Trains, grands taxis, bus : les Marocains voyagent au moins cher et certains se demandent qui va bien prendre le TGV Tanger-Casablanca qui devrait être concrétisé pour 2017 et dont le prix du trajet demeure encore un mystère. Reste que les autorités poursuivent leur plan : il y a deux semaines encore, la création d'un bureau d'étude était annoncée pour faciliter le développement du projet. Week-end du premier mai et le train de 13h30 en partance de Tanger pour Casablanca déborde de passagers. Il met près de 7 heures à couvrir les quelques 300 kms entre les deux gares. En cause : la surcharge de clientèle, coincée dans le mince couloir qui mène aux portes des wagons, complique les montées et descentes. Autre problème : des ralentissements inexplicables de la vitesse du transport public entre les stations. Depuis les fenêtres des cabines, les passagers qui ont la chance d'avoir un siège s'interrogent sur le prix des tickets, prix inchangé qu'on ait une place assise ou non. « Et qu'en est-il du wagon première classe ? », s'enquiert une voyageuse. « S'il y reste des sièges vacants, les passagers de deuxième classe devraient pouvoir les occuper. Ou à défaut, on devrait faire payer le trajet moins cher. » Cela nécessiterait une informatisation et une évaluation en temps réel du nombre de clients. Difficile. « Et dire qu'on va avoir une ligne de TGV Tanger-Casa... Combien coûtera une place assise ? Qui prendra ces TGV ? » Un autre passager lance une hypothèse : « Avec Casa Finance City et Tanger Med, probablement les plus fortunés, les hommes d'affaires. Les autres, ils continueront à prendre les bus, les grands taxis et les trains classiques. C'est moins cher. » Certes, les travaux du TGV prévu à l'origine pour être actif en 2015 ont accumulé du retard. Toutefois, le bureau d'études Arep, filiale de la SNCF, a annoncé il y a moins d'un mois qu'Arep – Maroc allait être créé pour mener des études sur des zones clefs dans le développement de la ligne TGV Tanger-Casablanca, opérationnelle en théorie pour 2017. Par ailleurs, le Maroc travaillerait déjà sur deux nouvelles lignes pour les années 2030 (‘Atlantique' : Agadir-Gibraltar ; ‘Maghrébine' : Casablanca-Tunis par Alger). Les responsables assurent qu'avant ça, la liaison Casablanca-Tanger « deviendra un argument de poids dans le choix des implantations et des délocalisations des entreprises », expliquant cela par des échanges commerciaux en hausse suite aux activités de Tanger Med. Le projet, de minimum 25 milliards de dirhams (dont des deniers français, koweitiens et saoudiens, entre autres), devrait « encourager les échanges Afrique-Europe » et « dynamiser les grands projets nationaux ». Les dirigeants des opérations estiment la rentabilité de cette ligne TGV au-dessus de 8%, sans avoir rendu publics les prix d'un trajet, ni les résultats des études de faisabilité et d'exécution. Cependant, beaucoup de voix se sont élevées ces dernières années pour s'opposer à la construction de la ligne de TGV. Les blogueurs et le collectif « Stop TGV » reprochent la poursuite d'une dynamique profitant uniquement aux plus nantis, une dynamique qui, reconnaissent-ils, a sans conteste bénéficié à la croissance du PIB du Maroc. Le vrai problème, d'après ces contestataires, reste que malgré des évaluations de baisses de CO2 et d'accidents de la route – pour rappel : quelques 200 000 camions emprunteraient annuellement les routes Tanger-Casa suite à Tanger Med –, l'ambition à grande vitesse des autorités (ndlr : ce serait le premier TGV du continent), bien que reconnue officiellement d'autorité publique, ne servirait que minoritairement à l'ensemble de la population. Dans un pays qui veut mettre en place une redistribution des richesses aux plus démunis (discours royal du 20 août 2014), dans un pays à l'indice de développement humain peu élevé relativement à ses progrès économiques (PNUD), les opposants au TGV parlent d'un investissement conséquent, au potentiel de plomber le budget national et d'augmenter les dettes (ndlr : les taux d'intérêt des prêts n'ont pas été révélés), qui aurait pu aller vers l'éducation, principal frein au développement du capital humain dans le pays, ou encore vers la santé. Vers le Nord Depuis la fenêtre du train Passé Kenitra, les usines s'espacent dans les plaines vertes. Les ânes tirent des remorques ; les vaches noires et blanches accompagnent les moutons du berger qui regarde, immobile, le train passer pendant que son troupeau broute. Il ne doit pas avoir plus d'une douzaine d'années, seul avec