Il est surprenant de relever, dans le traitement depuis le 8 novembre courant par les médias espagnols des incidents de Laâyoune, le formidable consensus et unanimité de critères atteints par les courants politiques toutes tendances confondues. Il est clair qu'aussi bien la droite que la gauche ont fait cause commune en Espagne face à un adversaire virtuel, le Maroc, dans une affaire ne concernant nullement leurs intérêts nationaux, à savoir la sécurité des citoyens des provinces du Sud. Ils ont signé un pacte de paix tacite de durée déterminée pour enterrer momentanément leurs différends d'ordre idéologique sur les grandes questions (chômage, crise économique, terrorisme d'ETA), et confectionner une Sainte Alliance utopique et quichotienne contre un Etat voisin faisant fi des énormes intérêts communs d'ordres stratégique, économique et humain. Théoriquement, les journalistes dans un Etat de droit ne constituent pas «un corps homogène», puisqu'ils «sont divisés par des écarts de classe, des clivages idéologiques, des débats déontologiques», comme l'écrit Ignacio Ramonet dans son essai intitulé «La tyrannie de la communication». En Espagne, cette règle d'airain communément admise dans le milieu des médias depuis le 19ème siècle a été sacrifiée aux plateaux de télévision où journalistes et intellectuels, de l'extrême droite à l'extrême gauche passant par la gauche modérée (socialistes) excellent dans la description des incidents de Laâyoune, l'analyse du système politique marocain et les prédictions à faire concernant le futur immédiat des relations maroco-espagnoles. Le sentiment corporatif a pour une fois bien fonctionné dans le sens de créer un courant d'opinion hostile à un Etat voisin et mettre en cause les fruits de convivialité entre espagnols et immigrés marocains au sein de la même la société. Cette tactique s'est transformée en une arme dangereuse du fait que la chose marocaine est traitée comme s'il s'agissait de thème pressant de la souveraineté de l'Espagne. Toutes les chaînes de télévision thématiques, publiques (nationales et régionales), privées ou les nouvelles Télévisions Numériques Terrestres (TNT) se sont mobilisées pour analyser à longueur de journée les incidents de Laâyoune. Pourtant, depuis le démantèlement, le 8 novembre du camp des squatters de Gdim Izik par les forces de l'ordre marocaines, elles ne cessent de reproduire des vidéos Youtube vieux de plusieurs jours, des déclarations de faux sahraouis ou informations réchauffées de reportages qui avaient été présentés plusieurs années plus tôt. En quête de nouvelles images des incidents, tout est valable à tel point d'endosser aux autorités marocaines la responsabilité de torture d'enfants palestiniens sauvagement blessés par la soldatesque sioniste. C'est le comble du cynisme puisqu'il s'agit de clichés d'enfants palestiniens pris dans un centre hospitalier de Ghazza et distribuée par l'agence Reuters le 21 juin de 2006. Les médias qui les ont faussement utilisés comme argument pour meubler leurs commentaires, tels Efe, El Pais, Abc, El Mundo, La Vanguardia, La Razon, n'ont pas eu finalement la probité professionnelle de reconnaître le grand préjudice causé à l'image des marocains et leurs institutions. Cette attitude trouve sa justification dans l'obstination d'offrir une interprétation partiale des faits qui surviennent sur le territoire d'un Etat en termes d'instrumentalisation d'un incident qui affecte directement sa sécurité. C'est ce qui révèle l'intentionnalité délibérée des médias espagnols et de leurs sources. Ils ont ainsi introduit deux nouvelles techniques d'information, d'ailleurs bannies dans la pratique professionnelle: diffuser de fausses nouvelles illustrées de faux éléments graphiques, et, recourir aux tactiques utilisées jadis par les missionnaires qui prêchaient la foi chrétienne pour s'infiltrer en territoire marocain en prélude de la pénétration commerciale et militaire européenne au 19ème siècle. Il est ainsi aisé de déceler les motivations qui sont à l'origine du parti pris par les médias espagnols à deux niveaux, la télévision et la presse écrite d'audience nationale. Pour tout observateur impartial, touriste ou simple citoyen de l'environnement européen de l'Espagne, la durée aux chaînes de télévision espagnoles et la surface rédactionnelle des