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La question du référentiel
Construire une politique de la ville
Publié dans Albayane le 17 - 12 - 2013

L'élaboration d'une politique de la ville suppose, en pré-requis, la construction d'un référentiel et la définition d'une appréhension de l'urbain d'abord et de la ville ensuite.
Cette définition et cette appréhension ne sauraient se réduire à des aspects simplement statistiques, urbanistiques ou fonctionnels. Ils doivent obligatoirement s'appuyer sur des dimensions à la fois sociales et culturelles, voire même civilisationnelles.
Tout d'abord l'Urbain : au-delà la « traditionnelle » définition opposant un rural, dominé par une activité essentiellement agricole, un habitat dont l'architecture et les fonctions sont déterminés par les besoins de cette activité et une densité démographique relativement faible à un urbain dominé par les activités tertiaires et secondaires, un habitat dense et une forte concentration de la population, l'appréhension de l'urbain doit renvoyer à des dimensions fonctionnelles, comportementales, sociales, voire sociétales.
En effet, que signifie aujourd'hui être un urbain au Maroc ? Cette question est loin d'être subsidiaire. Elle détermine fondamentalement la vision que l'on a de soi en tant qu'urbain et donc le niveau d'exigence vis à vis de l'espace dans lequel on évolue, des autres que l'on croise et des autorités et acteurs appelés à produire, gérer et faire évoluer cet espace et à réguler les relations entre les protagonistes du fait urbain et les groupes sociaux qui y vivent, en vivent et le font vivre.
Cette interpellation de l'urbanité doit se faire à deux niveaux : social et spatial
Sur le plan spatial, il s'agit de définir les caractéristiques et les normes génériques de l'espace urbain, non seulement en terme de concentration démographique et économique mais également en terme de services, de voirie, de transport, d'esthétique urbaine, d'organisation, de lisibilité et d'ergonomie de l'espace...
Sur le plan social, la question de l'organisation, des habitus et des comportements sociaux est cruciale. Elle détermine la manière avec laquelle les citadins s'identifient comme tels, s'approprient l'espace urbain dans lequel ils évoluent et qu'ils font évoluer. Elle détermine également le niveau de l'acceptable et de l'exigible en termes, non seulement de qualité et de cadre de vie mais également en terme de mesures éducatives, incitatives et même, si nécessaire, coercitives dans la production, la préservation et la promotion de ce que la communauté aura identifié et posé comme attributs et caractéristiques de l'espace urbain et de l'urbanité.
La finalité
Dès lors que les contours de ce référentiel sociétal urbain se dessinent, fixant ainsi ce qui constituera le socle même d'une appréhension fondamentalement marocaine de la ville et de l'urbanité, la construction d'une politique de la ville pourrait être abordée dans ses aspects génériques.
Une première question s'impose : qu'est ce qu'une politique de la ville ?
Il est plus judicieux d'aborder cette question par un angle normatif et opérationnel que par un angle cognitif et quasi-philosophique au risque de se perdre entre écoles et théories.
Ainsi, et partant du principe qu'une politique de la ville est une politique publique, il conviendrait de s'interroger d'abord sur sa finalité : faire de la ville un espace social et économique inclusif générateur de richesse et de bien-être.
Elle doit également se faire selon trois échelons au moins : supra urbain, urbain et infra-urbain.
Le réseau urbain renvoie non seulement à la répartition et à l'organisation des villes sur le territoire mais également aux relations fonctionnelles et hiérarchiques que les villes d'un même espace (régional, provincial, conurbation ...) doivent entretenir entre elles.
Ainsi, il est primordial d'interpeller la fonction et la vocation d'une ville en amont de toute réflexion sur la politique et la stratégie de son développement. Cette fonction et cette vocation constitueront le pivot central autour duquel s'articulera le développement. Toutes les villes ne peuvent forcément prétendre aux mêmes fonctions sur un territoire et aux mêmes services et aménités et surtout ne pas s'inscrire dans une compétition
Il est en effet nécessaire d'aborder la hiérarchisation du réseau urbain, et donc la différenciation et la complémentarité des fonctions des villes sur un espace dont la pertinence reste à définir.. Cela exclut, bien évidemment les services aux citoyens, tels que l'emploi, l'éducation, les soins et l'administration de proximité, d'égale qualité sur l'ensemble du territoire. Toutefois chaque centre urbain, chaque ville, chaque agglomération gagnerait à renforcer sa vocation, assoir sa spécificité et s'inscrire dans une complémentarité régionale ou nationale avec d'autres villes et en lien avec le territoire qu'elle est sensée structurer et administrer.