son bâton. Les vieillards et les femmes jeunes comme âgées se concentrent sur la cueillette, pliés en deux, les jambes tendues. Parallèlement aux rails, les tuyaux d'irrigation des cultures ont été envahis par la mousse et la rouille. Fruits et légumes profitent de chaque rayon de soleil pour pousser comme du chiendent. Des maisons de tôle ondulée, de terre et de briques semblent tombées du ciel pour se planter plic ploc dans les champs. Station de Machraa Bekrisi (à deux heures de train de Casablanca). Les usines s'élèvent du sol tout comme la fumée noire et blanche, des cheminées. La ville, comme ses voisines, vit une expansion ; la construction bat son plein. Le rouge des briques fraîchement posées des nouveaux immeubles d'habitation conservent encore leur teinte foncée ; le béton, pas sec, frôle l'anthracite. Comme le train s'éloigne, il laisse derrière lui ce groupement de population et retrouve ce qu'il préfère : les champs et leurs hommes et femmes discrets et travailleurs. Les hameaux n'ont plus de secrets pour lui. Il les voit tous les jours, plusieurs fois. Il aime cette humanité disséminée, les ouvriers agricoles en djellaba et les ouvrières avec leur fichu. Il sourit intérieurement quand une remorque-taxi avec un toit en toile tenu par quatre piquets en bois et avec dix personnes à son bord attend patiemment qu'il passe. Les boîtes à chaussures blanches au couvercle en aluminium, rangées en rang d'oignon, lui rappellent sans cesse l'ingéniosité des Marocains qui iront vendre ce miel si précieux. Les cactus et les satellites vivent en parfaite harmonie dans les hameaux et observent, eux aussi, les couples s'échiner. Ici, le linge ne sèche pas sur des fils de fer devant les fenêtres d'immeuble ; plutôt, il prend ses aises, sur un fil entre deux arbres, goûtant au vent. Le train adore cette familiarité de ces vies tranquilles, dans lesquelles il s'immisce, le temps de quelques secondes, sans faire exprès, à chaque voyage. Pause obligée, que le train préfèrerait ne pas avoir à faire : il arrive aux abords de Souk El Arbaa. Ici, les enfants portent des cartables mais comme leurs camarades de la campagne, ils jouent volontiers avec les chevaux. Les maisons en dur et les déchets regagnent du terrain. De nouveaux rails traînent du pied, tardant à s'aligner. Les ouvriers eux-mêmes, fatigués de ces réticences, ont déclaré « temps mort ». A l'ombre, chapeaux de paille vissés sur la tête, ils boivent et discutent, assis sur le quai, les jambes ballantes, pendant dans le vide de la future voie. La gare, elle, se tient droite. D'un blanc immaculé, tous les efforts de la ville pour se montrer sous son plus beau jour se seraient concentrés sur elle. Elle éblouit les passagers. Sur son côté droit, un jardinier arrose des roses jaunes et roses et d'autres arbustes de fleurs blanches. Petit paradis, uniquement séparé par une ligne de briques (une seule couche) à même le sol. De l'autre côté, la poussière et les amas de gravas et de cailloux reprennent leurs droits. La locomotive renoue avec la vitesse. Certains labourent la terre avec des bouts de bois. Quelques marais salins surgissent pour disparaître aussitôt, alors que les collines rouges, oranges, vertes et jaunes prennent forme. Tondues, proprettes, agencées, elles accueillent moins de travailleurs et n'invitent aucune habitation de confection artisanale. Un camion chargé de bonbonnes de gaz patiente, comme les autres véhicules récents, à la barrière du train. Plus loin, un cycliste en tenue de compétition fixe l'horizon, concentré sur son entraînement. Il ne voit pas une ouvrière avec son chapeau rouge en forme d'abat-jour, son dgimi, et son poncho. Il rate le bébé près de sa mère courbée à la tâche dans le champ et il rate les enfants qui se mêlent aux chiens. Il dépasse le coureur qui sprinte à côté de l'âne chargé comme un baudet pour le tirer et l'amener jusqu'en haut de la côte. Tnine de Sidi el Yamani puis Assilah. Et soudain, la mer « bleu roi » avec quelques poussettes et deux dromadaires en vaine recherche de touristes. En gare, deux retraités européens assis tournent le dos à la plage. Un peu avant la gare de Dalia, un artisan s'affaire à souder des tuyaux d'irrigation dans un champ. Il a allumé un petit feu. Bientôt, Tanger se montrera mais avant, des ados se baignent dans une marre dans laquelle débouche des arrivées d'eau. Ça y est : Tanger la blanche est là et ses jeunes écoliers qui longent les rails. Le train n'a, lui, qu'une seule hâte : retourner dans la campagne respirer l'air pur.