Le président tunisien Kais Saied a formalisé mercredi son coup de force du 25 juillet en promulguant des dispositions exceptionnelles renforçant ses pouvoirs au détriment du gouvernement et du Parlement, auquel il va de facto se substituer en légiférant par décrets. Ces dispositions, qui tendent à présidentialiser le système de gouvernement hybride encadré par la Constitution de 2014, ont suscité l'ire du parti d'inspiration islamiste Ennahdha, principale adversaire de M. Saied, dans un pays miné par divisions et les crises politiques successives ces dernières années. Elles renforcent en outre les inquiétudes pour la pérennité de la démocratie en Tunisie, seul pays à avoir réussi sa transition démocratique après le Printemps arabe dont il fut le berceau en 2011. « Les textes législatifs sont pris sous forme de décrets-lois et promulgués par le président de la République », stipule l'un des articles décidés par M. Saied et publiés dans le Journal officiel. Le texte énonce aussi que « le président exerce le pouvoir exécutif avec l'aide d'un conseil des ministres, dirigé par un chef du gouvernement ». « Le président de la République préside le Conseil des ministres et peut déléguer sa présidence au chef du gouvernement. » Les prérogatives présidentielles énumérées dans le texte confèrent à M. Saied le droit de désigner et limoger des ministres, nommer les diplomates en poste à l'étranger et procéder aux nominations dans la haute fonction publique. « Le gouvernement est responsable de ses actes devant le président de la République », précise encore le texte. Dans le système en place régi par la Constitution de 2014 que M. Saied souhaite amender, l'essentiel du pouvoir exécutif est aux mains du gouvernement et les mesures annoncées mercredi font clairement pencher la balance du côté de la présidence. Le 25 juillet, M. Saied, 63 ans, s'est arrogé les pleins pouvoirs en limogeant le gouvernement et en suspendant le Parlement dans lequel Ennahdha, sa bête noire, jouait un rôle pivot. Il a prolongé ces mesures le 24 août « jusqu'à nouvel ordre ». Nombre de Tunisiens avaient accueilli ces mesures avec enthousiasme car, exaspérés par leur classe politique, ils attendaient des actes forts contre la corruption et l'impunité dans un pays en graves difficultés sociales et économiques. Mais opposants, partis politiques, magistrats et avocats avaient dit craindre une « dérive autoritaire ». M. Saied a annoncé mercredi la poursuite du gel du Parlement et la promulgation de « mesures exceptionnelles » pour « l'exercice du pouvoir législatif » et « l'exercice du pouvoir exécutif », qui font l'objet de deux chapitres de la Constitution, désormais suspendus de facto. Pour souligner le caractère transitoire de ces décisions, le décret présidentiel ajoute que M. Saied « entreprend la préparation des projets d'amendements relatifs aux réformes politiques avec l'assistance d'une commission qui sera organisée par arrêté présidentiel ». « Ces projets de révision doivent avoir pour objectif l'établissement d'un véritable régime démocratique dans lequel le peuple est effectivement le titulaire de la souveraineté et la source des pouvoirs qu'il exerce à travers des représentants élus ou par voie de référendum », affirme le président dans l'un des décrets. Agir « au nom de la volonté du peuple » est devenu un mantra pour M. Saied qui semble confiant de bénéficier de suffisamment de soutien populaire pour profondément modifier le système en place. Lundi, depuis Sidi Bouzid, berceau de la révolution de 2011, le président a annoncé la prochaine nomination d'un nouveau chef de gouvernement « mais sur la base de mesures transitoires répondant à la volonté du peuple ». Le « décret présidentiel » de mercredi indique « continuer de suspendre toutes les compétences de la chambre des représentants, de lever l'immunité parlementaire de tous ses membres et de mettre fin aux privilèges accordés au président de la Chambre des représentants et ses membres ». « Ce 22 septembre, la Tunisie a fait la transition d'un pouvoir démocratique vers le pouvoir d'un seul homme », a réagi sur Facebook Samir Dilou, un dirigeant d'Ennahdha. Un autre responsable du parti, Mohammad Al-Goumani, a accusé M. Saied de « mettre en place une nouvelle constitution abrégée, se retournant ainsi contre celle de 2014 sur laquelle il avait prêté serment ». « Il entraîne la Tunisie vers une zone à hauts risques. »