Une Europe toujours divisée mesurait jeudi le désastre économique provoqué par le coronavirus, tandis que des signes d'éclaircie apparaissent en Asie, où la Corée du Sud n'a enregistré aucun nouveau cas pour la première fois depuis le début de la pandémie. Un temps deuxième foyer mondial de la maladie qui a fait plus de 227.000 morts depuis son apparition en Chine fin 2019, le pays n'a recensé aucun nouveau cas «pour la première fois depuis 72 jours», s'est félicité le président sud-coréen, Moon Jae-in. D'autres régions d'Asie semblent également être en passe de maîtriser l'épidémie. Hong Kong n'a enregistré aucune nouvelle contamination depuis cinq jours et Taïwan depuis quatre jours. Une embellie qui alimente l'euphorie des principales places boursières, déjà dopées par l'annonce mercredi de la découverte par le laboratoire américain Gilead d'un remède susceptible d'accélérer la guérison des malades du Covid-19. Mais l'horizon d'un contrôle global de la pandémie apparaît lointain. Et les dégâts économiques sont d'ores et déjà inédits à l'heure où l'Europe s'engage dans un prudent déconfinement pour tenter de relancer l'activité. Jeudi, une litanie de chiffres est venue confirmer les plus sombres prévisions : la France a annoncé un effondrement de 5,8% de son PIB au premier trimestre, l'Espagne de 5,2%, l'Italie de 4,7%, et l'Allemagne un bond de 13,2% du nombre des chômeurs. A l'échelle de la zone euro, l'activité a chuté de 3,8%, selon l'institut Eurostat. Mercredi, les Etats-Unis avaient déjà annoncé un recul de leur PIB de 4,8% en rythme annuel au premier trimestre, après dix années de croissance ininterrompue. Face à l'incapacité des 27 à s'entendre sur un plan de relance concertée, la Banque centrale européenne (BCE) a une nouvelle fois joué les pompiers de service en se disant jeudi «prête» à renforcer ses rachats de dette. «C'est à nouveau la BCE qui doit réaliser l'essentiel de la politique économique pour lutter contre les effets récessifs de la crise», relève Eric Dor, de l'institut parisien IESEG. Défi pour les gouvernements, la crise provoquée par le coronavirus stimule aussi l'imagination des entrepreneurs. Ainsi en Italie, des fromagers de Salerne, dans le sud, ont eu l'idée de vendre à terme du fromage de bufflonnes, le caciocavallo, qui sera affiné le temps que durera la mise à l'arrêt de l'économie. D'où la création de «cacio-bonds», clin d'oeil aux «coronabonds», ces emprunts mutualisés qui divisent l'UE. «L'idée des cacio-bonds est de trouver dans l'avenir une utilité à un excédent de lait qui nous posait un gros problème», explique Giuseppe Morese, éleveur et fromager. Dans ce pays, le plus frappé après les Etats-Unis avec près de 28.000 morts, le Premier ministre Giuseppe Conte a indiqué jeudi que la récession pourrait dépasser 10% cette année. En Allemagne, où les mesures ont été moins drastiques, la chancelière Angela Merkel doit s'entretenir jeudi de la suite du déconfinement avec les dirigeants des Etats fédérés. Avec au menu une réouverture des lieux de culte ainsi que des zoos et des musées. Eprouvante dans les pays les plus riches, où des millions de personnes privées d'emploi doivent se tourner vers les banques alimentaires, la crise est encore plus douloureuse dans les Etats moins développés. Il faut s'attendre à un «impact énorme en matière de pauvreté», a alerté l'Organisation internationale du travail (OIT), selon qui 1,6 milliard de personnes risquent de perdre leurs moyens de subsistance. «Je suis au chômage et je n'ai plus de quoi nourrir mes trois enfants», clamait mercredi Mohamed Khalil, Libanais de 34 ans manifestant dans la deuxième ville du pays, Tripoli. A New York, ville la plus touchée au monde, le gouverneur Andrew Cuomo s'est alarmé des images de métros envahis de sans-abri. «Ce qui se passe dans ces wagons est dégoûtant», a-t-il déploré, appelant à trouver des solutions de logement. Longtemps épargnée, la Russie a annoncé jeudi avoir passé la barre des 1.000 morts et doit faire face à une résurgence de l'alcoolisme. «Tout le monde n'arrive pas à résister pendant le confinement», témoigne Tatiana, 50 ans, à Moscou. Dans un monde avide de pouvoir compter sur un remède efficace, les Instituts de santé américains (NIH) ont fait souffler un vent d'espoir en annonçant que le médicament expérimental remdesivir de Gilead avait accéléré le rétablissement de malades. Ces résultats préliminaires ne permettent pas d'établir à ce stade si le médicament permet de sauver des vies. Mais la molécule a un «effet clair, significatif et positif pour réduire le temps de rétablissement», a affirmé Anthony Fauci, directeur de l'institut qui a dirigé l'essai. En Chine, un laboratoire pékinois, Sinovac Biotech, s'est de son côté lancé dans la fabrication à grande échelle d'un potentiel «vaccin». Mais celui-ci est encore en phase de tests et n'a pas été homologué. Quant à la date de son éventuelle commercialisation, «c'est la question que tout le monde se pose…», reconnaît un responsable, Liu Peicheng. Vivement mise en cause par Washington qui lui reproche de n'avoir pas réagi de façon appropriée face à la pandémie, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) devait pour sa part réunir jeudi pour la troisième fois son comité d'urgence. Elle a prévenu que la pandémie ne pourrait pas être totalement maîtrisée tant qu'aucun remède ou vaccin ne seraient trouvés. Elle a aussi rappelé qu'il n'y a «aucune preuve» à ce stade que la présence d'anticorps prémunisse contre une nouvelle infection au Covid-19, douchant les espoirs de pays comme les Pays-Bas ou le Chili misant sur une immunité collective. Partout, la lutte contre la pandémie représente un sacrifice de chaque instant pour les soignants. «Cela fait cinq semaines que je n'ai pas serré mes enfants dans mes bras», souligne Amira Jamoussi, médecin hospitalier près de Tunis. «Ce qui nous aide à tenir, c'est la satisfaction de voir des malades s'en sortir», ajoute la praticienne.