sur la ville de Casablanca (24) Al Bayane : Retournons à notre sujet, celui de Casablanca. Qu'est-ce qui vous inquiète vraiment aujourd'hui par rapport à cette ville ? Rachid Andaloussi : Aujourd ́hui quand j'observe la ville de Casablanca, je me pose une question qui ne cesse de me tarauder sur les tensions entre le centre et la périphérie ou ce que les urbanistes désignent par «nouvelles inégalités socio spatiales» et qui nous éloignent du projet d'une justice urbaine. Casablanca, la ville des 5 millions d'habitants dispose seulement d'un centre ville. Ce qui relève de l'illogique. Je me demande alors : où peut-on trouver le centre-ville de Sidi-Bernoussi, de Sbata ou Hay El Mohammedi ?... La population de ces quartiers, plutôt de ces villes, n'a-t-elle pas le droit de disposer d'un centre-ville ? Pour ce faire, il faut multiplier les centralités. Dans ce sens, la proximité urbaine joue un rôle principal dans ce que les urbanistes désignent par «régénération et recomposition urbaines». C'est le fer de lance de l'urbanisme volontaire. On a parlé en longueur de la ville durant cette série d'entretiens sans véritablement la définir. Quelle représentation faites-vous de cette forme d'organisation humaine? La ville est un corps vivant qu'il faut maintenir et entretenir en permanence. En fait, il existe une définition intéressante de la ville du sociologue Yves Chalas et qui traduit, en effet, ma conviction et ma représentation de la ville. Dans son livre «Villes contemporaines», ce sociologue met l'accent sur ce qu'il désigne par les 7 piliers de la nouvelle urbanité. Il s'agit en l'occurrence de la mobilité, du territoire, de la nature, du polycentrisme, le vide opposé à la densité et enfin le temps continu. En d'autres termes, la ville est un organe qui fonctionne 24 heures sur 24. Je pense qu'en réunissant ces éléments, on peut produire une ville intelligente. La ville c'est aussi un espace d'émancipation. Le sociologue allemand Max Weber, dans le livre «La ville», dit que «l'air de la ville rend libre». Comment peut-on alors créer cette liberté ? La liberté qui est un élément important de la modernité ne peut être procurée que par le renforcement des structures d'accompagnement : théâtres, bibliothèques, espaces dédiés à l'art... Yves Chalas parle dans son livre de ce qu'il qualifie de nouveaux espaces producteurs d'urbanité, à savoir les centres commerciaux, les technopoles, les parcs de loisirs, les centres verts, les centres artistiques et culturels et les complexes sportifs. Voila donc comment on peut développer une ville et concilier les habitants avec la modernité. Ce qui m'écœure aujourd'hui le plus c'est quand certains conseillers de la ville considèrent le projet du théâtre de Casablanca comme un projet qui n'a pas de sens. Je ne sais pas comment un élu local qui est censé normalement être cultivé et avoir une vision avant-gardiste adopte une telle attitude... Cela suscite des questions sur la notion de l'élu : Quels sont les critères requis pour être un élu local ? Quel est son niveau de scolarisation, ses compétences ?...Bref, il y a un problème de gouvernance quelque part. Aussi, on doit se mettre d'accord sur une définition générale de la notion d'intérêt public... D'abord, il faut établir un véritable diagnostic, analyser la situation et mettre à nu les maux dont souffre la ville de Casablanca. Après, il faut élaborer une stratégie, hiérarchiser les priorités et définir les objectifs. Il faut que tous les acteurs de la ville se mettent d'accord sur un consensus ou constituent un large bloc, abstraction faite de la couleur ou de la tendance politique de ces acteurs. Cela ne peut être atteint que par la mobilisation de l'intelligence collective de tous les Casablancais. A votre avis, quelles sont les failles du schéma directeur d'aménagement ? Ceux qui pensent qu'on pourrait régler tous les problèmes par la baguette magique du schéma directeur d'aménagement ont tort. Je pense que la ville de Casablanca doit faire aujourd'hui l'objet d'un large débat public auquel tous les acteurs doivent prendre part afin d'élaborer une stratégie adaptée à l'identité de la ville et aux ambitions de la population. Avant de parler d'un schéma d'aménagement, il faut d'abord qualifier le territoire (assainissement, électricité, eau, infrastructures). Autant je qualifie un territoire, autant je le valorise et je lui procure une visibilité et au final je barre la route à toutes les formes de spéculations. L'empreinte de la forte modernisation anarchique qu'a connue la ville a dépassé tout plan de planification et fait qu'aujourd'hui Casablanca échappe à ses habitants. En d'autres termes, Casablanca n'a pas besoin de plan d'aménagement, mais plutôt de plan de rattrapage pour la sauver. Pour ce faire, il faut avant tout mobiliser toute