Pendant et après chaque mois de ramadan, les chaînes de télévision marocaines déchaînent les passions de toute la presse et des téléspectateurs nationaux. Elles sont attaquées en bonne est due forme par tout un chacun, leur reprochant une lacune ou un manquement à ce qui aurait dû être un bon programme digne du peuple marocain. Donc la chasse aux mauvais films, aux mauvais feuilletons et aux mauvais sitcoms est ouverte. Les différentes idéologies, les inimitiés personnelles de certains hommes politiques ou religieux contre tel ou telle journaliste ou telle chaîne, les prises de position des partis plus ou moins influents de l'époque ou des groupes économiques selon leurs intérêts du moment, la comparaison entre ce qui est incomparable (certaines émissions des TV étrangères dépensent le budget de toutes les chaines marocaines), le grégarisme ambiant sont les ferments de ces attaques. Là où chaque marocain se prend pour l'entraîneur de l'équipe nationale lors des matches de foot, ici, chacun pense être le parangon du goût que chacun devrait imiter. Cependant, jusqu'à maintenant personne n'a proposé une alternative à ce que certains journaux ou certains courants idéologiques appellent la médiocrité des programmes de la télévision en général et la fiction marocaines en particulier, sans parler de ceux qui jettent avec l'eau du bain l'existence même de cet outil du diable et tout ce qui est culturel et artistique. Ce qu'il faut savoir c'est que ni le Centre Cinématographique Marocain ni les chaînes de télévision n'ont une production en interne. Presque tous les programmes qui sont diffusés où projetés dans les salles de cinéma proviennent des boîtes de productions. Personne n'a plus le droit de présenter individuellement des scénarios de fictions ou des documentaires à une chaîne sans passer par les boîtes de productions ayant un statut légal de société. De plus chacune de ces institutions (TV et CCM) a un ou plusieurs comités de lecture qui choisissent les projets à financer. Si le Maroc a fait des efforts énormes dans la création de plusieurs écoles et universités où l'on enseigne les techniques audiovisuelles les plus pointues, où l'on forme des jeunes actrices, acteurs et des réalisateurs cultivés et professionnels personne n'a pensé au plus ardu, la formation des scénaristes. Malheureusement toutes les actrices et tous les acteurs n'apparaissent pas dans les productions nationales, le vedettariat, la renommée et certainement d'autres critères font que les uns figurent plus dans les castings que d'autres. A un certain moment le CCM a décidé d'octroyer une carte de réalisateur à tout individu ayant tourné trois courts métrages. Aujourd'hui, avec les moyens numériques n'importe qui peut devenir cinéaste. Filmer n'importe quoi n'importe comment ne fait pas un cinéma. La faciliter d'appuyer sur le bouton d'une camera vidéo n'engage plus à la qualité du contenant ni du contenu. Tourner des kilomètres de bande vidéo ne fait de personne un cinéaste. La conséquence c'est l'existence de trop de cinéma mais pas de réalisateurs ni de spectateurs. Il est vrai que ce n'est pas l'intérêt commercial qui préside aux activités culturelles en général au Maroc. Tout est financé par des subventions étatiques. Tant que des investisseurs rivés n'entrent pas dans ce domaine et créent une concurrence purement commerciale, rien ne changera. Mais il est à craindre que les changements ne soient pires que les remèdes. Déjà que Hollywood et ses pendants font dans le fordisme audiovisuel en produisant des séries bien nommées non plus au kilomètre mais à l'année, le cinéma a perdu ses lettres de noblesse en tant que 7e art. Rares sont les artistes du cinéma qui pensent à un plan ou une séquence. On en est à «kawar» et sert l'aveugle. Oui, bien que l'on ait les yeux sains et saufs, on est aussi aveugle aux choses que l'on ignore. Problème aussi vieux que le cinéma: le contenu ou le contenant. Comme disent les Egyptiens «al jamhor 3ayez kida» : le public aime cela. La question cruciale qui se pose aujourd'hui est de savoir ce qui fait le succès des films iraniens ou chinois, pays où il est supposé que la censure y est acerbe. Les films de ces pays décrochent des prix prestigieux un peu partout dans le monde. Il ne faut pas nier leur qualité. Il me rappelle aussi les films des pays de l'Est qui étaient d'une facture admirable malgré la censure et les tracasseries des pays occidentaux. Mais la qualité finit par s'imposer. Pour conclure, le génie de certains jeunes arrive à percer grâce aux chaînes internet qui leur offrent une plateforme pour s'exprimer librement. Mais il est aussi temps de préciser la signification de l'art propre. En ces temps de corona faut-il laver le cinéma et l'art en général et porter le masque? Néanmoins, il faut rassurer les consommateurs, l'art est d'une bonne contagion. Il ouvre l'esprit aux courants d'air.