Fatima Agnaou est professeur de l'enseignement supérieur, spécialiste en didactique des langues. Ses domaines de recherche en plus de la didactique sont : la littéracie, la formation des enseignants, la littérature de jeunesse et les manuels scolaires. Auteur de Gender, Literacy and Developement in Morocco aux éditions Routledge, New York et de plusieurs articles sur l'enseignement / apprentissage des langues dans plusieurs revues nationales et internationales. Professeur invité dans plusieurs universités internationales, notamment Harvard, UPEN et Georges Washington, Fatima Agnaou est depuis Juillet 2002, détachée à l'IRCAM en tant que directrice de recherche et coordinatrice de l'UER : didactique, Centre de la recherche didactique et des programmes pédagogiques (CRDPP). 2- Quelles sont les missions assignées au Centre de la Recherche Didactiques et des Programmes pédagogiques ? Le CRDPP veille à la mise en œuvre de l'une des missions stratégiques assignées à l'IRCAM dans l'article 3 du Dahir créant et organisant l'Institut. Il s'agit précisément de (i) la production des outils didactiques pour l'enseignement/ apprentissage de l'amazighe ; (ii) L'élaboration des plans d'actions pédagogiques dans l'enseignement général et dans la partie des programmes relative aux affaires locales et à la vie régionale, en collaboration avec le Ministère de l'Education nationale ; (iii) l'élaboration de programmes et de modules de formation au profits des formateurs et au profit des cadres pédagogiques chargés de l'enseignement de l'amazighe en collaboration avec les académies régionales, les centres de formation et les universités ; (iv) la réalisation des recherches et des études sur l'enseignement/ apprentissage de l'amazighe. 3- Dressez un bilan du travail accompli par votre centre ; Conformément aux missions qui lui sont assignées, le CRDPP a réalisé les actions suivantes : 1. la conception et la production des manuels scolaires (élèves et enseignants) de la 1ère à la 6ème année du primaire dans le cadre de la convention liant l'IRCAM et le Ministère de l'Education nationale ; 2. la production de supports didactiques appuyant l'enseignement/apprentissage de l'amazighe (contes, histoires illustrées, comptines, vocabulaire thématique, imagiers, bandes dessinées, cahiers d'écriture et de graphisme, cd rom ; 3. L'élaboration des cahiers et guides des situations d'intégration pour tous les niveaux du primaire, en collaboration avec le centre de l'innovation pédagogique au MEN; 4. La production de manuels d'apprentissage de l'amazighe aux adultes ; 5. l'élaboration de modules de formation au profit des formateurs des centres de formation, des enseignants et des inspecteurs de l'enseignement du primaire ; 6. l'élaboration des programmes de l'enseignement/ apprentissage de la langue amazighe pour le primaire, en collaboration avec la Direction des curricula au Ministère de l'Education nationale; 7. l'élaboration d'un dispositif de formation pour les centres pédagogiques régionaux (CPR) en collaboration avec la Direction de la Formation, Ministère de l'Education nationale ; 8. la formation des acteurs pédagogiques (formateurs, inspecteurs, enseignants, directeurs des écoles) en collaboration avec le MEN 9. la formation des étudiants universitaires en collaboration avec l'Université Ibn Zohr, Agadir, l'Université Fès Saïs à Fès; l'Université Mohammed I, Oujda, Université Abdel Malek Saadi, Tétouan et l'Université Hassan II, Mohammedia. 10. la formation de cadres professionnels, notamment les cadres du Ministère de l'Intérieur. D'autres actions sont en cours de finalisation, notamment : (i) un guide pratique pour l'enseignant de l'amazighe ; (ii) un lexique scolaire en collaboration avec le Centre de l'aménagement linguistique, IRCAM ; (iii) un guide du formateur dans les CPR ; (iv) les programmes pour l'enseignement de l'amazighe au collège ; (v) des textes choisis pour l'enseignement / apprentissage de l'amazighe au collège ; (vi) une grammaire scolaire. 