L'image d'une “Ville nouvelle” que véhiculent pionniers et colons du début du siècle, attire à Casablanca de nombreux architectes aux origines les plus diverses. Aux débuts des années 20, on compte 3 fois plus d'architectes à Casablanca qu'à Tunis. D'une manière générale, quelque soit la démarche qu'ils décident d'adopter, tous vont être largement influencés par l'art et artisanat marocain. La modernité architecturale à laquelle ils se sont tous adonnés, va être contrebalancée par l'emploi d'ornementations traditionnelles. L'utilisation des arts décoratifs marocains va se combiner aux motifs Art Nouveau et Art déco donnant ainsi naissance à un style original, caractéristiques des premières années du Protectorat. Dès lors, le pluralisme décoratif des façades des grands immeubles qui voient le jour en centre ville est la règle : les ornementations faites d'angelots, de corbeilles de fruits, ou de têtes de lions se mélangent harmonieusement aux frises en zellige, en stuc ou aux balcons en bois de cèdre comme en témoignent l'hôtel Excelsior, l'immeuble-passage du Glaoui, ou encore les bâtiments administratifs du centre ville. Les grandes villas coloniales, elles, balancent entre l'hôtel particulier parisien et celle de la côte d'azur avec leurs terrasses et leurs vérandas. Mais celles qui retiennent l'attention des critiques, et que l'on verra régulièrement citées dans les magazines d'architecture, sont les villas néo-marocaines, comme la villa el Mokri aujourd'hui démolie, aux éléments décoratifs marocains et à l'agencement rappelant les hôtels particuliers parisiens. L'arrivée d'une nouvelle génération d'architectes, à la fin des années 20, formés à de nouveaux principes, va entraîner l'abandon progressif de l'utilisation des décors appliqués. Les années 30 : Le style néo-mauresque Avec les années 30, l'heure est au dépouillement : confort et modernité sont les maîtres mots de la création architecturale balayant ainsi le style néo-mauresque et sa profusion ornementale. La nouvelle génération d'architectes qui débarquent à Casablanca, à la fin des années 20, n'a qu'une obsession : mettre en pratique les théories modernes apprises sur les bancs de l'Ecole des Beaux Arts de Paris. Dès lors, le travail sur les volumes remplace celui sur les décors qui laissent la place aux balcons, aux bow-window faisant gagner de l'espace ; les façades des immeubles, qui ne cessent de prendre de la hauteur, se dénudent. Les immeubles de luxe, ou ceux de production courante, tiennent compte du souci de confort qui anime la bourgeoisie casablancaise et tous sont équipés d'ascenseurs, d'incinérateurs à ordures, de garages et les appartements de salle de bain. Véritables oeuvres d'art, les immeubles de luxe du centre ville vont être baptisés du nom de leur commanditaire, faisant ainsi référence de monuments dans cette “ville nouvelle”. Mais ce sont dans les villas que les architectes laissent aller toute leur ingéniosité où ils y expérimentent les dernières découvertes en matière d'habitation et de confort. Fortement impressionnés par la profusion des constructions, les critiques internationaux s'accorderont tous à décrire Casablanca comme la capitale de l'architecture moderne. Immeuble Levy Bendayon La construction de cet immeuble en 1928 par l'architecte Marius Boyer, inaugure le mouvement moderne qui caractérisera les années 30. Perçu comme une tendance forte de l'architecture moderne casablancaise, il reprend le concept du building. Immeuble Moretti-Milone Dominant la place des Nations Unies avec ses onze étages, l'immeuble construit par Pierre Jabin, inaugure en 1934 la construction en hauteur dans le centre ville. Le luxe de l'immeuble réside moins dans sa façade marquée par les grandes lignes verticales et horizontales de ses bow vindow que dans la qualité de ses équipements, ou encore le nombre de ses ascenseurs. Les villas des années 30 Le quartier du Parc, archipel de verdure et de calme, situé à proximité du centre ville, a été relativement préservé. Dans la rue d'Alger, la rue du Parc, et le boulevard Moulay Youssef, bordés de magnifiques palmiers, on peut encore contempler quelques magnifiques villas Art nouveau ou Art déco des années 30, même si la plupart ont laissé la place à des immeubles de construction récente. Les années 50 : La modernité fait son entrée Les années 50 marquent une ère de prospérité économique qui va fortement influer sur la production architecturale de l'époque. Trouvant écho dans la nouvelle génération d'architectes, les choix de la bourgeoisie casablancaise, fortement imprégnée de culture américaine, portent sur des villas aux accents californiens. De style ultra-moderne, les villas des années 50 sont avant tout marquées par la personnalité de leurs architectes. Oeuvres personnelles, elles étonnent par la hardiesse des leurs lignes, et par l'innovation architecturale dont elles font preuve. Mais cette liberté de ton ne fait pas l'unanimité, et les différences de style vont accompagner les différences de classe : si le style ultra-moderne séduit les classes très aisées, la petite bourgeoisie se fait construire, dans les quartiers du CIL, des villas au style métissé reprenant les grandes lignes de l'architecture méridionale. Mais les années 50 vont avant tout être profondément marquées par l'invention de “l'habitat pour le plus grand nombre” mis en place par Ecochard et son équipe en 1950. Le développement des programmes publics de logement donne ainsi naissance à de grands ensembles d'habitations bon marché destinés aux musulmans, aux israélites, et aux européens. Ainsi, par exemple, la cité d'habitation des carrières centrales devait permettre de résorber les bidonvilles tout en offrant aux musulmans des habitations respectant les habitudes traditionnelles ; la cité d'el Hank, prévue pour reloger les 18 000 israélites de l'ancienne médina, ou encore la cité de Bournazel (1954) destinée à une clientèle européenne très modeste. Parallèlement, la multiplication des loisirs de masse entraîne le développement des clubs privés sur la corniche, la construction de nouvelles salles de cinéma, comme le Lutetia en 1950 ou encore le développement des stations services et garages, dont le garage Volvo en 1950 constitue un exemple architectural étonnant. La culture architecturale des années 50 se poursuivra après l'Indépendance jusque dans les années 80, où on verra l'irruption des thèmes post-modernes. Villa Sami Suissa Première construction du genre, la villa construite par Jean François Zevaco en 1947, a inauguré le style ultra moderne caractéristique des années d'après guerre. Jugée révolutionnaire, la villa, maintes fois citée dans les revues internationales d'architecture, est aujourd'hui devenue l'un des emblèmes de la ville. Aérographe de Tit Mellil Nul mieux que ce monument illustre la liberté de création dont on fait preuve les architectes d'après guerre. Construit en 1953 par Jean François Zevaco, l'aérogare, avec sa structure en béton brut associé à ses murs blancs, rompt avec la tradition architecturale des édifices publics construits jusqu'alors.