Nous faisons un constat négatif du plan gouvernemental de lutte contre la corruption de 2005. Transparency Maroc (TM) voit de mauvais œil le plan gouvernemental de lutte contre la corruption de 2005. Pour Rachid Filali Meknassi, Secrétaire général de Transparency Maroc, le gouvernement aurait dû soumettre ce plan à un travail d'évaluation, avant d'«inventer» un nouveau plan en la matière pour la période 2010-2012. Dans cette deuxième et dernière partie de son interview avec notre journal, le premier responsable de TM montre les limites des efforts entrepris en matière de lutte contre la corruption, comme il jette un éclairage sur la deuxième conférence internationale des Etats parties à la convention onusienne contre la corruption qui sera abritée par notre pays en octobre 2011. Al Bayane : Le gouvernement a adopté en avril 2005 un plan de lutte contre la corruption. Depuis, la corruption bat son plein et devient de plus en plus inquiétante. Pourquoi s'aggrave-t-elle ? R. Filali : Je peux vous rappeler l'attitude et la réaction de Transparency Maroc en 2005. Nous avions salué l'élaboration d'un premier plan d'action gouvernementale clair en la matière, mais en même temps, nous avions relevé qu'il ne se donnait pas les moyens de sa réussite. Ni les mesures sectorielles qu'il renfermait ni les actions transversales qu'il annonçait n'étaient appuyées par un agenda, un suivi et une évaluation de nature à imposer la mobilisation pour la réalisation des objectifs fixés. L'adhésion des administrations et les autres parties prenantes concernées par la lutte contre la corruption nécessite d'abord que l'engagement public soit crédible. Un plan national de lutte contre la corruption conçu de manière unilatérale par des pouvoirs publics que les citoyens tiennent pour responsables principaux du fléau et de l‘impunité qui l'entretiennent, ne peut recueillir leur confiance lorsqu'il ne leur permet ni d'atténuer leur vulnérabilité face aux administrations ni de prendre acte du changement qu'il promet. Au niveau gouvernemental, c'est le département chargé de la modernisation des secteurs publics qui semblait piloter ce programme. Mais compte tenu du caractère technique de cette administration, de ses faibles ressources et de son implantation au niveau de la capitale exclusivement, il était clair que nulle administration ne pouvait se considérer engagée à son égard pour rendre compte de l'application des mesures qui sont attendues et encore moins de l'évaluation de leur impact effectif. A ce jour, aucun bilan n'a été effectué. Cinq ans après son élaboration, ce plan a d'ailleurs reçu un lifting pour être distribué, de nouveau, à Doha, en marge de la conférence des Etats parties à la convention de Nations Unies contre la corruption, comme étant le plan d'action national de lutte contre la corruption. Nous avons un Centre d'assistance juridique anti-corruption (CAJAC) qui reçoit les plaintes et les témoignages des victimes de la corruption. Et lorsque nous avons demandé à différents ministères de nous préciser le service chargé de traiter ces affaires et de donner suite aux réclamations de leurs usagers en la matière, il s'est confirmé qu'aucune n'a fait état d'uns structure spécialisée. Quelques départements vous ont peut être répondu ? Certains départements nous ont orienté sur le ministre lui-même ou sur l'inspecteur général. La majorité n'a pas répondu. La plupart des citoyennes et des citoyens qui s'adressent à ce centre déclarent aussi qu'ils sont livrés directement à ceux qui sont la cause des torts qu'ils subissent et que leurs plaintes écrites demeurent sans réponse. Quel crédit peut avoir la lutte du gouvernement contre la corruption lorsque les citoyens en sont écartés ? Aujourd'hui, on enterre ce plan de 2005 sans procéder à aucun bilan et on nous annonce un autre plan 2010-2012, conçu probablement de la même manière. Le président de l'ICPC a annoncé qu'il a eu le statut d'observateur au sein de la commission qui a été chargée de son élaboration. Cela se passe de tout commentaire. En réalité, on n'a pas besoin de bilan du plan antérieur et on peut annoncer d'emblée celui du plan actuel. On peut parier aussi que sa maquette est déjà en voie d'élaboration en vue de sa distribution en plusieurs langues à l'occasion de la conférence des Etats parties. Il faut mettre à l'actif du gouvernement, l'adoption d'un arsenal législatif en la matière, comme la loi relative à la déclaration du patrimoine, la lutte contre le blanchiment d'argent ou la réforme des marchés publics. Comment jugez- vous cet arsenal juridique ? Le champ de la gouvernance est tellement vaste qu'on peut relier à la lutte contre la corruption toute mesure législative ou institutionnelle. Le Maroc est engagé par la convention de lutte contre le blanchiment et il demeure tenu de mettre en place les conditions de son application. Les mesures, relativement tardives qu'il a prises à cet effet s'avèrent d'ailleurs en deçà de ses obligations, ce qui l'oblige à modifier de nouveau le dispositif légal qu'il a adopté à cette fin. On peut en dire autant de la réforme en cours du décret sur les marchés publics ou de la législation pénale. Maintenant, lorsqu'on fait l'inventaire des mesures que revendique la société civile et dont la pertinence a été reconnue par le gouvernement sans pour autant qu'il s'engage à les réaliser, on trouve que leur liste est longue ; on peut citer notamment l'accès à l'information, la protection des témoins et dénonciateurs de la corruption, la réforme des inspections des ministères, l'engagement de l'action publique à l'encontre des auteurs d'infractions identifiés à l'occasion de contrôles administratifs ou judiciaires….etc. Voilà quelques indicateurs de l'action gouvernementale en matière de lutte contre la corruption Mais des textes se rapportent directement à la lutte contre la corruption, comme la