Le projet de loi des finances 2016, dans sa version initiale et avant l'amendement apporté par la chambre des représentants, prévoyaitle durcissement de la pénalisation de la fraude fiscale, l'objectif du gouvernement par cette mesure étant de «serrer l'étau autour des fraudeurs pour plus d'équité, et plus de recettes fiscales». Actuellement, le Code Général des Impôts (article 192) punit, en plus des sanctions fiscales, d'une amende de cinq mille (5.000) dirhams à cinquante mille (50.000) dirhams, toute personne convaincue de fraude fiscale dans les cas suivants : - délivrance ou production de factures fictives ; - production d'écritures comptables fausses ou fictives ; - vente sans factures de manière répétitive ; - soustraction ou destruction de pièces comptables légalement exigibles ; - dissimulation de tout ou partie de l'actif de la société ou augmentation frauduleuse de son passif en vue d'organiser son insolvabilité. En cas de récidive, avant l'expiration d'un délai de cinq (5) ans qui suit un jugement de condamnation à l'amende précitée, ayant acquis l'autorité de la chose jugée, le contrevenant est puni, outre de l'amende prévue ci-dessus, d'une peine d'emprisonnement de un (1) à trois (3) mois. Le PLF 2016 proposait, dans sa version initiale, que la peine d'emprisonnement soit de 1 mois à 2 ans et ne soit plus prononcée qu'à la récidive, tout en reprécisant les cas de fraude comme suit : - production d'écritures comptables fausses ou fictives; - vente sans factures de manière répétitive et délivrance ou production de factures fausses ou fictives; - présentation de factures ou pièces justificatives fictives et soustraction ou destruction de pièces comptables légalement exigibles; - dissimulation de prix d'achat ou de vente ou dissimulation de tout ou partie de l'actif de l'entreprise ou augmentation frauduleuse de son passif en vue d'organiser son insolvabilité; - absence de déclarations relatives aux activités professionnelles exercées pendant une période dépassant quatre (4) ans. Cette mesure qui a suscité une véritable levée de boucliers de différentes sphères économiques et politiques soulève, de notre part des commentaires et des observations à deux niveaux : 1° Pour être en phase avec l'orientation que semble prendre la réforme de la Justice en cours de finalisation, il serait opportun d'ouvrir l'éventail des peines en cas de fraude fiscale, en privilégiant un recours plus fréquent aux sanctions autres que l'emprisonnement (couteux pour la collectivité). Des peines alternatives pourraient être retenues, telles que la privation de droits civiques, la déchéance commerciale, l'accomplissement de travaux d'intérêt général, ... L'objectif étant d'éviter le dilemme entre l'enfermement, que les juges réservent aux cas les plus graves, et le sursis, qui conduit souvent à une absence de sanction effective. Ces peines alternatives devant, bien entendu, être réservées aux cas de fraude portant sur des montants ne dépassant pas un certain seuil. 2° La fraude fiscale est devenue, depuis un certain temps, un élément essentiel du business modèle, voire de survie, d'un certain nombre de secteurs d'activité. Pour s'en convaincre, il suffit de penser à tout le chemin qu'il faudrait faire faire aux acteurs de nombre de nos marchés dans presque toutes les villes du pays où les bénéfices qui y sont réalisés ne sont, pour l'essentiel, que le produit des impôts et taxes éludés. Par ailleurs, l'accentuation de la pénalisation ne saurait, à notre avis, suffire pour venir à bout de ce fléau, qui devrait faire l'objet d'une approche globale et continue pour en cerner tous les leviers et travailler à leur neutralisation et ce, par la mise en place de dispositifs intelligents à même de ramener, graduellement et en douceur, sur le « droit chemin » le plus grand nombre de nos « égarés » fiscaux. Il s'agit d'un travail de longue haleine qui, pour être sérieusement mené, devrait être confiée à une structure dédiée y réfléchissant, je dirai, jour et nuit. Comme le propose le PPS dans son programme économique et social, cette structure pourrait prendre la forme d'un Conseil National de l'Efficacité et de l'Equité fiscale (CNEEF), qui aurait pour mission non seulement la lutte contre la fraude fiscale et l'informel, mais également l'évaluation régulière de l'efficacité des dépenses fiscales, tout en veillant à l'équité fiscale pour un meilleur respect de l'article 39 de notre Constitution. En attendant le Conseil Economique, Social et Environnemental est l'institution idoine pour mener, à «tête reposée», une réflexion sereine sur la question et ce, d'une manière équilibrée en raison de sa composition originale (experts, patronat, salarié, société civile,...). D'autant plus que le CESE avait déjà planché sur la question fiscale au Maroc et avait produit un document de qualité avec plus de 70 recommandations qui sont introduites progressivement dans notre arsenal fiscal.