Abdelouahed Souhail : toute alternative crédible de la gauche doit aller au-delà de la fonction tribunitienne Partant de leur dénominateur commun de nourrir ensemble l'aspiration d'édifier un Etat démocratique avec ses institutions, sa Constitution, ses libertés politiques, civiles et avec ses orientations de réaliser le développement, la justice sociale, la bonne gouvernance et l'égalité des chances pour l'ensemble de ses enfants et régions, la gauche marocaine est en mesure de relever le défi d'élaborer un projet-alternative à la situation actuelle, a affirmé samedi à Rabat, Abdelouahed Souhail, membre du Bureau politique du Parti du progrès et du socialisme (PPS). Souhail, qui intervenait lors d'un colloque organisé par la revue arabophone « Le Projet pour la pensée et la formation» sous le thème « la nécessité de la gauche », a souligné la possibilité pour la gauche d'élaborer un projet qui traduit ses aspirations à un Etat visant la promotion de toutes les expressions culturelles, de la solidarité entre toutes les composantes de la société, un projet qui contribuerait à la mise en place de politiques publiques au service des objectifs précités et à l'institutionnalisation du contrôle des dirigeants à tous les niveaux des décisions politiques et sociales. Il a rappelé aussi la nécessité d'élaborer une alternative réalisable et réaliste, sachant que les acteurs de la gauche marocaine ne représentent qu'une minorité dans la société, laquelle a favorisé la naissance d'autres forces politiques qui ont d'autres projets. Le conférencier a évoqué à ce propos une série d'interrogations sur les possibilités de mettre en œuvre un tel projet de la gauche en l'absence des perspectives de coordination et d'une stratégie et tactique communes des composantes de la gauche. Selon Souhail, il ne faut plus se contenter d'une fonction tribunitienne. Tous les acteurs de la gauche sont appelés à participer, chacun, à partir de sa position dans la politique locale, régionale et nationale et dans l'opposition, à l'intérieur et à l'extérieur des institutions. Il a en outre fait savoir que la gauche se doit aussi de relever le défi de la diversité de ses composantes : plus de sept partis politiques, trois syndicats parmi les 5 centrales les plus représentatives et 36 organisations syndicales enregistrées qui n'encadrent en tout que 3 pc des travailleurs, alors que le patronat dispose d'une seule organisation (CGEM), qui a acquis par-dessus le marché le rôle de représentant unique du patronat qui élit parmi ses membres des conseillers parlementaires. La multiplicité des organisations politiques de la gauche n'est en fait que le fruit des scissions successives qu'ont subies deux anciens partis politiques progressistes, à savoir l'Union nationale des forces populaires (UNFP) et sa suite et le parti de la libération et du socialisme (PLS) et sa suite. Mais ce qui est paradoxal, selon Souhail, c'est de constater que les progrès réalisés en matière des libertés et de la pratique démocratique et constitutionnelle dans le pays sont plutôt accompagnés par un affaiblissement continu de la gauche au sein de la société et de sa force organisationnelle ainsi que de la masse de son électorat, du pouvoir de sa presse et de sa capacité d'encadrement dans la société. C'est ce qui a favorisé inéluctablement l'aggravation des différences, provoqué de nouvelles scissions des partis politiques de la gauche et rendu difficile la possibilité de rassembler la gauche marocaine pour travailler ensemble et avec les alliés politiques a-t-il dit. Et c'est également ce qui a contribué à l'affaiblissement du rôle de ses organisations spatiales et socioprofessionnelles et éloigné les perspectives de dialogue politique et intellectuel, laissant le champ libre à des sorties médiatiques pour le règlement des comptes, a-t-il poursuivi. Il a fait savoir aussi que l'absence de représentation des militants, des travailleurs, des paysans, des femmes, des artisans et des intellectuels dans les organisations de la gauche doit pousser les militants à faire leur autocritique pour définir les points de faiblesse et les erreurs et rechercher le moyen de les dépasser. Malgré donc cette situation et la faiblesse des moyens en présence, la gauche marocaine se doit de jouer pleinement son rôle dans l'encadrement de la lutte du peuple marocain pour réaliser davantage de paix, de dignité et de démocratie, tout en ouvrant la voie à de nouvelles