Il y a quelques années, au temps où la presse d'opinion avait encore le vent en poupe, le lecteur des journaux, des quotidiens principalement, bénéficiait non seulement d'une information appropriée mais celle-ci était accompagnée d'un éclairage et d'une mise en perspective sous forme d'analyse, d'études, de dossiers thématiques et périodiques. Cela était vrai particulièrement pour les pages culturelles et les pages spécialisées. On pouvait ainsi retrouver sa page de cinéma hebdomadaire, le cahier littéraire et culturel et son supplément TV. Ce dernier comportait non seulement les grilles des programmes mais proposait aussi un discours critique autour des émissions les plus populaires et des films programmés. Sans préjuger sur sa valeur, disons pour faire savant, épistémologique, que cette activité critique créait de l'ambiance, incitait au débat voire à la polémique et permettait au récepteur de se créer sa propre opinion en fonction de ses références et de sa disponibilité à prolonger la recherche. Les suppléments et les pages télé de la presse écrite correspondaient au début de l'ouverture du paysage audiovisuel marocain. A commencer par la dynamique qu'avait connue la RTM au début des années 80 avec le fameux slogan «la télévision bouge» et qui avait vue pour la première et peut-être la seule fois de son histoire un formidable renouvellement dans sa programmation et dans son image d'ensemble. Des années de gloire qui ont vu la politique, la culture, les débats de société, la cinéphilie... retrouver leur droit de cité dans ce qui commençait à prendre l'allure d'une véritable chaîne de service public. Cela va booster le discours critique ou du moins l'ébauche d'une critique télévisuelle. Les émissions cathodiques phares étaient prolongées le lendemain par un débat dans les grands quotidiens de l'époque. Des pages spécialisées vont voir le jour, des suppléments hebdomadaires vont venir étoffer cette démarche. Même après le retour de l'âge de glace sur la première chaîne nationale, la critique va continuer sur son chemin trouvant de la matière dans l'arrivée d'une deuxième chaîne marocaine et surtout avec le ciel qui va faire preuve de générosité extrême en arrosant le paysage d'une multitude de chaîne internationale... Nous sommes alors vers la moitié des années 90. Ce sera le début du reflux. L'émiettement du paysage, la commercialisation croissante de la circulation des images... vont être fatale pour la fonction critique. On entre alors dans l'ère de la prépondérance de la publicité. Avec des conséquences de plusieurs natures y compris dans le langage des médias et surtout dans leur disponibilité à accueillir un discours raisonné, construit et pensé. Un formatage généralisé va marquer la pratique discursive. Avec la prise du pouvoir des experts en communication, et des départements du marketing, le mot d'ordre devient «il faut faire comme à la télé» : faire court, séduire au lieu de convaincre. Le critique cède sa place au chroniqueur voire à l'attaché de presse. On ne parle plus d'œuvre mais de «produit». Le public devient «audience», le spectateur est désormais consacré comme «consommateur». J.L Comolli dans son ouvrage «Voir et Pouvoir» note à propos du reflux voire de l'absence de la critique télévisuelle : «qu'est ce que renoncer à la critique (et lui substituer le commentaire ou la chronique, voire le simple exposé de programme) ? C'est renoncer au désir de remarquer ce qui manque le temps, de recouper ce qui coupe le flux, de souligner ce qui se (nous) sépare du mouvement dominant».