grands journaux, imparties pour la couverture et le traitement des incidents de Laâyoune sont hors du commun. D'abord, dans les chaînes de télévision, les incidents de Laâyoune ont été exploités de lundi à dimanche (8-14 novembre) aux télé-journaux et débats avec une exceptionnelle fidélité à un mode de pensée viscéralement hostile au Maroc et à ses institutions. En moyenne, plus de quinze minutes ont été consacrées aux incidents de Laâyoune à chaque télé-journal. Chaque soir, au prime time, les différentes chaînes de télévision organisaient des débats-fleuves sur le Maroc qui durent plus de deux heures avec la participation des directeurs de médias, députés de toutes les couleurs, acteurs sociaux, représentants du Polisario, et simples téléspectateurs invités aux studios ou communiquant de l'extérieur par voie de téléphone ou messages SMS. L'usage excessif à ces débats d'un discours argumentatif déborde de loin la mission des médias dans un Etat démocratique dont le devoir est d'informer le public en évitant le risque de tomber dans l'interprétation partiale ou favoriser une partie au détriment d'une autre. Dans cette circonstance, tous les commentaires et interventions versent dans les thèses anti-marocaines et pro-Polisario. Cet exercice de communication sur le développement des incidents à Laâyoune, se développe ainsi en l'absence de journalistes impartiaux ou représentants de la partie marocaine. Il est aussi contraire au processus conventionnel dans la transmission d'une information objective et crédible puisque le discours des communicateurs et animateurs de débats impose au grand public une version unique et des éléments invérifiables pour former une idée fausse des incidents de Laâyoune. C'est la raison pour laquelle, le public a été surpris par les différents bilans de victimes avancés par les chaînes de télévision allant des « dizaines de morts » à « des milliers de blessés et détenus par les forces de l'ordre marocaines ». Concernant la pesse écrite, il est remarquable de relever la flagrante violation des règles fondamentales du flair journalistique qui limite l'abus de référence à des sources peu fiables. Certains journalistes ont noirci des dizaines de pages en l'espace d'une seule semaine, puisant leurs sources dans des contacts permanents avec quelques habitants de Laâyoune, de Tindouf ou des membres du Polisario en Espagne. De lundi à samedi, les incidents de Laâyoune ont fait la « Une » de tous les quotidiens d'audience nationale et gratuits. Même observation s'applique à la presse régionale. Sans fixer une raisonnable moyenne d'informations à publier, dans chaque édition sur les incidents de Laâyoune et le Maroc, ils ont finalement été confrontés à un déséquilibre par rapport à la superficie consacrée à l'actualité nationale. Dans une lecture sélective des informations coïncidant avec ses préoccupations, le lecteur espagnol est amené, dans ces conditions, à se soumettre aux critères du journal et au filtrage opéré des informations. Finalement, la source sur laquelle s'est appuyé le média, est présentée comme étant la seule et la crédible. Ainsi, le Maroc a été présenté, non seulement comme un Etat qui veille à la préservation de son intégrité territoriale et la sécurité de ses citoyens, mais comme un adversaire direct de l'Espagne. Pourtant, en abordant les questions d'actualité nationale espagnole (élections en Catalogne, terrorisme, crise économique, relations PSOE-PP), les mêmes commentateurs et animateurs de débats sortent immédiatement leurs griffes et reprennent le discours idéologique qui délimite nettement la parcelle de chaque tendance. La défense des positions politiques supplante le discours trivial et populiste qui est réservé occasionnellement au Maroc. A la lumière de ce double discours, ce qui surgit aux débats et ce qui s'écrit dans la presse écrite a pour objectif de présenter une image négative du Maroc, des marocains, de leurs institutions et valeurs culturelles. Cette image sera celle qui va être citée comme référence négative et signaler implicitement le Maroc comme un potentiel adversaire. Ce mode de pensée n'est pas d'ailleurs nouveau mais, au contraire, il est ancré dans l'imaginaire collectif depuis le protectorat espagnol au Nord du Maroc. Les incidents de Laâyoune ne sont en fait qu'un simple argument.