Dimanche dernier, Evo Morales qui présidait aux destinées de la Bolivie depuis quatorze années, a démissionné et pris le chemin de l'exil à bord d'un avion militaire mexicain sous la pression de sa police et de son armée qui, au lieu de s'atteler à l'exécution de leur mission première, qui consiste à assurer la paix et la sécurité dans le pays, ont rapidement outrepassé leur rôle constitutionnel en se rangeant du côté de l'opposition. Or, si l'on se réfère à une interview que l'ancien président de Bolivie avait accordé au quotidien français «L'humanité» lors de sa visite à Paris des 12 et 13 mars 2013 et dans laquelle il avait notamment déclaré : «Quand je suis arrivé au pouvoir, les multinationales recevaient 82% des revenus de nos matières premières et nous, 18%. Aujourd'hui c'est l'inverse ! J'ai fait ce qu'il y avait à faire pour mon peuple. J'attends maintenant qu'on m'assassine comme ils l'ont fait avec Chávez !», on est forcé de reconnaître qu'alors qu'il s'attendait au pire c'est-à-dire à son élimination physique le moment venu, Evo Morales a finalement emprunté la voie la plus salutaire : quitter le pouvoir sans y laisser la vie et – ce qui n'est pas moins important – en faisant éviter au pays un bain de sang et une plongée certaine dans les affres de cette guerre civile qui se profilait à l'horizon depuis que, sous son égide, la Bolivie a emprunté la voie de ce socialisme latino-américain tant honni par Washington et ses alliés. S'il est encore trop tôt pour déterminer les responsabilités des uns et des autres dans le complot qui a conduit à l'éviction d'Evo Morales qui, tout comme l'ancien président vénézuélien Hugo Chavez, rêve d'une Amérique latine socialiste, il est clair, cependant, que ce coup d'Etat été mené par les représentants de l'oligarchie économique, suprémaciste et évangéliste de Santa-Cruz épaulée par Washington en réaction contre sa politique de nationalisation des ressources naturelles – gaz et lithium notamment – dont regorge le sous-sol bolivien ; ce qui, du reste, a fait dire au président déchu, sur son compte Twitter, que ce «coup d'Etat (…) est un complot politique et économique qui vient des Etats-Unis». Luis Fernando Camacho, un des leaders de la contestation, a déclaré en envahissant le Palais présidentiel : «Plus jamais la ‘Pachamama' n'entrera ici; la Bolivie est revenue au Christ»; une assertion qui a été reprise par la nouvelle présidente par intérim autoproclamée Jeanine Anez lorsqu'elle s'est écrié, après sa prestation de serment, que «la Bible revient au Palais ». Par de tels propos, les opposants à l'ancien chef de l'Etat tiennent donc à rappeler qu'étant donné son ascendance amérindienne et le fait que dans la cosmogonie andine, présente dans l'espace correspondant à l'empire inca, la ‘Pachamama' représente la déesse-terre, ce dernier avait coutume de prêter une oreille beaucoup plus attentive aux revendications culturelles et sociales des peuples indigènes afférentes notamment à la réduction de la pauvreté, de l'analphabétisme et des inégalités qui les frappent plutôt qu'aux doléances de la composante chrétienne de la population et de porter, ainsi, atteinte à la cohésion de la société bolivienne. Rappelant, enfin, dans son dernier message à ses compatriotes, que tout au long de sa présidence il n'y a jamais eu aucune victime de la répression policière et qu'il n'a «jamais demandé aux forces armées d'aller réprimer le peuple ni d'instaurer de couvre-feu» alors que plusieurs personnes sont déjà tombées aux premiers jours du «coup d'Etat civico-politico-policier» qui l'a écarté du pouvoir, l'ancien président Evo Morales a demandé à ses opposants Luis Fernando Camacho et Carlos Mesa de faire preuve de retenue et «aux forces armées de ne pas se souiller en faisant couler le sang du peuple». L'ancien président de Bolivie sera-t-il écouté au nom de la préservation de la paix civile dans le pays alors que, pour bien marquer sa volonté de liquider son héritage, la présidente par intérim autoproclamée, immédiatement reconnue par Washington, s'est empressée de nommer un nouveau gouvernement comprenant des ministres issus, dans leur ensemble, de la droite bolivienne ? Aussi, le pire est-il à craindre au vu notamment de la grande popularité chez les indigènes de celui qui a été écarté du pouvoir sans ménagement et de la détermination de ses partisans qui, en arborant par milliers dans les rues de la capitale, des «whipalas» – le drapeau des peuples indigènes – ont scandé, à l'unisson, « oui (à) une guerre civile», une guerre civile qui, si elle venait à être déclarée, mettra incontestablement la Bolivie à feu et à sang alors même que, pour lui barrer la voie, Evo Moralos a préféré prendre le chemin de l'exil. Alors, attendons pour voir…