Il n'existe pas une classe moyenne mais des classes moyennes. Et celles-ci joueraient un rôle crucial dans les bouleversements que connaît le monde arabe. Ces classes moyennes forment « un ensemble hétérogène de populations définies, en partie, par leur niveau de vie » et se situent au dessus des classes pauvres et au dessous des classes aisées. Elles englobent les ingénieurs, les professeurs d'université, les professions intellectuelles, les cadres de l'armée, de la police, de la gendarmerie, de la justice et des autres corps de l'Etat mais aussi les infirmiers, les instituteurs auxquels on peut adjoindre les adhérents du Mouvement du 20 février avec toutes ses différentes composantes vu leurs profils intellectuels et les ambitions qu'elles nourrissent. Dans notre pays, ces classes qui rassemblent 53%*de la population, soit 16,3 millions de personnes dont 62,9% en milieu urbain, connaissent un taux de chômage de 14%, une dégradation continue de leur niveau de vie d'où une paupérisation galopante. Parallèlement, le nombre des pauvres qui n'était que de 4,6 millions de personnes en 1985 avoisine, aujourd'hui, les 6 millions. Soit près d'un marocain sur cinq qui vit avec moins d'un $ par…jour !!!* Ainsi classes moyennes et classes déshéritées regroupent plus de 7O% de la population marocaine. Un chiffre qui donne toute sa signification à la déclaration de M. Nizar Baraka , ministre des Affaires économiques et générales, faite lors de la rencontre organisée par la Banque mondiale au sujet des réseaux sociaux et de la problématique de l'emploi Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Déclaration où il affirmait que « Si dans les institutions internationales, il y a de plus en plus d'appels à intervenir contre la pauvreté, il ne faut pas oublier non plus la classe moyenne et son rôle dans la dynamique sociétale » Par ce véritable cri d'alarme, le responsable marocain voulait attirer l'attention sur la nécessité impérieuse de « chouchouter » les classes moyennes de peur de les voir basculer dans la contestation. Ce qui aboutirait à des révolutions et à des changements de régimes comme ce fut le cas en Tunisie et en Egypte. Ainsi, lors de la « Révolution du Jasmin », l'Union Général des Travailleurs Tunisiens joua un rôle déterminant dans le déclanchement de la contestation laquelle ne se transforma en révolution que lorsque les classes moyennes descendirent dans la rue. Ce qui décida, certainement, l'armée à ne pas prendre fait et cause pour le régime de Ben Ali. Les classes moyennes tunisiennes devinrent un moteur de changement politique car elles aussi avaient été réprimées politiquement et marginalisées économiquement par un régime totalitaire dominé par une mafia familiale, celle des Traboulsi. En Egypte après plusieurs cas d'immolation par le feu, divers mouvements comme le Mouvement du 6 avril appelèrent le 25 janvier à manifester via des pages Facebookk, pour une journée de revendications politiques baptisée « journée de la colère ». Le jour choisi est une fête nationale, nommée « Jour de la police », en souvenir de l'insurrection de la police égyptienne en 1952 qui avait abouti au départ des Britanniques. Moins d'une semaine après cette « Journée de la Colère », les classes moyennes démocrates adhéraient au mouvement contestataire suivies par une large partie du monde ouvrier. Ces composantes de la société égyptienne avaient en commun d'avoir été réprimées politiquement et exploitées économiquement par un régime totalitaire dirigé par une mafia familiale celle de Moubarak et par les dirigeants prédateurs du Parti National Démocrate. Quant à l'armée, elle opta pour une neutralité positive en faveur des révolutionnaires. Les révolutions tunisienne et égyptienne ne furent pas engendrées ex nihilo mais sont le résultat d'une longue maturation, d'une longue incubation d'exaspérations, de frustrations, d'humiliations, mais aussi de contradictions de classes. A noter que les millions de tunisiens et d'égyptiens qui ont chassé les potentats Moubarak et Ben Ali demeurent toujours mobilisés. Leurs buts; -Tenir sous haute surveillance les nouveaux responsables chargés d'assurer la transition démocratique afin que nul ne confisque leurs révolutions. -Faire barrage à toute contre révolution qu'essayeraient de fomenter les tenants des régimes déchus. Au Maroc, les classes moyennes sont en passe de basculer du côté du Mouvement du 20 février, comme ce fut le cas en Tunisie et en Egypte. Preuve en est leur participation de plus en plus importante aux marches organisées par ce mouvement et dont la dernière, celle du 24 avril, a eu lieu dans des dizaines villes et villages et à laquelle ont participé prés de cent mille citoyens et citoyennes La classe ouvrière, elle aussi, est en train de se ranger aux cotés des jeunes contestataires. A relever, dans ce sens, les appels de soutien lancés, en leur faveur, par les centrales syndicales UMT et CDT. Il en est de même pour le lumpen prolétariat comme en témoigne la manifestation organisée dans le quartier le plus déshérité de Salé, celui d'El Qaria le 17 mars dernier. Autre conséquence du Mouvement du 20 février, des corps sécuritaires comme ceux de la Gendarmerie, de la police disposent désormais de leurs pages sur Face book où ils expriment leurs revendications et dénoncent la gabegie et la corruptions entretenues par leurs supérieurs. Quant aux juges, ils demandent le départ de leur ministre et réclament une réelle indépendance de la justice ! Sans oublier et des mouvements religieux tels celui des salafistes et du Adl Wa El Ihsan. Sans oublier aussi les retraités toutes catégories y compris ceux des corps sécuritaires. Certes le royaume n'est ni la Tunisie ni l'Egypte, certes comparaison n'est pas raison, mais es-ce pour autant que l'on peut affirmer qu'il est à l'abri ? Les classes moyennes constituent, bel et bien, soit un moteur de changement social, soit un stabilisateur de la société et de son système politique. *Voir l'enquête réalisée par le Haut Commissariat au plan et dont les résultats ont été publiés en mai 2009