Cartes « gel hydroalcoolique », « geste barrière » ou « professeur Grovid »: à l'image de « Une sacrée année de m**** », sorti opportunément avant Noël, le secteur des jeux de société a su capitaliser sur la crise sanitaire de 2020 et profiter des divers confinements. « En cumul annuel, les ventes de jeux de société progressaient de +10% en valeur au 6 décembre dans un marché [du jouet en France] en recul de 2% », relève Franck Mathais, porte-parole JouéClub. « C'est assez considérable. » D'autant qu'on ne peut pas encore mesurer tout l'impact du mois de décembre, lors duquel près de 50% des ventes annuelles de jeux de société sont habituellement réalisées. En 2020, les ventes nationales de jeux de société pourraient ainsi avoisiner les 360 millions d'euros, contre 328 millions un an plus tôt, anticipe Frédérique Tutt, experte Jouets monde pour le cabinet NPD. « Il n'y a plus de restos, de bars. A part bosser et regarder la télé, on ne fait plus rien en France. Cela a profité mécaniquement aux jeux de société », poursuit M. Mathais. Au printemps, les classiques des grandes marques comme Cluedo (Hasbro) ou Dobble (Asmodee) ont été le moteur de la croissance de ces produits rassembleurs et intergénérationnels. Le premier confinement a également confirmé le regain d'intérêt des adultes. Intéressant toutes les tranches de la population, facilement accessibles en retrait de commande ou par livraison, ces loisirs se sont avérés particulièrement adaptés au confinement. Les ventes du jeu Pandemic d'Asmodee, qui existe depuis une dizaine d'années, ont même « été multipliées par quatre ou cinq » pour atteindre environ 40.000 unités et flirter ainsi avec les gros succès de cet éditeur comme Dixit ou les Aventuriers du rail. « On pensait que les gens n'achèteraient pas un jeu sur les maladies, mais pas du tout. Ils ont voulu reproduire ce qu'il se passait, l'humanité qui lutte », témoigne Nicolas Benoist, directeur marketing d'Asmodee. En revanche, le segment des jeux très pointus pour spécialistes passionnés, d'ordinaire la vitrine des éditeurs, a souffert. Tout comme les +party games+, ces petits jeu d'ambiance entre amis qui sont habituellement une locomotive des ventes, mais n'ont pas su franchir l'obstacle de « l'apéro Skype ». Avec une gamme familiale, Hasbro a pour sa part constaté un fort développement des jeux auxquels petits-enfants et grands-parents peuvent s'adonner à distance. « Chacun a son jeu et fait avancer ses pions mais la partie se fait par écran interposé », précise Florence Gaillard, chef de groupe marketing de la marque. D'ordinaire, les processus de création s'étalent sur plus d'un an, mais certains éditeurs réactifs ont également su s'engouffrer dans la brèche du contexte Covid, qui a réveillé la fibre écologique du grand public et son envie de « made in France ». « Le numéro 1 des ventes en novembre, c'est un produit français, Défi nature, de la petite société Bioviva. Ils ont le bon profil, c'est la belle histoire de David et Goliath », se félicite Mme Tutt. L'indémodable Mille Bornes (Dujardin) a également été remis en septembre au goût du jour, avec une version « green » qui propose des véhicules électriques. Mme Tutt se demande pourtant si cette mode environnementale « tiendra »: « Pendant le confinement, tout le monde achetait ses légumes chez le producteur bio et dès que les magasins ont rouvert, les gens sont repartis à Carrefour… », relève-t-elle. Côté tendance, Hasbro relève également l'envie croissante des joueurs de s'affranchir des règles. « Les gens veulent se lâcher, jouer en transgressant. Ils en ont marre de la situation. Ce Noël, les produits qu'on lance dans cette veine marchent très bien », assure ainsi Mme Gaillard, en citant par exemple la sortie réussie d'un Monopoly « mauvais joueurs », deux ans après une version « tricheurs ». Dans ce panorama d'incertitudes, les produits phares de 2020 pourraient subir des pénuries à Noël. Mais des produits habituellement en retrait se tiennent prêt tirer leur épingle du jeu. Selon M. Mathais, le succès du « Jeu de la dame » sur Netflix a ainsi révélé « une dynamique sur les échecs ». « Tout ça, ce sont des petits trucs, mais quand on les ajoute, ça fait une croissance à deux chiffres », se réjouit-il.