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César ne pourra pas conquérir le Maroc
Publié dans Albayane le 05 - 02 - 2016

Personne ne représente personne et «personne n'a le droit de dire à qui que se soit ce qu'il croit lui convenir». Une phrase que j'ai lu dans «Lumière D'Aout», un roman de William Faulkner et qui m'avait marqué à vie. Nos actrices et nos acteurs marocains sont souvent victimes d'une réaction brutale et violente de la part d'une société qui se croit la meilleure, l'irréprochable et la plus saine. La plupart de leurs concitoyens croient que ces actrices/acteurs les représentent mal en donnant une très mauvaise image d'eux, voire les déshonorent à travers des personnages fictifs qu'elles/ils incarnent dans des films eux aussi fictifs !
Notre société offusquée, rejette d'emblée ces films et condamne sévèrement ces actrices/acteurs parce que, pour cette société, la femme marocaine ne ressemble pas à l'image qu'on en fait d'elle. Elle est tout à fait différente de ce que montrent et veulent dire ces films! Chaque fois que ce genre de chose arrive chez nous, le même grand débat s'installe entre une minorité qui est toujours pour, et une majorité qui est toujours contre, sans que cela n'aboutisse à quoi que ce soit de concret et sans que rien ne change !?
Pourquoi croit-on toujours que nos actrices nous représentent à travers les personnages féminins qu'elles incarnent dans des films de fiction? Pourquoi cela se passe uniquement chez nous au Maroc et pas ailleurs ? Je n'ai jamais entendu pareille polémique concernant des actrices algériennes ou tunisiennes ou même égyptiennes qui, soi disant représentent mal leur concitoyennes !? Sommes-nous à ce point pieux, intouchables et non critiquables?
Sachant qu'aucune femme ne ressemble à une autre et que toutes les femmes sont aussi variées et différentes les unes des autres tels des empreintes digitales. On aimerait bien savoir, et moi en l'occurrence, ce que veut dire exactement être une femme marocaine? Chemin faisant, on aimerait bien aussi savoir ce que veut dire être femme algérienne ou tunisienne entre autre, et à quoi ça ressemble t-il au juste ? C'est quoi le modèle ou l'échantillon, pour le savoir, et éviter ce grand faux débat et cette fausse polémique qui empêchent notre cinéma de décoller et de nous représenter comme nous sommes réellement dans notre particularité et notre différence? Le cinéma est, avant tout l'art du détail et du particulier par excellence? Personne ne représente personne et personne n'a le droit de dire à qui que se soit ce qu'il croit lui convenir.
Dans un film, une scène d'amour n'est jamais une scène d'amour et un baiser n'en n'est jamais un. Une trentaine de techniciens entourent toujours les comédiens dans les scènes les plus intimes ! Godard l'a si bien dit un jour : «le couteau dans le cinéma n'a jamais tué personne et le sang à l'écran n'est que du rouge» Je me rappelle, il ‘y a quelques années, ce qu'avait enduré Sanae Akrod, une de nos actrices marocaines, talentueuse et très douée. Elle avait joué dans un film égyptien incarnant le personnage fictif d'une amante d'un personnage, lui aussi fictif, incarné par un grand acteur égyptien Mahmoud Hamida. Toutes les marocaines se sont vues représentées par elle et ont crié au scandale ! Elles étaient soi disant indignées et touchées dans leur honneur parce qu'elles «ne sont pas comme ça!» Des marocains mâles se sont même porté garants pour défendre leurs femmes marocaines ainsi que leur honneur. Un spectateur lambda, un peu tolérant, sachant que je suis dans le domaine m'avait dit un jour à ce propos «si au moins Ils étaient mariés dans le film ça serait moins choquant et ça aurait mieux passé et sans heurt». Où sommes-nous là !? Je rêve !? Pourquoi les hommes occidentaux ne réagissent pas de la sorte quand leurs actrices interprètent des rôles pareils? «Ils s'en foutent parce qu'ils sont des mécréants et des impuissants» m'avait un jour expliqué un autre spectateur lambda! Je me rappelle toujours, sourire aux lèvres, quand j'étais encore jeune, on se racontait fièrement cette histoire des suédoises qui kidnappent les immigrés marocains dès leur descente à l'aéroport de Stockholm. Elles les enferment des jours durant afin d'assouvir leur avidité sexuelle avant de les lâcher dans la nature, tout simplement parce que les hommes suédois ne sont pas capables d'honorer leur femmes!!! Ces histoires n'ont jamais dérangé personne chez nous ! Au contraire on les brandit fièrement en se les racontant à qui veut les entendre !
