En matière d'habitat social, on n'est pas encore au bout de nos peines. A priori, les choses devaient aller mieux. L'Etat a pris un train de mesures de facilitations et d'encouragements pour faire aboutir un vaste plan de logement social. Au début, c'était un rêve. Aujourd'hui, on s'aperçoit que la situation n'a pas évolué comme on s'y attendait : conflits d'intérêts, faible mobilisation des promoteurs privés, inflation des prix, inadéquation de l'offre à la demande, etc. Pendant ce temps, nos villes, trop lézardées, ont pris un aspect hideux. L'urbanité n'a plus de sens dans nos villes ! Pour remédier à la «crise urbaine» et sociale qui sévit dans nos agglomérations, Nabil Benabdellah, ministre de l'Habitat, de l'Urbanisme et de la Politique de la ville, prépare un traitement dont le succès dépend, à coup sûr, de l'implication de tous les acteurs. Invité du «Club Entreprendre», le ministre a fait un exposé détaillé, mardi soir à Casablanca, sur « la politique de logement sur les cinq prochaines années 2012-2016». Dans sa présentation de l'état des lieux du secteur, à la fois aux plans économique, social et financier, M. Benabdellah, dans une démarche pédagogique, a voulu d'abord sensibiliser l'assistance, composée essentiellement de promoteurs immobiliers, aux enjeux et à la complexité des projets d'urbanisation dont la mise en œuvre, a-t-il confié, nécessite à la fois une évaluation préalable et un processus de décision structuré. Au-delà des chiffres qui dénotent de l'importance du secteur dans l'économie nationale, Nabil Benabdellah a voulu mettre en perspective les objectifs de son département pour donner un surcroît de visibilité aux multiples acteurs de la politique de la ville : construire autant de logements et réhabiliter autant l'habitat ancien, et en même temps. Surtout, il faut éviter les dérives : les ghettos, le tripatouillage, le non respect des cahiers des charges, etc. Le ministre a clairement manifesté sa volonté de lutter contre la corruption et tout faire pour accélérer une montée en puissance du niveau de production de logements là où il le faut tout en tirant les prix vers le bas. M. Benabdellah a particulièrement souligné le fait que le logement est un problème social total. Et le plus dur est à venir: faire face aux nouveaux défis urbains dictés par les contraintes à la fois démographique et écologique (éco-construction, traitement des déchets, approvisionnement en eau potable, économie d'énergie, sécurité, respect de la biodiversité...). Il est vrai, ce problème est fortement ressenti dans les villes nouvelles. Ces pôles urbains construits à la périphérie de nos agglomérations sont tout simplement «une horreur», font remarquer certains intervenants. Un constat partagé. «Il faut repenser nos modèles de villes. Tout projet nouveau doit nécessairement être adossé à des projets de développement urbain», a fait remarquer M. Benabdellah. «Nous devons voir plus loin, nous projeter dans l'avenir et ne plus se contenter de parer au plus pressé» a-t-il indiqué, avant de préciser que les projets d'urbanisation sont si importants qu'ils exigent de nous de « travailler ensemble pour donner plus de cohérence à nos actions ». Alors, que reste-t-il à faire pour secouer les mentalités, réveiller les consciences et booster les plans des communes en matière de construction et d'aménagement. Puisque, aujourd'hui, la décentralisation de la politique de l'habitat est à l'ordre du jour, il n'y a plus de temps à perdre. Arrêtons les gaspillages. Lors de ce débat, assez fourni, contradictoire et sans vernis, le ministre a égrené une série de mesures axées, dirions nous, sur « l'humain et l'urbain » : la rénovation de l'habitat et l'amélioration du cadre de vie des citoyens. Pas chose facile, lorsque l'on sait que le dialogue de toutes les parties prenantes aux intérêts contradictoires parfois, est biaisé. De plus, d'un point de vue juridique, la planification urbaine au Maroc se base sur une loi de 1914. Et comme les plans d'aménagement mettent beaucoup de temps pour voir le jour, la dérogation est devenue la règle. D'où la nécessité de procéder à une refonte totale des textes, y compris ceux relatifs aux statuts des terres (guich, Jmaâ, makhzen, soulaliate, etc.) Tout le monde est d'accord pour dire que le foncier est le carburant de l'immobilier. Sa rareté crée la spéculation et donc des surcoûts. In fine, la VIT (valeur immobilière totale) ne fait qu'augmenter, au détriment du pouvoir d'achat des citoyens. La mobilisation du foncier public passe nécessairement par une mise à plat de tous les textes juridiques. « Il n'y a plus de tabous. Il va falloir dépasser les problèmes d'ordre juridique. Le ministre n'a pas manqué de sortir l'idée de création d'une « Agence foncière » qui aura à s'occuper de la réserve foncière. Ce sera un instrument de lutte contre la spéculation et le délit d'initiés. Cette idée d'agence ne manquerait pas d'attrait pour être reprise, -pourquoi pas- pour le volet rénovation des villes et réhabilitation de l'habitat ancien. Il y a un autre problème qui complique, à son tour, la situation. C'est celui financier. M. Benabdellah souligne avec force la nécessité de mobiliser et diversifier les sources de financement des opérations de lutte contre l'habitat insalubre. Sur ce point, il va falloir faire preuve, dira le ministre, de créativité et d'innovation. Cette option sera dupliquée avec en plus une aide fiscale pour favoriser le logement locatif, un pan d'importance en termes de mobilité des ménages et de modération de l'effet inflationniste des prix. Le ministre attend des investisseurs institutionnels à mettre la main à la pâte au lieu de mettre l'essentiel de leurs placements à la Bourse des valeurs. Indirectement, le ministre cherche à réactiver une disposition légale qui oblige les compagnies d'assurances à investir dans le secteur immobilier. Il ya aussi ce paradoxe : les promoteurs, de l'avis général des intervenants, n'ont pas su tiré profit du « boom de l'immobilier» pour gagner en professionnalisme. La production du secteur table plus sur les importations des intrants. A aujourd'hui, l'industrialisation des techniques de construction fait encore défaut. Le secteur est resté sur les vieilles techniques, alors que le bâtiment est source d'innovation et de création de valeur. La sous-traitance gangrène le secteur. « La R&D demeure le parent pauvre » du secteur. Su ce point, il y a aussi urgence d'entamer la professionnalisation de la filière. Pour une première sortie, le ministre a pu expliquer, écouter et rassurer les promoteurs immobiliers, à l'occasion du débat, qui ne fait que commencer, sur un secteur dont le travail d'accompagnement requiert beaucoup de patience.