4- Quelle est la part de la recherche scientifique dans votre Centre ? La recherche occupe une place importante dans le CRDPP. Elle se manifeste sous forme de : 1. journées d'études avec des experts nationaux et internationaux ; 2. colloques nationaux et internationaux ; 3. recherche sur les apprentissages et les pratiques en classe ; 4. ateliers de réflexion et de formation sur les nouvelles approches pédagogiques. 5- Parlez-nous des valeurs véhiculées par les manuels de l'amazighe que votre centre a élaborés ; Lors de l'élaboration des cahiers de charges et des progressions pédagogiques des manuels scolaires, les valeurs éducatives constituent une composante aussi importante que les compétences et les fonctions communicatives à développer chez les apprenants. Ces valeurs sont de trois types : (i) des valeurs cognitives et intellectuelles telles la créativité, la curiosité et le développement du sens critique ; (ii) des valeurs d'ordre social telles l'entraide, la solidarité, l'empathie, le respect des autres et de l'environnent, la non violence et l'acceptation de la diversité et de l'altérité ; (iii) Des valeurs d'ordre personnel telle le respect de soi, la tolérance, et la fierté. 6- A quel objectif répond l'enseignement de l'amazighe aux enfants marocains ? Je résumerai la finalité de l'enseignement de l'amazighe dans le développement de deux valeurs éducatives capitales. La première est d'ordre interrelationnel. Il s'agit de la capacité de trouver un équilibre entre ses droits et ceux des autres. La deuxième est de type identitaire. Elle concerne l'appropriation de la culture marocaine dans toutes ses dimensions. 7- En dehors de l'école, quels sont les autres vecteurs de vulgarisation de la langue et de la culture amazighes ? La meilleure école de transmission de la langue amazighe est bien évidemment la famille. Vu la globalisation, l'émigration, l'urbanisation qui constituent une menace pour la sauvegarde de l'amazighe, il faudrait développer, en plus de l'enseignement et des masses média, une politique culturelle et linguistique familiale pour assurer la transmission de la langue dans le but d'assurer sa pérennité, sa préservation et sa valorisation. Sur le plan social, il faudrait créer un environnement propice à l'émergence d'une littéracie favorisant la maîtrise de la langue (enseignes, écriteaux, affiches, etc.). 8- Comment appréciez-vous l'évolution de la militance amazighe au Maroc ? Si la langue amazighe est actuellement enseignée dans les écoles et si elle est introduite dans les masses médias c'est grâce aux revendications du mouvement amazighe, intellectuels et associatifs, qui continue à militer pour que l'enseignement de l'amazighe bénéficie de meilleures conditions que celles qui lui sont offertes à présent ; sachant qu'au niveau académique, la langue amazighe a tout ce qu'il faut pour être enseignée. Elle bénéficie d'une graphie codifiée, de règles d'orthographes standardisées, d'un lexique de base commun, d'une grammaire unifiée et enrichie par les variations dialectales. Des manuels scolaires, des supports didactiques et des modules de formation ont été élaborés, des milliers de cadres pédagogiques ont été formés et des filières accréditées ont été mises en place dans certaines universités.. Au niveau de la législation, des notes ministérielles réglementant l'enseignement de l'amazighe et sa généralisation, la formation des enseignants et les emplois de temps existent. Cependant, au niveau opérationnel, l'enseignement de l'amazighe doit bénéficier des conditions assurant sa réussite. Etes vous optimiste pour l'avenir de l'amazighité au Maroc ? L'amazighité est une responsabilité nationale et son avenir dépend du degré de conscience des Amazighes et des Marocains en général, et de d'implication des pouvoirs publics. 