Elia Biezunski, commissaire d'une exposition du Centre Pompidou-Metz Marc Chagall, « maître des couleurs, a renouvelé l'art sacré » au mitan du XXe siècle, estime Elia Biezunski, commissaire d'une exposition du Centre Pompidou-Metz (dans l'est de la France), hommage au peintre à l'occasion des 800 ans de la cathédrale qu'il illumine avec ses vitraux. Intitulée « Marc Chagall, passeur de lumière », cette exposition se concentre jusqu'au 30 août sur cette période « du peintre qui aimait le vitrail », souligne Mme Biezunski. Chagall avait débuté dans cet art avec la décoration du baptistère de la nouvelle église de Notre-Dame-de-Toute-Grâce (Haute-Savoie/1950-57). Mais c'est à Metz (1959), où il avait été préféré à Jean Cocteau pour cet édifice classé en pleine rénovation après-guerre, qu'il a pu exercer ses talents de coloriste à l'échelle d'un bâtiment et a déployé son inventivité. Il poursuivra à Reims, Jérusalem, Zurich, à l'ONU, Chicago ou Mayence. « Chagall dialoguait avec les maîtres verriers qui interprétaient ses maquettes comme des musiciens des partitions musicales. Ensuite il passait derrière mettre son empreinte », explique Mme Biezunski. Quelque 250 oeuvres, dessins, tableaux, sculptures, travaux de gravures, vitraux, collages (les maquettes)… sont exposés et démontrent que Chagall (1887-1985) natif de Vitebsk (Bélarus), arrivé vers 1911 à Paris, a traversé tous les courants (fauvisme, cubisme, suprématisme…) sans adhérer à aucun. « Il a été parfois considéré comme un marginal », observe la commissaire, car il s'est « nourri autant des couleurs du fauvisme que des couleurs des gravures populaires russes de son enfance qui juxtaposent des couleurs très contrastées », les Loubki. Chagall avait un rapport particulier avec la religion. Il se disait « non religieux » mais « mystique ». « Il considérait les prophètes comme une source importante. Tout comme Mozart, l'art, l'amour », explicite Mme Biezunski. « Dans ses oeuvres, il y avait aussi l'apport affectif de son enfance quand il s'enivrait des chants assis à côté de son grand-père à la synagogue ». La religion est revenue très rapidement dans son travail. D'abord en 1930, lorsqu'on lui commande une illustration de la Bible, dont une des gravures est exposée. Pour Chagall, « la bible hébraïque, c'est le point de départ », relève la commissaire. Plus tard, dans ses tableaux, le Christ va représenter la tragédie dont sont victimes les Juifs face aux nazis, et au-delà, les souffrances de l'humanité. « Pour exprimer la souffrance, il emprunte le Christ comme un symbole car l'humanité en est imprégnée depuis des siècles », analyse Mme Biezunski, précisant que pour Chagall, « l'ensemble de l'oeuvre fait figure de symbole »: « Il empruntait, transformait, combinait et s'appropriait des symboles de différentes cultures ou traditions très reconnaissables ». Les vitraux de Chagall n'ont pas été réalisés sans difficulté à Metz, malgré la volonté de l'architecte en chef des monuments historiques, Robert Renard. Le ministre de la culture de l'époque, André Malraux, a dû insister pour que le projet aboutisse. « Confier des décors d'églises à un artiste d'une autre religion ou à un agnostique, c'était une révolution », observe la commissaire, détaillant les principaux griefs formulés à l'époque : « voir mêler de l'ancien à l'art moderne » et la crainte d'un « conflit de vocabulaire et de couleurs avec l'existant ». « C'est cet art et ce nouveau vocabulaire qui ont contribué au renouveau de l'art sacré en France et à l'international. Chagall a déployé une inventivité iconographique libre, contraire de la tradition où les symboles étaient liés au texte », poursuit-elle. Aujourd'hui, cette modernité permet encore à l'édifice messin de figurer parmi les plus visités de France. Quant aux dessins de Chagall, notamment une rosace bleue, elle suscite toujours des questions. Ainsi, son Christ, auréolé en jaune, porte un carré sur le front, comme si Chagall avait voulu rappeler la judéité de Jésus avec ce tephillin, un objet religieux juif. Son Saint-Jean, en-dessous, avec l'aigle, conforme à l'iconographie du moment, ressemble aussi beaucoup à un autoportrait. « Chacun se fera son idée », répond Mme Biezunski: « Chagall n'était pas enclin à décrire ses oeuvres. Il privilégiait la pluralité des interprétations. Il voulait que chacun, avec sa culture, ses connaissances puisse proposer sa lecture. Il souhaitait laisser courir l'imagination du regardeur ».