Au lendemain de l'indépendance, le Maroc avait fait de la gratuité des soins un droit inaliénable pour tous les citoyens. Cette décision avait été prise au moment ou les possibilités humaines et matérielles étaient très limitées, mais les décideurs et les responsables de l'époque voulaient en faire pour notre population un acquis et donc un droit. Les temps ont changé, les promesses faites hier ne sont que des vœux pieux. Aujourd'hui en ce début du XXIéme siècle à, que peut-on dire de la gratuité des soins dans notre pays au moment où le fameux RAMED, ne cesse de ramer depuis 5 ans sur une mer agitée tel un bateau ivre incapable de rentrer à bon port. Quel bilan peut-on établir de la gratuité des soins en tant que politique de santé ? La gratuité des soins pour une large frange de la population représente en soi un haut degré de civilisation, c'est l'évidence même. En effet, quoi de plus normal, de plus juste et de plus équitable pour un pays qui a à cœur la santé de sa population, que de consacrer une part non négligeable de ses richesses à cette population qui n'a pas les moyens pour se faire correctement soigner. Si durant les années 60 et 70 le problème de la gratuité des soins ne s'est pas posé en terme de financement, c'est que la population marocaine n'était pas aussi nombreuse qu'aujourd'hui, les maladies longues et coûteuses ainsi que les maladies de longues durées (cardiovasculaires, diabète, cancers, insuffisance rénale...) ne concernaient pas une frange importante de notre population , l'espérance de vie n'était pas la même qu'en 2011, les coûts des médicaments, des appareils n'étaient pas ceux que l'on connaît actuellement, il n'y avait pas de crise économique… Autant de facteurs qui peuvent expliquer les choix qui plaidaient en faveur de la gratuité des soins. Les choses ont radicalement changé et la gratuité des soins risque malheureusement de n'être qu'un souvenir d'une époque révolue. La question qui se pose est de savoir ce que vont devenir celles et ceux qui n'ont pas de moyens pour se faire soigner ? Celles et ceux qui sont démunis et qui n'ont pas de quoi s'acheter des médicaments et qui sont obligés de s'adresser aux établissements publics se voient souvent interdits d'accès aux examens biologiques et radiologiques. Et combien même, ils présentent leur certificat d'indigence pour prouver leur incapacité financière, celui – ci ne sert souvent à rien. Le certificat d'indigence a tué nos hôpitaux Pour bien comprendre et maitriser la réelle portée d'un tel document qui ouvrait a ses détenteurs toutes les portes au niveau des hôpitaux publics, il est de notoriété de faire savoir que ce certificat permettait de se faire soigner, de se faire opérer, d'avoir accès aux examens biologiques, radiologiques les plus sophistiqués et les plus coûteux. Le malade pouvait rester hospitalisé pendant 10, voire 20 jours, soigné, nourri et sortait sans rien devoir à l'hôpital. Le certificat d'indigence était délivré par le Mokkadem, ce fameux sésame qui ouvre toutes les portes était une exclusivité de ces agents qui n'hésitaient pas un seul instant à abuser de ce pouvoir pour remettre les certificats d'indigence même aux personnes nanties moyennant du bakchich. C'est en grande partie ce qui explique que 80 % des patients qui s'adressent aux structures hospitalières sont des indigents. Face à cette situation qui dure depuis des décennies, les hôpitaux ne peuvent plus faire face aux coûts des soins qui connaissent des courbes exponentielles chaque jour. Le ministère de tutelle a depuis longtemps jeté l'éponge surtout que le budget qui est alloué à la santé pour plus de 30 millions d'individus est tout simplement dérisoire, Par ailleurs, il faut savoir que nos hôpitaux reçoivent plus de 6 millions de Marocains par an et que les services d'urgence en accueillent plus de 3 millions. Plusieurs problèmes se posent. Celui du certificat d'indigence, dont les critères d'éligibilité ne sont pas précis et qui est remis à tout venant. D'ailleurs, les chiffres sont forts révélateurs puisque 80 % de ceux qui se dirigent vers l'hôpital public produisent un certificat d'indigence ; 56% de ceux qui ont les moyens de payer bénéficient de la gratuité lorsqu'ils s'adressent à l'hôpital public. C'est ce genre de situation, ce genre de dysfonctionnement qui ont fini par nuire aux hôpitaux. De grands espoirs avaient été placés dans le fameux Régime d'assistance Médicale aux Economiquement Démunis (RAMED) dont l'entrée en vigueur était prévue pour 2006. Il s'agissait d'établir des critères d'éligibilité plus précis en ce qui concerne les citoyens susceptibles de bénéficier gratuitement des soins. RAMED : Plus de 12 millions de marocains Le RAMED susceptible de permettre à plus de 12 millions de Marocains d'avoir accès à des prestations de qualité tarde à voir le jour. La répartition des ressources humaines et matérielles sur l'ensemble du territoire national reste dominée par un déséquilibre choquant qui pénalise lourdement et dangereusement le milieu rural, caractérisé par endroits