Les ministres européens de l'Energie cherchaient mardi à s'entendre sur un mécanisme de plafonnement des prix de gros du gaz, qui continue de diviser profondément l'UE, au risque de paralyser d'autres mesures d'urgence pour amortir l'impact de la crise énergétique. Alors qu'avec l'hiver citoyens et entreprises « se débattent » face à l'explosion des prix, « le temps des négociations est terminé, nous devons prendre nos responsabilités sans délai », a tonné à son arrivée le ministre italien Raffaele Fitto. Les Vingt-Sept se déchirent depuis trois semaines autour d'une proposition de la Commission européenne visant à plafonner temporairement les prix de certains contrats à terme sur le marché gazier de référence TTF afin de contrer toute nouvelle flambée des cours. Après avoir fustigé de concert le texte le 24 novembre, les ministres examinent à Bruxelles un compromis préparé par la République tchèque, qui occupe la présidence tournante de l'UE. En cas d'échec, le dossier s'invitera au menu d'un sommet européen jeudi, avant une nouvelle réunion ministérielle le 19 décembre. A son arrivée, le ministre tchèque de l'Industrie Jozef Sikela a affiché son agacement: « Je crois fermement que nous avons une proposition acceptable sur la table, qui apporte des garanties à tous. Désormais, c'est aux ministres de s'entendre », a-t-il plaidé. La division menace deux autres textes d'urgence, qui font déjà l'objet d'un accord politique des Vingt-Sept mais dont l'adoption formelle est suspendue à une décision sur le plafonnement des prix gaziers. Le premier prévoit des achats groupés de gaz, auxquels participeraient des consortiums d'entreprises en vue d'obtenir ensemble de meilleurs prix, ainsi qu'un mécanisme de solidarité assurant automatiquement l'approvisionnement énergétique des pays menacés de pénuries. Le second simplifie et accélère les procédures d'autorisations pour les infrastructures d'énergies renouvelables. « Ces solutions ne sont pas parfaites, mais elle sont prêtes et permettraient de faire baisser les prix (…) Il faut avancer sur ces mesures déjà approuvées mais qui sont prises en otage par des discussions dans lesquelles un compromis semble encore lointain », s'est désolée la ministre autrichienne Leonore Gewessler. La Commission avait proposé de plafonner les prix des contrats mensuels sur le TTF dès lors qu'ils dépassent 275 euros/MWh pendant deux semaines consécutives, et à condition qu'ils soient supérieurs d'au moins 58 euros à un « prix mondial moyen de référence » du gaz naturel liquéfié (GNL). Des conditions draconiennes jamais réunies, même lors de la flambée des cours en août dernier, et qui rendaient extrêmement improbable tout déclenchement du plafond: une partie des Etats (France, Espagne, Pologne, Grèce…) avaient fustigé une « mauvaise blague » et réclamé d'assouplir fortement les conditions requises. Au contraire, rétifs à toute intervention, plusieurs Etats, dont l'Allemagne, les Pays-Bas et l'Autriche, exigent des « garde-fous » drastiques pour éviter qu'un plafonnement menace les approvisionnements gaziers de l'Europe. De fait, certains fournisseurs-clés comme la Norvège s'alarment d'un plafonnement décidé unilatéralement, qui pourrait également encourager certains fournisseurs de GNL à délaisser l'Europe au profit de clients asiatiques payant des prix plus attractifs. Ces Etats refusent également obstinément de plafonner les contrats passés de gré-à-gré (« OTC »), hors de tout marché régulé. La Banque centrale européenne estime qu'un plafonnement mal conçu pourrait exacerber la volatilité et compromettre la « stabilité financière en zone euro ». Selon plusieurs sources diplomatiques, il y a « deux discours antinomiques », entre les Etats qui s'attendaient à un dispositif garantissant en permanence des prix bas et stables, et ceux qui veulent seulement une solution pour contenir des envolées de prix exceptionnelles et rarissimes. Prague assure avoir apporté « des gages aux deux camps ». « On a commencé à rapprocher les positions », mais « la discussion sera difficile », a tempéré la ministre française de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher. « Opposer un objectif à l'autre ne serait pas sérieux: on a tous besoin de sécuriser nos entreprises au moment où le prix du gaz les met en difficulté, on a besoin de sécuriser nos approvisionnements et de stabiliser nos marchés –sinon l'impact serait dévastateur », fait-elle valoir. Juridiquement, le texte pourrait être adopté à la majorité qualifiée des Etats. Mais soucieux d'afficher un front uni, les Vingt-Sept avaient jugé préférable de rechercher l'unanimité. Pour autant, « si tout le monde ne coopère pas, alors ceux qui sont prêts à le faire devront agir », a averti Jozef Sikela.