Le niveau urbain : la programmation et la gestion de la ville, dès lors que la question de sa vocation est tranchée, doit s'envisager de manière globale, intégrée et cohérente et sur le moyen et le long terme. Le court terme est pour sa part réservé à l'action évidente permettant de résoudre les problèmes urgents qui entravent la bonne marche des fonctions urbaines ou nuisent à la sécurité des biens et des personnes, à la salubrité et à la santé publiques.
En effet, un des principaux maux dont souffre la ville marocaine réside dans le manque voire l'absence d'un zoning clair et réfléchi. Les différentes fonctions s'entremêlent rendant ainsi difficile la définition des vocations des sous ensembles urbains (résidentiel, loisirs, industries, services...) et de la gestion raisonnée des flux, des déplacements urbains et des services publics. Ceci est symptomatique d'une ville subie et non réfléchie. En effet le malthusianisme urbain hérité du protectorat a fait valoir une approche tendant à la maîtrise de la croissance urbaine plus qu'à sa programmation et son anticipation. Les espaces se sont donc urbanisés soit par opportunités foncières (implantations industrielles et économique...) soit par régularisation de situations de fait, notamment dans le cas des quartiers non réglementaires et des bidonvilles. La requalification urbaine a pour sa part obéi, le plus souvent, à des logiques de densification sans pour autant que les problématiques liées au redimensionnement des VRD soit forcément prise en compte.
La ville marocaine est ainsi dominée par trois caractéristiques importantes :
l'urbanisation inachevée et son lot de chantiers ouverts en permanence, de friches urbaines, d'infrastructures sans cesse malmenées et d'incapacité à gérer et anticiper le développement urbain,
Un espace urbain illisible avec une désorganisation spatiale démultipliant à toute heure les déplacements
La fragmentation urbaine qui touche à peu près toutes les dimensions de la ville (spatiales, culturelles, sociales, économiques...) et qui se matérialise notamment dans une ségrégation spatiale basés sur les revenues, un affichage trop important des différences entre classes et groupes sociaux tant dans les conditions de vie que dans l'accès aux services de base. En somme dans une ville à plusieurs vitesses où la cohésion sociale est mise à rude épreuve.
Il est donc primordial que la politique de la ville promeuve une planification plus stratégique de la ville avec une nomenclature des fonctions et des vocations spatiales des sous ensemble urbains. Certains grand projets ou programmes relevant de l'Etat devraient introduire cette approche. A titre d'exemple, le programme villes sans bidonvilles devrait mettre d'avantage d'accent sur une planification à l'échelle urbaine. Cette planification ne devrait pas se limiter à la définition d'un chronogramme (rarement respecté) mais doit tenir compte de la nécessité de diversifier l'offre, tant sur le plan spatial que du logement avec un éclatement favorisant la mixité sociale et le brassage des populations.
La requalification et la rénovation urbaines, nécessaires doivent être envisagées de manière globale et tenir compte de :
L'anticipation de la croissance urbaine avec notamment la constitution de réserves foncières permettant d'accueillir les grands programmes publics et de réguler les dynamiques spéculatives,
La définition et la spécialisation de zones et de sous ensembles urbains en fonction d'activités principales, sans préjudice des services et activités commerciales de proximité.
La polynucléarité pour les grandes villes et les métropoles, tout en veillant à la mise en place d'espaces interstitiels, supports de cohésion urbaine et sociale
Au niveau Infra-urbain : Le quartier comme territoire d'action :
Le choix du quartier comme territoire prioritaire de déclinaison de notre action découle d'une double préoccupation :
Intervenir au plus proche du citoyen :
C'est à cette échelle que s'expriment et se manifestent les besoins vécus ou ressentis comme prioritaires par les populations. En effet et alors même que les solutions et les réponses peuvent se trouver ou se décliner sur d'autres territoires, le quartier, comme « territoire refuge » ou de repli reste l'espace privilégié ou s'expriment, de manière passive ou active les manifestations de sous-intégration sociale, les besoins, voire les demandes sociales. Ainsi, l'inactivité, le chômage, la petite délinquance... s'expriment le plus souvent dans la proximité à travers des manifestations dont il faut chercher les causes véritables et profondes pour y apporter les réponses appropriées. C'est donc à ce niveau que l'action des acteurs a le plus de chance d'être visible, « lisible » et dont appropriable pas les publics cibles. Par appropriation, il ne s'agit pas tant ici de viser l'action du citoyen que de faire en sorte qu'il identifie l'action comme lui étant effectivement destinée et répondant d'abord à sa préoccupation quasi personnelle. C'est un premier pas vers l'intégration sociale dont la réalisation doit-être entendue comme l'aboutissement d'un processus de construction progressive.