par un désert médical qui rappelle le moyen âge. Le droit à la santé est bafoué, il n'y a pas d'équité, de justice sanitaire, le monde rural est marginalisé et il en paie un lourd tribu : la mortalité maternelle y est très élevée, nos concitoyens meurent par suite d'une morsure de scorpion ou de piqûre de vipère, la mortalité infantile fait aussi partie du lot funèbre… Dans ces conditions, on est en droit de se poser des questions car le niveau sanitaire actuel ne reflète pas les potentialités existantes. Soulever en ce moment précis la question de la gratuité des soins au niveau de nos hôpitaux peut paraître à certains, sans grande importance. Mais à y voir d'un peu plus près, on se rend compte que c'est une question d'actualité, un réel problème qui pourrit la vie de bien des citoyens, surtout celle de ceux qui sont démunis, dont les moyens sont très limités et qui n'ont d'autres choix pour se faire soigner que de s'adresser à l'hôpital public, afin de pouvoir avoir accès à des soins, aux examens de radiologie scanner, et de l'IRM gratuitement. Du même coup, cela aurait épargné à ces citoyens de souffrir davantage et de supporter des décisions imposées par certains responsables qui se croient dans des établissements privés. Le problème est posé surtout au niveau des hôpitaux dits autonomes qui ne veulent pas entendre parler des prestations gratuites. La gratuité des soins, oui mais… Cette question soulève un problème de fond que les pouvoirs publics éludent, avec beaucoup d'hypocrisie, depuis plusieurs années. Celui de la nécessité de repenser le système de santé et, partant, remettre en cause le bien-fondé de la médecine gratuite. Autrement dit, veut-on sauvegarder ou non cette dernière survivance de la politique sanitaire mise en place depuis l'indépendance de notre pays ? Les citoyens savent bien qu'il ne reste plus grand-chose de cette initiative généreuse. Le secteur public de la santé ne répond que partiellement aux demandes de santé formulées par les malades. Les soins ne sont pas gratuits partout, surtout au niveau des CHU où le fameux certificat d'indigence ne pèse pas lourd. Ailleurs, au niveau des hôpitaux dits SEGMA, c'est franchement mieux, mais cela ne vous dispense pas pour autant puisqu'il vous sera souvent demandé de payer pour tel ou tel examen. Si vous ne le faites pas à la caisse de l'hôpital, vous le ferez ailleurs. En outre, on vous demandera toujours d'acheter tel ou tel produit, tel ou tel médicament, ce qui est inadmissible, révoltant et prête à confusion. On vous signifie parfois d'aller dans telle ou telle pharmacie ou tel ou tel magasin pour acheter le matériel…Donc la gratuité des soins est une question qui reste relative. Par ailleurs les malades indigents , les vrais de vrai , celles et ceux qui sont démunis, devront prendre leur mal en patience car pour prétendre à des soins, l'inscription des assurés démunis se fera lorsqu'une personne demande un certificat d'indigence pour bénéficier de soins dans un hôpital public. Son dossier est alors constitué et soumis, pour appréciation, à la commission permanente locale. L'administration, après examen des données, validera ou rejettera la demande. Avec ce système, les autorités tablent sur l'identification au cas par cas de l'ensemble de la population éligible. Seulement, il se passera tellement de temps que le pauvre malade verra son état empirer ou décédera tout bêtement. Finalement, le bilan que l'on peut dresser au sujet de la gratuité des soins est certes positif dans la mesure où cette gratuité a tout de même profité à certaines personnes qui en avaient grandement besoin. Mais concernant le RAMED le coût qui s'élève à 3 milliards de DH est financé à hauteur de 75% par l'Etat et les collectivités locales prendront en charge les 6% équivalents à la contribution de 40 DH due par les pauvres absolus, alors que les indigents relatifs verseront une cotisation de 120 DH par an et par personne plafonnée à 600 DH par ménage, soit 19% du montant total. Il faut dire que le RAMED reste une véritable énigme et Dieu seul sait ce qui se trame derrière tout ce retard morbide qui dure depuis 2006. Ce qui est marrant dans cette histoire c'est les arguments de l'ANAM qui nous apprend que la généralisation du Régime d'assistance médicale des économiquement démunis (Ramed) aux populations indigentes ne se fera pas d'un coup, comme il était prévu initialement, mais sera progressive. Un changement de cap qui s'impose, explique-t-on auprès de l'Agence nationale de l'assurance maladie (Anam), dans la mesure où il faut prendre le temps de mettre en place les outils et les moyens nécessaires notamment la création des comités d'éligibilité chargés de cibler les nécessiteux au niveau des diverses provinces ou encore la mise en place d'un dispositif de formation du personnel… Mais de qui se moque t-on à la fin ? L'expérience pilote du RAMED a été lancée à Azilal en 2008. Il s'en est passé du temps depuis, pourquoi ne pas dire les choses autrement, reconnaître que cette expérience n'a pas été concluante.