Le Maroc ouvre le chantier de la taxation des GAFA (acronyme de Google, Amazon, Facebook, Apple). Taxer à terme les multinationales du numérique. C'est bien la dernière mesure qu'envisage d'entreprendre la Direction générale des impôts (DGI) en s'appuyant sur l'Office des changes dans le cadre de sa lutte contre les niches fiscales. Faire passer à la caisse les quatre entreprises les plus puissantes du monde de l'Internet n'est pas une mince affaire. D'autant plus qu'une puissance comme l'UE peine toujours à mettre en place une telle mesure? L'Office des changes et la DGI viennent de mettre en place une commission mixte chargée de la taxation des revenus publicitaires engrangés au Maroc par les GAFA. Cette commission a tenu au courant de la semaine dernière sa première réunion dans l'objectif de déterminer le périmètre d'intervention des missions d'inspection qui seront menées par chaque institution.Si l'on sait déjà que les équipes de l'Office des changes devront s'assurer que toutes les transactions et paiements en ligne avec l'étranger sont conformes à la réglementation de change, il faut dire que plusieurs interrogations s'imposent du point de vue mise en pratique de cette mesure. A plus forte raison que la taxation de ces «contribuables clandestins» représente un véritable défi pour les fiscalistes du monde entier qui peinent à trouver une solution pratique à cette problématique. Pourquoi un changement de texte? Pour l'expert-comptable et commissaire aux comptes, El Mehdi Fakir, les règles de taxation des entreprises actuelles sont fondées sur le principe d'«établissement permanent». Partant du principe de territorialité, M. Fakir explique que «le problème ne se pose pas quand il s'agit de taxer des entreprises qui ont une présence physique dans un pays. Or, quand il s'agit d'une transaction transfrontalière, commerce électronique ou vente de services en lignes, la taxation devient de plus en plus difficile». Selon lui, «la problématique aujourd'hui est qu'il y a une évolution des transactions qui n'est pas accompagnée d'une évolution dans les textes de loi». «Qui doit être imposé lorsqu'on accède à un site web sachant quele support est domicilié aux USA et pas au Maroc et qu'il est déjà assujetti au code des impôts américain ?», s'interroge notre expert. Pour notre fiscaliste, ces entreprises profitent –du moins d'un point de vue théorique- d'un chiffre d'affaires dont une partie a été réalisée d'une manière ou d'une autre au royaume sans payer d'impôt, car elles ne sont pas présentes au Maroc pour qu'on puisse les imposer. «C'est injuste», s'est-il insurgé en proclamant qu'il est «tout à fait légitime de la part des autorités marocaines de chercher les meilleures manières d'imposer ces transactions numériques». Or, cette ambition légitime se heurte à d'énormes difficultés de mise en œuvre. Astreintes de mise en œuvre Partant du fait que les entreprises du numérique peuvent offrir leurs services via le net en étant juridiquement installées dans un pays de leur choix en particulier ceux qui offrent des conditions fiscales avantageuses (Irlande, Luxembourg etc.) la question de «comment vérifier la transparence ?» qui s'impose avec acuité demeure toujours sans réponse. S'il s'avère difficile pour les Européens d'évaluer les pertes fiscales du fait qu'on ne sait pas quelle est l'activité réelle des GAFA, dans les pays où elles sont installées, alors qu'en est-il du Maroc? La première entrave qui s'impose ici-bas, de l'avis de M. Fakir, est «l'absence de preuves du droit fiscal». «Est-ce qu'un clic peut être une preuve de droit fiscal?», s'interroge notre source. «Le principe de taxer un service est clair, mais pas dans notre cas et c'est là où il y a le challenge?», affirme ce consultant. Selon lui, «l'approche qui a été conduite par les pouvoirs publics est raisonnable, c'est-à-dire de commencer d'abord par faire un travail technique et par la suite chercher des solutions adaptées». Ceci dit, «cela restera quand même très difficile de contrôler le trafic, car on n'a pas les moyens pour faire ça», se rétracte l'expert. Une mesure contre-productive? Face à toutes ces contraintes, plusieurs interrogations sur l'efficience de la taxation des multinationales numériques s'imposent. A ce propos, Mohamed Hdid, l'ancien président de la commission fiscale de la CGEM s'interroge «est-ce qu'on a réellement une grande valeur ajoutée qui est réalisée au Maroc par les GAFA ?». Selon lui, «il y a déjà une retenue à la source sur le montant brut de 10% qui se fait sur toutes les prestations de services qui sont produites à l'étranger». Ce qui suppose d'évaluer d'abord les revenus réalisés par les GAFA au Maroc. « Il doit y avoir une évaluation des pertes fiscales. Il faut voir est-ce qu'il y a des revenus réalisés par ces GAFA au Maroc, comment ils sont taxés aujourd'hui et quel est le manque à gagner», tient à mettre en évidence M. Hdid. Un effort a été consenti, dans ce sens, par les services de l'Office des changes qui évaluent les revenus publicitaires des GAFA au Maroc à 700 millions de dirhams. Tout en rappelant que «sur toutes ces prestations on est déjà sensé prélever 10% à la source donc c'est comme si on taxe une marge de l'ordre de 30%», ce vieux routier du débat fiscal indique qu'«au taux normal de l'IS de 30% ou 31% aujourd'hui, on paye 10% sur le CA, soit l'équivalent de l'IS sur une marge de 33%». Si ces GAFA déclarent un bilan avec une marge de 33%, ils vont payer 31% de 33%.Ce qui revient à près de 10% sur le CA», explique fondateur du cabinet Hdid& Associés. Minimisant l'impact de cette mesure sur les recettes fiscales, le président de Fédération internationale des experts-comptables et commissaires aux comptes francophones (FIDEF) s'exclame : «Si on s'assure que les 10% sont prélevés chaque fois qu'il y a un transfert, alors quel est l'enjeu ? On parle de 700 millions et on a déjà prélevé 10%». Abordant le sujet sans concession aucune, M. Hdid déduit que «prélever ces 10% vaut mieux que de voir les GAFA déposer un bilan négatif». Croyant savoir que «la réflexion à propos de ce sujet, qui vient de commencer, ne va pas aboutir que dans 3 à 4 ans», ce fiscaliste conclut qu'il «vaut mieux travailler sur des revenus beaucoup plus important plutôt que de chercher des revenus fiscaux superflus par rapport à l'essentiel et combatte l'évasion fiscale etc». Reste à s'interroger : Ne serait pas plus laborieux de chercher pour une économie telle que la nôtre de miser sur les «fintech» ou la finance digitale pour attirer de nouveaux capitaux que de chercher à imposer des services qui payent déjà 10%?