Mobiliser et impliquer les acteurs
Les problématiques d'insertion et d'inclusion sociales sont à ce point complexes et multidimensionnelles qu'aucun acteur, quelques fussent ses compétences et la largeur de son champs d'intervention, ne peut y apporter des réponses à lui seul. Il s'agit donc d'une obligation d'intersectorialité, d'intégration et de convergence. Or ces trois dimensions appellent à une capacité de construction collective, elle-même naissant d'une prise de conscience, par chaque acteur, de la limite de ses capacités et de l'interdépendance entre ses enjeux et ses objectifs et ceux des autres. Cette prise de conscience et de là, cette capacité à la construction collective et partagée ne peuvent s'acquérir par de simples formations ou actions de sensibilisation, fussent elles nécessaires. Elles doivent faire l'objet d'un apprentissage collectif basé sur un processus d'accompagnement pratique. Néanmoins, ce processus, pour être impactant et efficient, doit prendre appui sur une mise en pratique favorisant l'adhésion effective de chacun et de tous. Or cette adhésion ne peut s'obtenir qu'à la faveur de trois conditions :
1. Se sentir concerné, trouver son intérêt :
Chaque acteur appelé à participer à un processus d'identification et de planification collective verra sa mobilisation et son implication d'autant plus importantes et réelles qu'il se sentira concerné aussi bien par la thématique que par le territoire d'action. Ceci renvoie à la compétence : « c'est moi le responsable de cette thématique et ce public est ma cible» et à la subsidiarité : « je suis l'acteur le plus proche du terrain et donc je suis le plus concerné par les problèmes ». L'enjeu dès lors est d'amener l'acteur d'une démarche individuelle et sectorielle à une démarche collective. Celle-ci sous-tend de répondre à la double question : « qu'est ce que cette démarche m'apportera dans la résolution des problèmes auxquels je suis confronté ? et en quoi est ce que les autres peuvent m'aider? »
2. Ne pas se sentir menacé :
Cette démarche suppose de la part de l'acteur une ouverture qui ne va pas sans susciter des craintes quant aux interférences et à l'ingérence potentielles des « autres » dans un champ de compétences qu'il considère sien et par rapport auquel il n'est pas disposer à partager ses prérogatives. Dès lors, l'enjeu pour l'animateur du processus réside dans sa capacité à apporter des « garanties » sur le fait que chaque acteur restera maître du degré et de la nature de son implication.
3. Maîtriser son intervention :
En effet, la maîtrise de l'intervention est un facteur essentiel voire déterminant dans l'implication des acteurs. Elle renvoie à quatre dimensions essentielles : le temps, l'espace, la thématique et l'ampleur.
Le temps : « combien de temps ce processus va-t-il m'occuper et au bout de combien de temps vais-je voir les premiers résultats ? »
L'espace : « suis-je dans mon champ territorial de compétence ? ai-je la capacité de couvrir le territoire concerné en termes de connaissance et de déploiement ? »
La thématique : « suis-je concerné par la thématique ? suis-je compétent ? ai-je des problèmes liés à cette problématique à résoudre ? suis-je directement concerné par ces problèmes ? »
L'ampleur : ce processus implique t-il des actions trop importantes pour moi ?
Dès lors, le quartier apparait, non seulement comme l'échelle de proximité pour la déclinaison de l'action de développement, mais également comme une échelle propice à une mobilisation pratique et pragmatique des acteurs. Une action à cet échelle permet en effet à chaque acteur de trouver sa place, de « visibiliser » son action » et de la maîtriser.
Le quartier est donc le territoire d'intervention idoine permettant l'implication et la participation des habitants dans la recherche et la mise en œuvre de solutions aux problèmes qu'ils jugent prioritaires et la mobilisation des acteurs autour de problématiques concrètes déclinées sur des échelles maîtrisables et aisément identifiables, favorisant et facilitant la construction collective.


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