C'est un exercice difficile qu'est celui de se creuser les méninges en essayant d'énumérer l'innombrable. Se livrer à louer l'apport de Mounir Rahmouni à la presse est un exercice futile. L'Homme est un cador, un pionnier, une icône et une école de journalisme: prenez l'adjectif qui vous plaira, il lui siéra parfaitement. Mounir Rahmouni s'est éteint samedi dernier à l'âge de 70 ans en temps des mortels, mais on a l'impression de le connaitre depuis le début des temps. Le deuil de Mounir, c'est le deuil de la presse mais aussi celui d'une ère. Celle où ne s'exprimait que le brave et ne publiait que l'intellectuel. Dans un temps où tracer son nom à l'encre dans un journal marocain fut synonyme de militantisme, le défunt a ouvert grand la porte aux talents assoiffés d'expression et leur a donné accès à «l'Opinion des jeunes», son enfant qu'il a mis au monde en 1968, pour en forger les plumes de l'avenir, à l'époque. L'avenir s'est transformé en présent, le présent en passé, et l'Opinion des jeunes a maintenant 50 ans. Les journalistes formés et accompagnés par Rahmouni, ses «élèves», ceux qui ont puisé leur savoir-faire journalistique sous son encadrement, sont à la retraite pour la plupart... Ils ont contribué du mieux qu'ils le pouvaient au cercle vertueux de l'information, et cette perte a certainement stimulé leurs souvenirs de jeunesse... et leurs larmes. Dans la communauté journalistique, la jeune génération, qui ne le connait que de réputation, aspire à se forgerun jour, suivant son modèle, un nom dans la postérité de ce métier ingrat. On ne peut faire meilleure carrière, un parcours tracé dans l'humilité, la continuité et la soif de mieux faire au quotidien. Des distinctions, le défunt n'avait certes nul besoin pour confirmer son statut de leader d'opinion. Il en a pourtant reçu de son vivant des dizaines, dont la reconnaissance communautaire pour l'ensemble de son œuvre en 2007, cet hommage qu'est le Prix de la Presse. La distinction ultime vient de son public. En sirotant mon café le matin du 18 septembre, dans un quartier anodin de Casablanca, son nom a détourné mon attention. Mon voisin de table se versait dans le récit nostalgique d'un temps où l'ODJ était pour lui l'échappatoire littéraire de prédilection, et décrivait, au serveur attentif jonché sur son comptoir, comment feu Rahmouni fut un artiste qui savait stimuler l'imagination, en concluant avec un «Allah yrahmou» les yeux baissés. Peu de gens ont le don de marquer leurs congénères de leur passage parmi les vivants. Très peu ont accès à la postérité dans les méandres de la mémoire collective. Au nom de plusieurs générations de marocains : merci Mounir.