En 1920, décimés par la Grande Guerre (1914-1918) les hommes ont été remplacés par les femmes sur de nombreux fronts. Cette inversion brutale des genres, les artistes féminines du Paris des années folles en ont fait une force dans l'art de créer et d'aimer. C'est ce que montre, à travers des peintures, photographies, films et objets d'art singuliers, une exposition qui débute mercredi au musée du Luxembourg à Paris et rend hommage à une quarantaine d'entre elles, célébrées de leur vivant et souvent très peu connues, plusieurs n'ayant jamais été exposées en France. En plein questionnement sur la fluidité de genre, l'identité et la place des femmes dans la société, on découvre un siècle plus tard que ces « pionnières des années folles » (de 1920 jusqu'aux années 1930), venues du monde entier, osaient déjà tout dans ce Paris considéré, à l'époque, comme le « coeur mondial de l'effervescence artistique et culturelle », soulignent les commissaires de l'exposition, Camille Morineau et Lucia Pesapane. Elles ont oeuvré dans toutes les disciplines artistiques (figuratif, abstraction, cubisme, marionnettes, mode, cabaret, chanson, cinéma…), rivalisant avec leurs homologues masculins. Ayant leurs ateliers, dirigeant des écoles de formation, souvent seules, parfois en couple, elles ont occupé « un rôle primordial dans les grands mouvements artistiques de la modernité, dont elles ont souvent été les porte-parole », ajoutent les commissaires. En matière amoureuse et sexuelle, un de leurs sujets de prédilection, elle ont affiché une très grande liberté, allant jusqu'à se faire filmer pour les « médias » de l'époque (le cinéma) en train de peindre une amante nue (Tamara de Lempicka) ou témoigner, par la peinture, de la transformation physique bien réelle d'un mari en pleine « transition » féminine. La Polonaise Tamara de Lempicka (1898-1980) a séduit plusieurs stars américaines, dont la chanteuse Madonna, qui ont acquis nombre de ses oeuvres. Préfigurant la révolution « queer » actuelle, certaines artistes ont opté pour des noms masculins (Anna Prinner dite Anton Prinner par exemple), le pantalon, la cravate, la barbe ou une féminité extrême cachée sous la figure de « la garçonne », au casque de cheveux noirs, cigarette fichée entre des lèvres écarlates, robe fluide géométrique. En quête de liberté, elles faisaient partie des nombreux artistes venus à Paris de Russie et de Pologne pour fuir la révolution russe d'Octobre 1917, les nouvelles frontières dessinées par le traité de Versailles de 1919, la prohibition ou le racisme aux Etats-Unis, ou un conservatisme trop étouffant dans leur pays, explique Mme Morineau. « À l'époque, Paris est un endroit où coexistent paradoxalement libertés et conservatisme : le suffrage féminin est refusé, la propagande contraceptive interdite et l'avortement sévèrement puni », ajoute-t-elle. Dans le même temps, les femmes homosexuelles ou bisexuelles qui fréquentent les salons saphistes et les bals masqués ou se travestissent, ne sont pas inquiétées par la police, elles sont mêmes à l'honneur dans les cabarets, révèle l'exposition. Beaucoup de femmes peintres de cette époque célèbrent le corps « autrement » et l'exposition leur consacre une section entière : nu après la maternité, peint sans fard au quotidien, ou celui lascif d'une amante aux poils pubiens prononcés… Plusieurs photos de Joséphine Baker prises par Madame d'Ora (Dora Kallmus) évoquent une artiste incarnant pleinement l'époque, qui vendait son image à travers des produits cosmétiques. L'exposition se conclut par les « pionnières de la diversité », telle la Brésilienne Tarsila Do Amaral.