déclaration du patrimoine ? Transparency Maroc a alerté sur l'inefficience des textes relatifs à la déclaration du patrimoine au moment de leur élaboration et réitéré l'appréciation négative qu'elle en fait à l'occasion de leur entrée en vigueur. Aujourd'hui, tout le monde s'accorde à dire, et le rapport de l'Instance centrale contre la corruption (ICPC) exprime cela en termes voilés, que cet arsenal normatif est complètement inefficace. Pourquoi ? D'abord par ce qu'il ne concerne pas tous ceux qui sont exposés à la corruption et ensuite parce que le mécanisme de suivi et de poursuite est complètement inefficace.. Lorsque la valeur-plancher des biens à déclarer se trouve ramenée à celle de sept ou huit catégories prises séparément, la pertinence de la mesure s'estompe. Mais surtout, la procédure instituée pour suivre ces déclarations est inadmissible. Elle aboutit visiblement à empêcher le contrôle et la sincérité des déclarations et à l'empêcher pour les hauts responsables, à l'exception de ceux auxquels on aura intérêt à chercher les poux !!! Dans quelle mesure ont été respectés les engagements pris par le Maroc dans le cadre de la Convention onusienne contre la corruption ? Je me retrouve largement dans les constats des rapports de l'ICPC à ce sujet. Nous avons un arsenal juridique moderne en matière pénale, de droit administratif et de finances publiques. Le cadre formel de gestion de la chose publique autorise une bonne gouvernance et peut prémunir la société contre les dérapages de ses dirigeants et de ses membres, notamment en matière de corruption. Il n'en demeure pas moins qu'en comparant l'arsenal existant aux exigences de la Convention onusienne (CNUC), on relève un petit gap qui reste à combler. Il a été souligné par le rapport de l'ICPC à travers les mesures se rapportant notamment à la condition des représentants d'organisations internationales, au renforcement des pouvoirs de l'ICPC, à l'incrimination de la tentative de corruption ainsi qu'à la protection des témoins et des dénonciateurs de la corruption… Mais le problème de fond n'est pas la conformité formelle à la Convention, mais l'engagement d'une lutte contre la corruption pour obtenir leur respect et la progression sur la voie de l'Etat de Droit. Or, lorsque nous constatons que les infractions les plus banales comme le détournement des biens publics par des dirigeants d'entreprises publiques ne fait l'objet d' aucune poursuite, on est en droit de dire que les nouvelles mesures n'auront pas plus de chance d'être appliquées que celles existant depuis un siècle. Le Maroc va abriter en octobre 2011 la conférence des Etats parties à la CNUC. Il sera le premier pays à faire l'objet d'une évaluation de la part d'experts slovaques et sud-africains. La tenue de cette conférence au Maroc constituerait-elle un moyen de pression pour renforcer l'action gouvernementale contre la corruption ? On ne peut que le souhaiter. C'est là d'ailleurs une prière que tout un peuple fait matin et soir. Nous nous sommes engagés depuis quinze ans moins à y travailler et nous continuons à y croire. Maintenant, il faut apprécier cet événement à sa juste mesure. Il s'agit d'une réunion bi-annuelle des Etats parties à la convention onusienne contre la corruption. En soi, l'événement n'a aucun rapport avec la situation de la corruption au Maroc ou sur sa politique en matière de lutte contre la corruption. Du reste beaucoup d'Etats parties, ne sont pas favorables à une politique dynamique de lutte contre la corruption et la position du Maroc comparativement à la zone Mena et à des pays comme la Chine. Le Maroc va rédiger son rapport qui fera l'objet d'une évaluation. Les experts qui procéderont à son évaluation appartiennent à des Etats qui ont été tirés au sort. Nous espérons que dans l'avenir, la communauté internationale arrivera à des solutions qui assurent davantage d'expertise, de transparence et de neutralité tant pour l'établissement de ces rapports que pour leur évaluation. Quant à la société civile, elle travaillera sur les rapports parallèles. Nous aurons donc à dire notre mot et à promouvoir l'évolution en ce sens. Comment la société civile mondiale luttant contre la corruption, et Transparency Maroc en particulier, pourront mettre à profit cet événement ? Contrairement à la Conférence mondiale contre la corruption qui est un événement initié par la société civile, ouverte aux institutions officielles, cette conférence est celle des Etats parties à la CNUC. Lors de la rencontre précédente tenue à Doha en novembre 2009, on n'était pas tout à fait sûr, jusque 2 ou 3 mois, de la place qui serait accordée à la Société civile. Heureusement, le gouvernement du Qatar et les organismes de l'ONU étaient cohérents avec eux-mêmes, en permettant à la société civile d'organiser des stands et de suivre les travaux. Nous espérons qu'au Maroc, il en sera de même. D'ailleurs, la convention elle-même préconise la collaboration entre la société civile et les Etats dans sa mise en œuvre. Comment Transparency Maroc pourra en profiter ? Nous nous attendons à ce que nous soyons sollicités pour accompagner la préparation, l'organisation et le déroulement de cette conférence. Nous avons déjà sollicité l'appui de nos partenaires pour préparer les supports de notre présence à cette manifestation. Ainsi par exemple, nous travaillons sur la traduction en anglais de tous nos documents et nous allons introduire le pluralisme linguistique dans notre site. Nous allons faire appel à beaucoup de bénévoles parlant plusieurs langues pour participer à l'accueil et à l'assistance des participants membres de Transparency international et de la coalition mondiale contre la corruption. Nous considérons donc que c'est notre pays, le Maroc, qui accueille cette manifestation et non seulement son gouvernement et nous sommes prêts à faire le nécessaire pour assurer son succès.