Azzedine El Allam, enseignant-chercheur à la faculté des sciences juridiques à Mohammedia, nous livre dans cet entretien son point de vue sur le chantier de la réforme constitutionnelle. Le professeur de sciences politiques estime que déclarer que l'Islam est la religion de l'Etat ne doit pas figurer parmi les constantes, car la relation entre la démocratie et la laïcité est une relation organique. Aussi El Allam considère qu'aujourd'hui, la question économique et sociale se pose avec acuité. Où réside l'utilité de la démocratie et l'organisation d'élections libres si 80% de l'économie marocaine sont détenus par 2 ou 3 entreprises, souligne-t-il. Al-Bayane : Pensez-vous que le discours royal du 9 mars a répondu en grande partie aux attentes de diverses tendances et acteurs appelant à un changement politique ? Azeddine El Allam : En premier lieu, il faut souligner qu'il s'agissait d'abord d'un discours inattendu. Souvent, les discours du roi sont liés à un événement ou une occasion quelconque. Ainsi, le discours royal du 9 mars, s'inscrit dans un contexte clair, même si il a évoqué au début la question du chantier de la régionalisation, il constitue une réponse aux événements qui se déroulent actuellement dans le monde arabe. On peut le considérer comme une sorte d'anticipation pour éviter tout effet pervers. Secundo, le discours contient 7 points de réformes, certains répondent aux diverses attentes formulées il y a des années par les forces politiques et sociales, notamment le renforcement de l'indépendance de la justice, la consécration du rôle du premier ministre… Notons que le discours a évoqué 5 points dont, il est impossible d'envisager une réforme : l'islam, la commanderie des croyants, le régime monarchique, l'intégrité territoriale, et le choix démocratique. Trois points parmi ces derniers ne soulèvent aucun problème, en l'occurrence l'unité nationale, la monarchie, et la démocratie. Mais le problème qui subsiste c'est le fait de persister à considérer encore que l'Islam est la religion d'Etat, ou se tenir à l'institution de la commanderie des croyants. La question que l'Islam est la religion d'Etat ne doit pas, à mon avis, figurer parmi les constantes, car la relation entre la démocratie et la laïcité est une relation organique. Je ne vois pas de raison pour que l'Islam soit une constante de l'Etat L'histoire de la philosophie politique nous enseigne que l'Etat n'a pas de religion. Au Maroc, l'Etat n'est pas encore solide, c'est la raison pour laquelle il se ressource de la religion. Mais, ne pensez-vous pas que le référentiel religieux utilisé par l'Etat constitue un rempart efficace contre l'existence de certains mouvements religieux, notamment Al-Adl Wal-Ihssane ? Notons que la question de la Commanderie des croyants pose problème. Certains considèrent que l'institution de la commanderie constitue un bouclier contre tous ceux qui parlent au nom de la religion. Mais les événements qui ont eu lieu dans le monde arabe nous montre ô combien des régimes comme l'Egypte de Moubarak ou la Tunisie de Ben Ali ont instrumentalisé ce facteur pour légitimer leurs actions. La problématique au Maroc, c'est que l'Etat interdit toute constitution d'un parti politique sur une base religieuse (Code des partis politiques), ou de tenir un discours à connotation religieuse. Alors, si les acteurs politiques sont interdits de parler au nom de la religion, l'Etat, lui aussi, doit procéder de la sorte. A mon avis, la commanderie des croyants est une question qui a une profondeur politique. Peut-on dire que la revendication du principe de la laïcité de l'Etat est légitime ? Il faut dire qu'au Maroc la relation entre la religion et l'Etat est confuse. En fait, le vécu quotidien nous révèle que le comportement politique de l'Etat n'a rien à avoir avec la religion. A titre d'exemples, les actions et décisions des ministères dans leur essence sont des actions temporelles. Même lorsqu'on parle du ministère des Habous et des Affaires islamiques, la gestion de cette dernière est focalisée essentiellement sur des affaires séculières. Qu'en-est-il des autres axes des réformes constitutionnelles ? Je pense que la consécration et la constitutionnalisation de la langue amazighe ne pose pas de problème. Car ce patrimoine est tributaire avant tout de la dynamique sociétale. Quant aux recommandations de l'IER, elles constituent une véritable avancée. S'agissant du choix démocratique, à mon avis le problème ne relève pas des règles juridiques. Aujourd'hui, La question économique et sociale se pose avec acuité. Où réside l'utilité de la démocratie et l'organisation des élections libres, si 80% de l'économie marocaine sont détenus par 2 ou 3 entreprises. Le problème majeur ne se situe pas donc dans la Constitution, mais comment instaurer une démocratie économique basée sur la transparence, la lutte contre la corruption, et mettre en place des règles de concurrence loyale. Certains critiquent la méthodologie suivie pour cette réforme, plaidant ainsi pour une Assemblée constituante, estimez-vous que cette revendication est légitime ? Il ne faut pas se leurrer, l'Assemblée constituante est une revendication qui datait depuis l'indépendance. Mais au Maroc, les forces politiques ne revendiquent pas un tel organe pour la réforme de la Constitution. On a toujours résolu cette problématique en se basant sur un certain consensus entre l'opposition et l'Etat. Précisons que la Commission consultative pour la révision de la constitution a un caractère consultatif et n'engage en rien le pouvoir suprême de l'Etat. En évoquant la question de la consécration du principe de la nomination du premier ministre au sein du parti politique arrivé en tête des élections de la Chambre des représentants, est-ce que cela signifie qu'on se dirige vers une monarchie parlementaire ? Il y a une confusion là-dessus. La monarchie constitutionnelle est une monarchie parlementaire. Dans le cas du système politique marocain, la question qui se pose porte essentiellement sur le statut du roi. Est-ce qu'il gouverne, est ce qu'il constitue le symbole de la nation, est- ce qu'il est le commandeur des croyants du point de vue symbolique ? D'où la question sur le rôle du Premier ministre. Est-ce qu'il aura le droit de limoger un Wali ou un gouverneur de ses fonctions. ? En plus, le champ politique actuel ne permet nullement l'émergence d'un parti politique majoritaire lors des élections. L'histoire électorale nous enseigne que le parti politique qui arrive en tête obtient dans le meilleur des cas 17% ; pour qu'il puisse former d'un gouvernement fort, il faut avoir deux partis forts. S'agissant de la question de la séparation des pouvoirs, avant d'en parler, il faut d'abord les constituer.