une équipe multi-disciplinaire comprenant des sociologues, urbanistes, architectes, géographes... afin de mener une réflexion approfondie. Le but escompté est d'anticiper toutes les erreurs et les effets pervers. Il faut donc réfléchir dans un cadre global et non partiel. Cela débouche sur les outils d'aménagement territorial tels que la zone d'aménagement concerté (ZAC). Cet outil a pour objectif de réaliser ou de faire réaliser l'aménagement ou l'équipement des terrains afin de les céder à des utilisateurs publics ou privés dans le dessein de réaliser des équipements ou des constructions à caractère privé ou public et s'inscrivant dans un projet d'ensemble. Les zones d'aménagement concerté (Z.A.C.) sont des zones à l'intérieur desquelles une collectivité publique décide d'intervenir pour réaliser ou faire réaliser l'aménagement et l'équipement des terrains, en vue de les céder ou de les louer à des utilisateurs publics ou privés afin qu'ils réalisent des équipements ou des constructions à caractère public ou privé entrant dans un projet d'ensemble. Aujourd'hui, les Casablancais s'interrogent sur le sort du projet de l'Avenue royale qui traine depuis longtemps. Certains disent que la société en charge du dossier a failli à sa mission, qui est celle d'assainir le foncier. D'autres avancent plusieurs autres facteurs explicatifs. A votre avis, quelle est la solution optimale pour résoudre ce problème ? Sans vouloir entrer dans une polémique inutile, l'ancienne médina a été cannibalisée par une surpopulation à cause de l'exode rural. La seule solution pour concrétiser le projet de l'Avenue royale consiste à recaser les habitants de l'ancienne médina dans la Marine marchande située à proximité du port et qui dispose d'une importante réserve foncière (17 hectares). Il faut donc supprimer le bâtiment de la marine marchande et lancer un grand projet de logement social qui respecte les normes de construction et doter d'une belle architecture, les équipements de proximité. Personnellement, je ne crois pas aux solutions qui préconisent de reloger les gens dans d'autres lieux, loin de leur travail, de leur environnement... Notre devoir consiste à nous engager dans une lutte contre l'abandon et le déracinement de cette population. Il faut reconnaitre par ailleurs, que la mise en place d'une politique de la ville est méritoire et exprime une volonté de la part de l'Etat afin de relever les challenges du 21e siècle. Nos responsables sont ainsi contraints de mobiliser les ressources nécessaires pour satisfaire les demandes d'une large population qui réside dans les banlieues et quartiers marginalisés. Pour ce faire, la politique de la ville doit obéir dans son aspect opérationnel à la trilogie «un projet, un contrat, un territoire». Vous m'avez dit une fois que vous rêvez qu'un jour la ville de Casablanca organise les Jeux olympiques. Ne s'agit-il pas d ́une ambition utopique ? Il faut toujours croire à un lendemain meilleur. Et je rêve qu'un jour ma ville, Casablanca organise les prestigieux Jeux olympiques d'ici 25 ans. En tout cas, c'est le temps idéal pour restructurer complètement une ville. Cela pourrait paraitre un rêve, mais réalisable si on réunit tous les efforts. Mais, avant de présenter notre candidature, le travail doit commencer dès aujourd'hui. Pour ce faire, il faut inscrire la ville dans une logique d'internationalisation et ce, par l'organisation des congrès internationaux pour donner à la ville un rayonnement international. En deuxième lieu, il faut doter la ville d'infrastructures hôtelières nécessaires et des moyens de communication rapides. En plus, il faut veiller à faire de la ville de Casablanca une ville qui respecte les normes haute qualité environnementale (HQE) et s'ouvrir de plus en plus sur son espace naturel qui est la mer. Et le plus important, c'est de faire de Casablanca une ville sans bidonvilles. Le secteur privé ne doit pas être en reste, il doit s'exprimer en faveur de cette dynamique, car l'organisation d'un tel événement n'aura qu'un impact positif sur la ville. Je donne l'exemple de Barcelone qui est devenue après l'organisation des Jeux olympiques, une destination de prédilection pour des millions de touristes ou des hommes d'affaires, sans omettre que la ville a amélioré amplement ses infrastructures. S'agissant d'Atlanta, cette ville américaine a pu occuper le quatrième rang au niveau économique après avoir abrité les jeux olympiques... En fait, le coût global pour organiser les Jeux olympiques avoisine les 10 milliards de dollars. Donc, si on commence maintenant, je pense qu'on pourrait atteindre notre objectif d'ici 25 ou 30 ans, surtout si on table sur des gains importants à l'instar de Londres qui comptait réaliser un bénéfice de 13 milliards de dollars après avoir organisé les Jeux olympiques.