Nabil El Bousaadi L'invasion de l'Ukraine par la Russie a donné et donne encore des sueurs froides aux Etats de la région et, en premier lieu, aux pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie) et à la Pologne qui se sont « rangés » aux côtés de Kiev. Aussi, par crainte de représailles de la part de Moscou, ceux-ci ont, immédiatement, réclamé l'application de sanctions d'envergure contre la Russie ; notamment, son exclusion du système bancaire « Swift » et son isolement politique mais, surtout, l'activation de l'Article 4 du traité de l'Otan qui stipule expressément que « les alliés peuvent se consulter quand ils pensent que leur intégrité territoriale, leur indépendance politique ou leur sécurité sont menacées d'une quelconque manière » ; une procédure qui a été lancée à six reprises « depuis la création de l'Alliance en 1949 ». Par ailleurs, même si, en dépit du déclenchement par Poutine des hostilités en Ukraine, la situation est encore calme dans les pays précités et que, comme l'a affirmé, le Premier ministre estonien, Kaja Kallas, « l'Estonie n'est pas menacée militairement », cette dernière s'est, néanmoins, préparée à toute éventualité car « l'agression d'ampleur lancée par la Russie représente une menace pour le monde entier et pour tous les pays de l'Otan ». C'est à ce titre qu'en décrétant l'état d'urgence immédiatement après l'attaque russe contre l'Ukraine, le président lituanien Gitanas Nauseda a déclaré qu'il reste persuadé qu'aucun pays balte « ne compte se plier à ce qui se déroule au cœur de l'Europe » pour ne point assister à une répétition de l'Histoire. En effet, après avoir été occupées par la Russie impériale, l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie qui n'avaient connu qu'une brève période d'indépendance entre les deux guerres mondiales avant d'être annexés par Staline en 1940, n'avaient recouvré leur pleine souveraineté qu'après l'effondrement de l'Union Soviétique. La même inquiétude est très perceptible à Varsovie car, comme l'a rappelé Aleks Szczerbiak, professeur de Sciences politiques à l'Université du Sussex, « au fil des siècles, la Pologne a été envahie par la Russie à de multiples reprises » si bien qu'« au-delà de l'héritage post-soviétique, il existe une grande méfiance historique concernant l'expansionnisme russe ». Aussi, dans un entretien accordé ce dimanche à « Ouest-France » et au groupe de presse allemand « Funke Meediengruppe », le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki n'a, à aucun moment, exclu le fait « que Poutine voudra poursuivre sa politique agressive » car en considérant qu'après la Géorgie, il s'est attaqué à l'Ukraine, la suite logique des choses voudrait que son « prochain objectif soit les pays baltes, la Pologne, la Finlande ou d'autres pays du flanc est ». D'ailleurs, l'un des scénarios les plus redoutés dans la région a trait à l'éventualité d'une offensive russe dans ce « talon d'Achille » que constitue la bande de terre d'une centaine de kilomètres appelée « trouée de Suwalki » s'étendant à la frontière entre la Pologne et la Lituanie et prise en étau entre la Biélorussie et l'enclave russe de Kaliningrad, fortement militarisée et qui, aux dires de Céline Bayou, chercheuse associée au Centre de recherches Europe-Eurasie de l'Inalco, permettrait à la Russie, si elle le désire, « de couper la jonction terrestre entre les pays baltes et les autres membres de l'Alliance » ; ce qui compliquerait, voire même empêcherait purement et simplement, toute assistance militaire. C'est pour cette raison, d'ailleurs, que la Pologne et les Etats baltes ont, sans cesse, réclamé un renforcement du flanc oriental de l'Otan et que, deux jours avant l'invasion de l'Ukraine, le président américain, Joe Biden, avait fait part de son intention de modifier le déploiement des forces US en Europe en envoyant, vers la Lettonie, la Lituanie et l'Estonie, 800 soldats et 8 nouveaux avions F-35 ainsi que 32 hélicoptères Apache à répartir entre les pays baltes et la Pologne. L'offensive russe contre l'Ukraine va-t-elle faire tâche d'huile et atteindre la Pologne et les pays baltes ? Difficile, pour l'heure, de répondre à cette question au vu de la détermination affichée par les uns et les autres mais attendons pour voir...