S'est-on jamais posé la question : «qu'allons nous dire si, par exemple un de nous acteurs marocains mâle, Younès Megri ou Mourad Zaoui, par exemple avait interprété le rôle d'un amant viril qui sort avec un personnage incarné par une actrice égyptienne ou tunisienne ou peu importe sa nationalité du moment qu'elle ne soit pas marocaine ? Allons nous condamner cet acte qui, lui aussi pourrait déshonorer nos hommes ? Serions-nous choqués de la même manière? Ou allons nous tout simplement sauter de joie et crier victoire car notre fierté et notre virilité seraient satisfaite par cette espèce de représentativité dans la quelle nous excellons et dont nous somme réputés être champions. Mais même ici il ‘y a nuance! Nos acteurs mâles quand ils sont presque nus dans des scènes osées nous déshonorent aussi et nous dérangent gravement ! Je parle ici de ce qu'avait suscité comme débat la scène de Khalid Benchegra dans les yeux secs de Narjiss Nejjar, de Driss Roukhe dans Casanegra et de Siad Bey dans Zéro de Nour Lakhmari, entre autre,
Je ne vais pas vous rappeler la fameuse histoire de la grande actrice Latefa Ahrrarer et son fameux caftan entrouvert sur un tapis rouge lui aussi sujet de débat. Même le tapis rouge crée la polémique chez nous ! Qui le fait, comment il le fait et pourquoi il le fait ! Latifa Ahrrare était aussi accusée d'avoir désacralisé le Coran alors qu'elle ne faisait que lire un texte poétique à la manière des tolbas marocains pour lui donner une autre connotation et pousser les spectateurs à repenser autrement leur culture. Latifa Ahrrare n'a pas touché au Coran mais ce n'était, à ma connaissance, qu'une illusion à un rite millénaire hérité des juifs; la manière des tolbas de réciter le Coran ! Si les marocains n'arrivent pas encore à dissocier réalité et fiction cela veut dire que le problème et grave, voire alarmant ! Je me rappelle cette profonde et, oh combien vraie, la citation d'Abdallah Laroui dans son livre réflexions matinales «Depuis le tout début, les marocains ont un penchant particulier pour tout ce qui est réel». Quelques part Laroui avait raison : les marocains ne lisent un film et celui-ci n'a de la valeur pour eux qu'on fonction de son rapport au réel et à la réalité. J'entends par réalité véracité. Après chaque projection d'un de mes films, les gens venaient souvent me poser presque la même question : «est ce que ça s'était réellement passé?» Si je leur réponds par un «oui» ils partent soulagés et acceptent le film même s'ils n'ont pas l'air de l'avoir trop apprécié ! C'est peut être pour cette raison que les marocains aiment les films documentaires et les respectent plus que les films de fiction. Les marocains, ce peuple profondément conservateur, malgré les quelques apparences trempeuses, vivent toujours avec le sentiment permanent qu'ils sont lésés et que leurs droits sont souvent bafoués. Ils croient que les films documentaires sont habilités à mieux les représenter plus que les films de fiction qui, en réalité, dévoilent ce que ces marocains essaient toujours de cacher. Voilà une perspective d'analyse pour essayer de comprendre le phénomène...
Chez nous, le problème est d'ordre sociétal plus qu'il n'est cinématographique. Il est dans l'image qu'on a de la femme et comment on se la représente. Dans une société, où le policier pourrait se permettre (s'il le veut) d'arrêter un homme et une femme qui cheminent ensemble ou roulent dans une voiture parce qu'ils ne sont pas mariés et où on pourrait refuser à une femme la réservation d'une chambre d'hôtel tout simplement parce qu'elle habite la même ville où se trouve l'hôtel il y'a un long chemin à parcourir pour sortir de la tutelle et pour redresser les choses !
Une autre actrice marocaine débutante, devenue célèbre grâce à ce genre de polémique plus qu'avec des rôles joués dans des films, vient d'être nominée aux césars. Tant mieux, je ne peux qu'applaudir l'initiative. Le comble c'est que le même grand faux débat s'installe à nouveau. Un débat para-cinématographique encore une fois. La majorité des marocains n'ont pas aimé le film dans lequel elle a joué certes, mais personne ne nous a jamais dit exactement pourquoi ! Ceci est aussi valable pour ceux qui ont aimé ce film et l'ont défendu ! Tout le monde se cache derrière le réel argumenté de phrases du genre «Non, nous ne sommes pas comme ça». Ou bien «Si, nous sommes comme ça.» Et le cinéma dans tout cela ? Qui a parlé du film en tant que tel ? Même cette France détentrice de savoir cinématographique et qui, soit disant, déniche les chefs d'ouvres méconnus de la plèbe, ne nous a pas éclairci sur ce point. On prime le cinéma ou bien on prime les causes ? On aimerait bien le savoir.
Personnellement je ne fais aucun cas des césars, des oscars et des palmes d'or. Ce qui m'intéresse c'est ce que, moi, je pense d'un film et comment je le lis. Comment je juge le jeu de ses acteurs et comment j'estime la valeur ajoutée du produit filmé. Le reste «je m'en tape royalement». Je ne suis pas facilement influençable. Je n'apprécie pas et je ne déteste pas un film par procuration. Ce n'est pas parce que tel ou tel film a obtenu la palme d'or que je dise «Amen» et qu'il soit indiscutable pour moi. «Seul le temps est capable de juger la qualité d'un bon film et Dieu reconnaîtra les siens» avait dit un jour sagement Abbas Kiarostami. Quant à César, lui, il peut attendre car nous, on a encore d'autres chats à fouetter.


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