La raison d'être principale du droit international est d'éviter, tant que possible, le recours aux armes. Les rédacteurs de la Charte des Nations Unies ont pris le soin de prévoir une panoplie de mesures de règlement, et même de prévention des différends, qui se prêtent à une interprétation lato sensu, notamment aux termes du paragraphe 1er de l'article 33 de la Charte qui dispose que : « Les parties à tout différend dont la prolongation est susceptible de menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationales doivent en rechercher la solution, avant tout, par voie de négociation, d'enquête, de médiation, de conciliation, d'arbitrage, de règlement judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux, ou par d'autres moyens pacifiques de leur choix ». Il en résulte que cette diversité de modes de règlement pacifique des différends n'écarte pas d'autres formules que les Etats et les organisations internationales pourraient élaborer. La Charte des Nations Unies s'est efforcée, en effet, de laisser une marge de manœuvre aux intéressés pour qu'ils innovent dans ce domaine. C'est dans cet esprit que le Roi Hassan II, après que la Cour Internationale de Justice (CIJ) ait rendu son Avis consultatif le 16 octobre 1975 sur le Sahara occidental, avait déclaré dans un discours prononcé le même jour qu'il envisageait d'organiser une Marche pacifique afin de parachever l'intégrité territoriale du Maroc. Ce discours historique s'est inscrit dans une double logique de confirmation de la volonté de recouvrer la souveraineté du Royaume sur ses provinces du Sud et d'exercice d'une pression sur la puissance occupante, en l'occurrence l'Espagne, en vue d'ébaucher des négociations pour se retirer de ces territoires tout en se pliant aux principes et aux règles du droit international. Ce discours a trouvé un écho favorable sur le plan national. A ce titre, il a réussi à fédérer tous les citoyens autour d'une même finalité, puisque 350 000 volontaires, dont 10% de femmes, ont participé à cette Marche pacifique. En revanche, au niveau international, l'entreprise de cette Marche fut tantôt accueillie avec prudence, voire étonnement, tantôt rejetée, notamment de la part de l'Espagne et de l'Algérie. C'est ainsi que l'Espagne décida de recourir au Conseil de sécurité des Nations Unies par une lettre en date du 18 octobre 1975, au motif qu'il y avait, suite à l'initiative marocaine, une menace contre la paix et la sécurité dans la région. Le Conseil évita de condamner expressément la marche dans sa résolution 377 datée du 22 octobre 1975. De son côté, l'Algérie s'opposa fermement au projet marocain en le qualifiant d'« expansionniste ». Cette position va engendrer une vive tension entre les deux pays voisins. De ce fait, le Maroc essaya de démontrer qu'il n'était pas tenu, sur le plan international, d'agir en fonction des normes reconnues universellement, mais conformément à des normes spécifiques inscrites dans sa tradition historique. A ce titre, il fallait envisager le problème du Sahara, non pas dans le seul cadre juridique du droit de la décolonisation, mais également dans celui des droits historiques. Par ce procédé, le Royaume a néanmoins réussi à exercer une certaine pression sur l'Espagne pour revoir ses visées coloniales. Celle-ci fut conduite à conclure l'accord tripartite de Madrid avec le Maroc et la Mauritanie le 14 novembre 1975. Cet accord a officialisé la fin de la présence espagnole au Sahara occidental puisque le retrait définitif des derniers fonctionnaires et soldats espagnols fut prévu le 28 février 1976, et ce, en parfaite conformité avec le chapitre VI de la Charte des Nations Unies qui prône la consolidation de la paix et de la sécurité internationales par le règlement pacifique des différends. La Marche Verte constitue donc une œuvre inédite en matière de résolution pacifique des conflits territoriaux. Il est vrai qu'il n'existe pas de norme écrite ou coutumière prohibant l'organisation d'une Marche pacifique pour revendiquer la récupération d'un territoire spolié par une force occupante. Il s'agit d'une méthode innovante si l'on considère celles pratiquées habituellement dans le cadre du Chapitre VI de la Charte de San Francisco. En créant une nouvelle situation, la Marche Verte a déjoué tous les scénarii qui auguraient d'une défaillance marocaine et qui présumaient la création, au Sahara marocain occupé, d'un Etat satellitaire. La pertinence de la Marche Verte se révèle notamment au niveau du choix pacifique, jugé adéquat avec les textes fondateurs du droit des gens, adopté par le Royaume du Maroc. Ce qui explique l'appui suscité par