9- Votre dernier mot. Nnan willi zrinin « ur da ittgga yan ubaw talkhcha ! » La traduction de ce dicton amazighe est « un seul grain de fève ne fait pas un repas ». Autrement dit, il faut la conjugaison des efforts de tous pour assurer les conditions de réussite du processus de promotion de l'amazighité. L'IRCAM au SIEL Dans le cadre de ses activités de rayonnement, l'Institut Royal de la Culture amazighe a participé à au Salon International du Livre et de l'Edition qui s'est tenu à Casablanca du 11 au 20 février 2011. L'Institut y a tenu un stand permanent d'exposition-vente des publications de l'Ircam. Diverses activités culturelles et scientifiques ont été également organisées durant la période du salon. Il s'agit particulièrement de deux tables rondes. La première modérée par Mme Fatima Sadiqi, a eu lieu le samedi 12/02/4/11, à la salle Edmond Amran El Maleh. Et a porté sur « La culture amazighe et la construction de la société du savoir ». Des spécialistes et des chercheurs de la culture amazighe ont donné des exposés relatifs au thème. Il s'agit de Mme Fadoua Ataa Allah et MM. M'hamed El Baghdadi, Ahmed Chaabihi et Ahmed El Mounadi. La deuxième table ronde, modérée par M. Mohamed El Manouar, a eu lieu le mardi 15/02/11, à la même salle et a porté sur la lecture de l'histoire et la construction de la société du savoir. MM. Mahfoud Asmhri, Mustapha Ouachi et Mohamed Bokbot, spécialistes et chercheurs en histoire, ont donné des exposés portant sur l'importance de la connaissance de la dimension historique de l'histoire nationale pour la construction d'une société du savoir. Coté centres de recherche, plusieurs ateliers et activités ont été organisés. Il s'agit de : - La signature de livres : Capter l'Atlas de M. Ali Fertahi, Le mouvement du Cheikh El Hahi et l'émergence de l'Imara de Taroudant de M. Noureddine Sadek et l'ouvrage de M ? Houssine Ousgane L'Etat et la société au siècle des Almohades ; - Exposition : photos de gravures, greniers, habits, poterie, bijoux et tapis ; - Ateliers sur : la calligraphie, le conte, tifinaghes, le site Web Ircam… Hommage à Mouloud Mammeri Dda Lmulud, Mouloud Ait Maammar pour l'état civil, nous a quitté un mois de février 1989, voici déjà plus de deux décennies. Pionnier de la revendication amazighe, Dda Lmulud a vécu loin des feux des projecteurs. Il a dédié sa vie pour notre culture amazighe, multipliant les perspectives, touchant tout et défrichant inlassablement le terrain pour sauvegarder notre mémoire civilisationnelle. Il a passé une partie importante de ses recherches auprès de dépositaires de notre culture : au Gourara, au Hoggar et ailleurs. Il a collecté chants, poèmes, contes et devinettes a produit des textes d'analyse avant de mettre à notre disposition une grammaire amazighe qui servira de référence à tous les berbérisants et à tous les activistes et militants amazighes. Dda Lmulud a initié toutes les chercheurs et activistes amazighes en Algérie, au Maroc, aux Ils Canaries et dans la Diaspora amazighe. Infatigable et serein, il a su nous rendre confiance en notre culture et en nos capacités à relever le défi : la défense, la sauvegarde et le développement de nos culture millénaire amazighe. Dda Lmulud a compris que la défense de l'amazighité passe d'abord par sa sauvegarde et sa préservation. Et c'est la tache qui l'a occupé sa vie durant. Dda Lmulud est aussi écrivain amazighe - algérien d'expression française, au même titre que Mouloud Feraoun, Mohamed Dib et Kateb Yacine. Ci-après une liste d'une partie de sa production en français et en amazighe. L'œuvre littéraire de langue française 1. La colline oubliée, Paris, Pion, 1952, 255 p. (roman) 2. Le sommeil du juste, Paris, Pion, 1955, 254 p. (roman) 3. L'opium et le bâton, Paris, Pion, 1965, 290 p. (roman) 4. Le banquet, suivi de La mort absurde des Aztèques, Paris, Librairie académique Perrin, 1973, 312p. (essai et pièce de théâtre) 5. La traversée, Paris, Pion, 1982, 197 p. (roman) 6. Le Foehn, Paris, Publisud, 1982, 94 p. (théâtre) 7. Machaho ! et Tellem Chaho ! (Contes berbères de Kabylie), Paris, Bordas (« Aux quatre coins du temps »). 1980, 125 et 123 p. L'œuvre berbérisante 1. Lexique français-touareg, dialecte de l'Ahaggar, 1967, Alger, IRS-CRAPE, 511 p. (en collaboration avec J.-M. Cortade) 2. Les Isefra, Poèmes de Si Mohand ou Mhand, Paris, Maspero, 1969 (réédit. 1982), 480 p. 3. Tajerrumt n tmaziàt (tantala taqbaylit), Paris, Maspero, 1976, 118p. 4. Poèmes kabyles anciens, Paris, Maspero, 1980 (réédit. 1987), 470 p. 5. L'ahellil du Gourara, Paris, MSH, 1985, 446 p. 6. Précis de grammaire berbère (kabyle), Paris, MSH (Awai), 1986, 136 p. (première édition ronéotypée : Université d'Alger, 1967, 164 p.) 7. Cheikh Mohand a dit. Yenna-yas Ccix Muhend, Alger, CERAM, 1989, 208 p.