générations de dirigeants pour prendre la relève en vue de mettre à exécution des politique publiques visant l'avènement d'un Etat plus démocratique. Auparavant, Abdelouahed Souhail a donné un aperçu historique sur l'évolution du socialisme dans le monde et au Maroc, rappelant que dès sa naissance dans les pays industriels, à l'issue d'un long débat politique et intellectuel profond, le mouvement a manqué d'unité, donnant lieu plus tard à l'apparition de différentes familles socialistes, administrant la preuve que la culture de la différence colle depuis toujours à l'évolution des mouvements socialistes dans le monde, ce qui signifie d'un côté l'enrichissement et la diversité, mais d'un autre côté la division et l'éparpillement, et partant la primauté dans certains cas des contradictions secondaires sur les contradictions principales. Ces différences ont un effet sur l'interprétation et la saisie de la réalité complexe prévalant au niveau international, régional et national et la définition des taches et du projet sociétal ainsi que des alliances, stratégies et tactiques appropriées pour remplir cette mission, a-t-il dit. Il a fait savoir de même que d'aucuns considéraient que la victoire de la révolution russe et de la construction du socialisme réaliste comme un acquis irrévocable pour l'humanité, en particulier après la deuxième guerre mondiale et la victoire de la révolution en Chine, Indochine et Cuba. Pendant ce temps, le bloc soviétique constituait un soutien du mouvement de libération nationale à travers le monde dans les trois continents concernés alors que le rôle des socio-démocrates dans les pays européens et en Amérique s'est renforcé. L'effondrement de l'URSS a créé une nouvelle situation géopolitique et une crise dans la pensée et les concepts, crise dont l'impact dure jusqu'à présent. Ce qui a créé un nouveau défi à relever, lié à la renaissance de la pensée néolibérale et à une offensive sans précédent (vers la fin de l'histoire) ayant permis à la finance de prendre le dessus sur l'économie et de consacrer la domination du modèle capitaliste sur les peuples et les Etats, à travers un processus de la financiarisation des économies et de la perte de souveraineté sur les choix économiques, financiers et sociaux de la plupart des pays et des Etats. Ce qui a nécessité par ricochet d'énormes sacrifices de la part des peuples et des travailleurs à travers l'imposition des programmes d'ajustement structurel et l'intervention directe du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale ainsi que des milieux financiers et de leurs groupes pour réduire à néant les acquis des travailleurs et imposer le recours au marché, processus qui se traduit par la paupérisation des masses et la prolifération de la pauvreté et de la précarité, même dans les pays dits riches. Un autre défi réside dans le fait de parvenir à un projet de la gauche devant permettre de faire face à l'arrogance du capitalisme sauvage à l'heure de la mondialisation en cours et de la suprématie de la finance dans l'économie mondiale et également au Maroc, pays où l'option démocratique demeure vulnérable en dépit des progrès réalisés grâce aux sacrifices des forces démocratiques et progressistes, a souligné Abdelouahed Souhail. Cette première séance dédiée aux partis politiques a été marquée par les interventions de Driss Lachgar, premier secrétaire de l'USFP, Abdeslam Abdelaziz, secrétaire général du congrès national ittihadi, Mustapha Lebrahma, secrétaire national du Nahj démocratique et Ali Boutouala, secrétaire national adjoint de l'avant-garde démocratique et socialiste. Après avoir brossé un tableau plutôt noir de la situation de la gauche marocaine, Lachgar a appelé à la mise en place d'un pôle de la gauche marocaine doté d'une ligne politique claire pour mettre en œuvre la Constitution, organiser les pouvoirs de l'Etat et le contrôle des institutions, poursuivre les réformes et conforter l'immunité nationale et l'intégrité territoriale du pays. Pour la construction de ce front démocratique, l'USFP est ouvert au dialogue avec les acteurs de la gauche, a-t-il affirmé. Idem pour tous les autres intervenants qui ont appelé au dialogue et à la concertation pour la mise en place d'un pôle de la gauche marocaine, au sein duquel l'USFP devra jouer le rôle central, selon Abdellah Saâf, plus explicite dans une intervention présentée lors de la seconde séance réservée aux contributions académiques.