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L'ivrogne
Publié dans Albayane le 21 - 07 - 2015

Il sort du bruit. Il sort de la foule et vient s'asseoir sur le trottoir, au beau milieu.
Bouteille d'alcool mélangé avec de l'eau, fleurs fanées dans un panier rouge, sac en plastique plein de crabes, cigarette collée à la commissure droite, il regarde les passants. Il a du mal à lever la tête, tellement elle est lourde ! Il chante:
«Aujourd'hui, ton tour est venu
Aujourd'hui, ton tour est venu Papa !»
Il crie : «Venez parlez avec Papa ! Je suis Papa. Venez voir Papa ! Il a des merveilles dans son sac. Des merveilles océaniques! Il a la mer dans la tête. Venez ! Venez !»
Il tombe. Il crache l'alcool, le tabac, le poisson et la misère. Les gens passent sans le voir. Papa est invisible... Des passants rient, d'autres s'indignent, quelques-uns le regardent avec pitié.
Un homme passe distribuant «La publicité» : Dîner Spectacle avec Le chanteur tel et la danseuse telle au Cabaret...! L'homme ne donne pas la petite feuille verte à Papa. Est-il sûr que Papa ne viendra pas ?
Papa ne viendra pas. Lui, il est déjà saoul. Il n'a pas besoin d'aller à ce lieu de plaisirs nocturnes pour cela, il a sa bouteille d'alcool devant lui. Il n'a pas besoin de ce chanteur ni de ses «Shikhates» pour faire danser l'ivresse dans ses fibres. L'ivresse, pour lui, n'est pas une nuit féerique devant la bougie et la musique. Son ivresse est quotidienne, âpre, amère, aigre, atroce, impitoyable et douloureuse. Son ivresse est réclusion, expatriation, absence/présence dans les gens et les choses. Son ivresse est culpabilité, dégoût, révolte maladroite, refus bohémien. Son ivresse est corrosion cérébrale, suicide quotidien, inondation sanguine.
Son ivresse est déracinement... Il n'a pas besoin de cette danseuse pour réveiller en lui la virilité et la certitude d'être masculin. Il n'est plus ce cerf en rut suivant sa biche, prêt à bondir sur le premier rival venu faire la cour à sa femelle. Depuis longtemps, le rut s'est éteint dans ses entrailles ; il a oublié la force, la chaleur et l'extase de l'accouplement. Il est fatigué... Il n'a pas besoin du cabaret, du décor, de la lumière, du luxe de notre ville offerte aux touristes sur un plateau. Il salirait la beauté et la sérénité de ce lieu respectable. Il dérangerait les gens comme il faut. Non, il ne faut pas y aller, il ne faut pas... Il veut aller chez lui.
Il est venu du port, il attend l'autobus, il a apporté des crabes. Les touristes les regardent (ses crabes, sa bouteille, son panier, ses fleurs et lui) avec admiration, émerveillement et étonnement : Belle carte postale ! Originale et exotique ! Et papa est absent : une autre gorgée, une autre bouffée, une autre phrase étouffée, un autre vers coupé...
Une femme passe avec sa petite fille. Comme en se réveillant subitement d'une longue et profonde léthargie, Papa regarde la fillette, ébloui. Il prend une fleur et veut la lui offrir. «Petite fleur, prends cette fleur ! N'aie pas peur ! Je suis Papa. Tiens, prends ! » ... La mère a peur, elle le menace des yeux. Il ne faut pas qu'il touche à sa fille ; il est menaçant et laid... La fille tend la main pour prendre la fleur mais sa mère la tire très fort et s'en va se retournant à chaque pas pour s'assurer que le «monstre» ne les suit pas. «Pourquoi ? Je suis Papa !» Il n'a pas voulu lui faire de mal, il ne fait de mal à personne et aime beaucoup les enfants. Ah ! S'il avait pu l'embrasser ! Pourquoi es-tu là Papa ? Pourquoi es-tu las Papa ? C'est la question, question sans point d'interrogation, question sans échos.
L'autobus vient. Papa prend le panier rouge d'une main, le sac en plastique de l'autre et se dirige vers l'autobus en titubant, oubliant sa bouteille d'eau-de-mort sur le trottoir. Le patron du café l'interpelle : «Prends ta bouteille de poison avec toi, ivrogne ! Tu pollues mes clients». Papa se prosterne, essayant de prendre sa bouteille... Elle lui glisse des doigts et tombe. L'alcool se répand sur le trottoir. Papa a peur. Le patron l'injurie et lui crache au visage. «Pourquoi ? Pourquoi ?», Papa ne comprend pas... Sanglots, soupirs, morve, pleurs... L'autobus est parti.
Ses fleurs tombent du panier. Les passants les écrasent. Ils ne les voient pas, ils ne voient pas Papa, ils ne voient pas sa bouteille cassée, ils sont pressés... Papa hurle silencieusement sa colère et sa rage... Personne ne l'entend, il est invisible, il n'existe pas.
La nuit tombe sur Papa et lui fait mal au cœur. Il vient de rater le dernier bus, il rentrera à pied, il ne rentrera peut-être pas, il ne sait pas, il ne sait plus... Et la fille du voisin à laquelle il a promis d'apporter un bouquet de fleurs ? Et sa femme qui attend qu'il lui apporte du poisson pour le dîner ? Elle ne lui ouvrira pas, c'est sûr. Elle lui criera : « Va dormir avec les chiens bâtards, ivrogne ! »... Il ne pense qu'à la fille du voisin ; cette jolie petite fille qui aime tant les fleurs, surtout les roses rouges. Elle boudera et se fâchera avec lui...
Cela lui fait mal, très mal... Il lui apporte le printemps, chaque soir, au bidonville boueux, du printemps à la main et des oiseaux qui chantent dans sa tête ; un petit instant de bonheur volé à la misère et à la sécheresse de sa vie. Voir la fille de son voisin sourire, sa fleur à la main, le regardant du haut de ses six ans, avec des yeux d'innocence et d'espoir avant de rentrer chez elle, les tresses dans le vent... La voir, rien que la voir lui suffit pour faire le plein de vie, d'oxygène et d'espoir, pour avoir la force de faire... encore un pas vers le futur, pour croire encore en son humanité, pour sentir qu'il est encore vivant, qu'il est encore un homme...
Pourquoi pas ce soir ? Les fleurs sont tombées et les gens les ont écrasées sans s'en rendre compte... La petite fille les attend pour les mettre dans un verre d'eau ! Ils sont vilains les gens, ils sont méchants les gens ! Papa pleure... « Pourquoi ? Pourquoi ? Quand les gens deviendront-ils des êtres humains ? Quand respecteront-ils les fleurs ? Quand ? »
Et s'éloignant comme une ombre dans la brume, il disparaît dans la foule en titubant...


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