cette démarche novatrice sur le plan international. Dans cette optique, plusieurs pays ont manifesté leur soutien à l'entreprise marocaine. Ainsi, le Soudan a déclaré, sans aucune réserve, son appui à la légitimité de l'action marocaine. La même position a été prise par l'Ouganda, le Sénégal, le Gabon ainsi que par la majorité des pays du continent africain. Cet appui a raffermi le bien-fondé de l'esprit de la Marche Verte. Dans la conception du droit international de l'époque, marqué par l'antagonisme Est-Ouest, la Marche Verte constitue un nouvel instrument de paix qui traduit une vision projetée sur l'avenir, visant à responsabiliser l'ensemble de la Communauté internationale quant au maintien de la paix et de la sécurité dans une région aussi stratégique dans le monde. Dans le même ordre d'idées, il faut souligner que la démarche marocaine concilie la volonté nationale unanime de parachever l'intégrité territoriale du Maroc et la référence explicite aux standards internationaux afférents au règlement pacifique des différends. Avant de déclencher cette Marche, les autorités marocaines n'ont pas lésiné sur les moyens susceptibles de générer une mobilisation à toutes les échelles, juridique, politique, nationale et internationale. L'originalité et l'authenticité de ce mode de récupération des zones colonisées ont permis une prise de position en faveur du Maroc au sein du Conseil de sécurité, malgré le fait qu'il ait refusé, dans un premier temps, d'arrêter la progression de la Marche à la demande des membres permanents de l'Organisation des Nations Unies (ONU). Il l'a fait plus tard pour pouvoir entamer des négociations - conformément aux principes de la Charte des Nations Unies - avec le protagoniste principal, l'Espagne, en présence d'une délégation mauritanienne. Cette réunion a permis la signature de l'accord de Madrid qui a instauré une phase transitoire permettant l'installation, pour une durée limitée, dans la zone sujette au différend, d'une administration intérimaire. Au regard du droit international, les dispositions de l'accord de Madrid sont expresses, notamment en ce qui concerne le retrait de l'Espagne et le transfert de la souveraineté au Maroc. Ce qui révèle l'aspect purement juridique de cet accord, en le situant dans un sillage de continuité vis-à-vis des résolutions prises antérieurement sur cette affaire, par l'ONU et par l'Organisation de l'Unité Africaine et confirme, par conséquent, la nature bilatérale du différend opposant le Maroc et l'Espagne. Il faut rappeler ici que le parlement espagnol a entériné, le 19 novembre 1975, l'accord de Madrid ainsi que le décret royal qui a ordonné au gouvernement espagnol de restituer au Maroc le territoire du Sahara. Signé donc sous l'effet de la Marche Verte, l'accord de Madrid a mis fin à une situation d'occupation et a créé une nouvelle donne, notamment au sein de l'Assemblée générale des Nations Unies. Celle-ci, habituée à traiter le dossier du Sahara à l'aune de la dichotomie classique Nord-Sud, consécutive aux guerres de libération nationale, s'est retrouvée contrainte de tenir compte de nouvelles considérations, et prit acte, dans sa résolution 3458 B du 10 décembre 1975, « (…) de l'accord tripartite intervenu à Madrid, le 14 novembre 1975, entre les gouvernements espagnol, marocain et mauritanien, dont le texte a été transmis au Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies le 18 novembre 1975 ». Porteuse d'une nouvelle situation juridique, la Marche Verte a mis fin à la présence espagnole au Sahara, et ce, d'une manière jusque-là inédite dans les relations internationales, ne sacrifiant aucune vie humaine et observant les normes élémentaires du droit international. *Analyste au Centre d'Etudes Internationales * Le Centre d'Etudes Internationales (CEI) est un groupe de réflexion et d'analyse basé à Rabat. Acteur actif du débat afférent à la conflictualité saharienne et à certaines thématiques nationales fondamentales, le CEI a publié, en 2010, auprès des éditions Karthala, un ouvrage collectif intitulé : « Une décennie de réformes au Maroc (1999-2009) ». En janvier 2011, le CEI a rendu public, auprès du même éditeur, un second ouvrage titré, « Maroc-Algérie : Analyses croisées d'un voisinage hostile ». Il vient également de faire paraître, auprès des éditions précitées, un ouvrage portant sur « Le différend saharien devant l'Organisation des Nations Unies ». Outre ses revues, libellées, « Etudes Stratégiques sur le Sahara » et « La Lettre du Sud Marocain », le CEI compte à son actif plusieurs supports électroniques dont, www.arsom.org, www.saharadumaroc.net et www.polisario.eu.