Discussions russo-turques pour débloquer les céréales Des combats intenses se poursuivaient mercredi dans la ville stratégique de Severodonetsk, le gouverneur de cette région du Donbass évoquant un retrait possible des forces de Kiev, tandis que les chefs des diplomaties russe et turque discutaient du déblocage des exportations des céréales ukrainiennes. « Il faudra peut-être se retirer » de Severodonetsk, a indiqué mercredi Serguiï Gaïdaï, gouverneur de la région de Lougansk, sur la chaîne ukrainienne 1+1. Mardi soir, il avait déjà indiqué que tenir cette ville tenait de la « mission impossible », même si le ministère ukrainien de la Défense affirmait encore mercredi matin que les forces ukrainiennes « résistent aux attaques » russes. Depuis la chute le 20 mai du port de Marioupol, sur la mer d'Azov, les Russes concentrent leur offensive sur cette ville de Severodonetsk à la limite occidentale de la région de Lougansk, une des deux régions du Donbass avec celle de Donetsk. Ils visent à prendre le contrôle total du Donbass, déjà partiellement contrôlé par des séparatistes prorusses depuis 2014. Ils n'ont progressé que lentement jusqu'ici, faisant dire aux analystes occidentaux que l'invasion russe lancée le 24 février a tourné à la guerre d'usure, avec des progressions minimes obtenues au prix de destructions massives et de lourdes pertes. Dans un rare briefing télévisé mardi, le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou a affirmé que les forces russes avaient « totalement libéré » les zones résidentielles de cette ville industrielle, connue pour sa grande usine chimique Azot, et contrôlaient désormais « 97% » du territoire de cette région de Lougansk. Les villes de Severodonetsk et Lyssytchansk, séparées par une rivière, constituent la dernière agglomération encore sous contrôle ukrainien de la région de Lougansk. Leur prise ouvrirait aux Russes la route de Kramatorsk, grande ville de la région de Donetsk. Si le président ukrainien Volodymyr Zelensky a assuré mardi soir que ses hommes poursuivaient « la défense absolument héroïque du Donbass », les Ukrainiens répètent avoir un besoin vital d'armes plus puissantes pour arrêter le rouleau compresseur russe. La livraison de systèmes de lance-roquettes multiples, d'une portée de quelque 80 km, soit légèrement supérieure aux systèmes russes, a été annoncée mais on ignore quand les Ukrainiens pourront commencer à les utiliser. Jusqu'ici, les Ukrainiens ont dû se contenter d'armes occidentales de moindre portée. Telles les 22 obusiers M-109, de conception américaine et d'une portée de quelque 20 km, que la Norvège a annoncé mercredi avoir envoyés en Ukraine. L'autre grande bataille se joue sur le front agricole. Le blocage des ports ukrainiens par la flotte russe de la mer Noire – à commencer par celui d'Odessa, principal port du pays -, paralyse ses exportations de céréales, notamment de blé, dont elle était avant la guerre en passe de devenir le troisième exportateur mondial. Les pays africains et moyen-orientaux sont les premiers touchés, et craignent des crises alimentaires profondes. Quelque 20 à 25 à 25 millions de tonnes sont actuellement bloquées, des quantités qui pourraient tripler d' »ici à l'automne » pour atteindre 75 millions de tonnes, a averti lundi le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Alors que Moscou accuse les Occidentaux d'être à l'origine de cette pénurie en raison de leurs sanctions, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a rencontré mercredi son homologue turc Mevlüt Cavusoglu à Ankara pour discuter de « corridors maritimes sécurisés » qui permettraient de reprendre les transports de céréales en mer Noire. A la demande de l'ONU, la Turquie a proposé son aide pour escorter les convois maritimes depuis les ports ukrainiens, malgré la présence de mines dont certaines ont été détectées jusqu'à proximité des côtes turques. Lors d'une conférence de presse après leurs discussions, M. Lavrov a assuré que la Russie était « prête à garantir la sécurité des navires qui quittent les ports ukrainiens (…) en coopération avec nos collègues turcs ». M. Cavusoglu a estimé de son côté « légitime » la demande de la Russie de lever les sanctions qui frappent indirectement ses exportations agricoles, pour faciliter les exportations ukrainiennes. « Si nous devons ouvrir le marché international ukrainien, nous pensons que lever les obstacles aux exportations russes est légitime », a-t-il déclaré. Il a cité spécifiquement les exportations « de céréales et d'engrais » russes, qui ne sont pas directement visées par les sanctions occidentales mais sont de fait empêchées par la suspension des échanges bancaires et financiers. Les deux hommes n'ont cependant annoncé aucun mécanisme concret pour exporter les céréales aujourd'hui bloquées. L'Ukraine n'était pas représentée à ces discussions. Alors que la Russie a assuré ces derniers jours qu'elle laisserait passer les bateaux ukrainiens chargés de céréales à condition que Kiev démine le port d'Odessa, un responsable de la région d'Odessa a jugé une telle demande irrecevable. Si l'Ukraine démine le principal port du pays, la Russie « voudra attaquer, elle rêve de parachuter des troupes », a déclaré Serguiï Bratchouk, porte-parole de l'administration régionale, dans un message vidéo sur Telegram. « La flotte russe de la mer Noire fera semblant de se retirer vers la Crimée annexée. Mais dès qu'on déminera les accès au port d'Odessa, la flotte russe sera là », a-t-il déclaré. Kiev, soutenu par Washington, accuse Moscou de lui « voler » des céréales. Et les deux belligérants s'accusent mutuellement de détruire des stocks de céréales. Mardi soir, le ministère russe de la Défense a notamment affirmé que les forces ukrainiennes avaient « incendié à dessein un important dépôt de céréales », contenant quelque 50.000 tonnes de céréales, dans le port de Marioupol, aux mains des Russes. Alors que la guerre a poussé quelque 6,5 millions d'Ukrainiens à fuir leur pays et fait plusieurs milliers de morts – même si aucun bilan précis n'est disponible – M. Zelensky a annoncé mardi la publication la semaine prochaine d'un « Livre des Bourreaux ». Cette base de données compilera les informations sur les crimes de guerre – au nombre de plusieurs milliers, selon Kiev – et les soldats russes accusés de les avoir commis, et nommera aussi les supérieurs ayant donné les ordres, selon M. Zelensky. « J'ai souligné à plusieurs reprises qu'ils seront tous tenus pour responsables. Et nous nous y dirigeons étape par étape », a affirmé le président ukrainien. « Tout le monde sera traduit en justice », a-t-il ajouté.