui ont conduit à des révolutions. Ainsi, les médias ont-ils accompagné un monde arabe qui bouge dans son nouveau réveil pour la revendication de davantage de libertés, de justice et d'égalité.