Tapi au fond de son atelier au Marché Central, le pinceau à la main, il manie des idées, des visions et des formes. Esprit et main travaillent de concert. Il réagit à l'idée du moment : peindre en blanc et noir, car «j'y trouve actuellement une paix intérieure, je m'y retrouve», affirme-il. Des toiles de moyen format, carrées ou rectangles, scotchées aux bords faisant face à l'œil scrutateur, émerveillé. Un magma de formes entre ombre et clarté, modelées ou baignant dans le clair-obscur ; ça montre un foisonnement pictural qui remue les tripes, pose question et accroche le regard. C'est un retour vers les origines, vers les profondeurs cachées de l'être comme le montrerait un microscope perfectionné au centième de millimètre. Minuscule et géant à la fois. L'art n'est que cela : atteindre les limites par le plus fin des gestes. Et ce retour n'est qu'aboutissement d'une longue carrière commencée au début des années soixante du siècle dernier. Au départ dans les remparts du port de Casablanca, puis pendant de longues années passées à Clermont-Ferrand, au sein de la société Michelin où il a bossé et a peint des nus pour les employés, à l'Ecole des Beaux-arts de cette même ville où il a fait ses cours de soir, à son retour dans la grande ville marocaine où il s'est réinstallé pour peindre et vivre en solitaire illuminé par la passion du chevalet et de la palette. Car Ahmed Zaghloul n'est pas né de la dernière mode ou suivant un caprice d'amateur. C'est un professionnel de la pure souche, celle qui embrasse l'art de peindre comme équivalent de vie, parallèle d'existence, union sacrée entre le vécu quotidien et l'expression artistique. Il a toujours peint par besoin et par amour. En cela il a tâté de tout, écoles, genres, styles, courants.. Portrait, nu, paysage, classique ou moderne, abstrait ou figuratif.. Il peint tout simplement quand l'idée d'un tableau s'empare de lui, parfois quand la demande est là, mais il peint selon ce qu'il a en lui. La maitrise est là, le sens de l'accomplissement bien fait. Au fil des temps, il en est arrivé à une certaine perfection réjouissante. Il n'est pas question d'expérimenter, mais de chercher, de faire surgir une œuvre qui lui trotte par la tête et rendre compte d'une pulsion personnelle. Celle-ci souvent chargée d'un cumul du fond de l'inconscient. On y trouve parfois ça ou là la femme, l'enfant, un paysage, un fait d'actualité. La femme présente et influente est rendue par fragments, par des « coups d'oeil », par parties suggestives et fort signifiantes. Une jambe perdue, un sein isolé, une chevelure ondoyante ... le tout ondoyé, dilué, baigné dans une infinité de formes très variées, anguleuses ou circulaires. L'enfant lui n'est jamais loin du sein maternel. La nature est le fond qui s'impressionne et lie. En tous c'est le moment et l'inspiration qui dicte l'œuvre en train de se faire. C'est comme si on décelait dans tout tableau un courant donné mais à chaque fois conjugué à une technique personnelle secrète, un abstrait enveloppant qui laisse la porte ouverte à des plages empruntées au figuratif qui s'échappe comme pour appuyer l'ensemble. Telles des éclaircies qui pondèrent l'impact fort de la chaleur, de la vitesse, ou de la lumière. On n'est pas obligé de se faire scolastique, on apprécie tout simplement. Même les œuvres premières, celles de l'apprentissage du métier, vendues aux inconnus ou encore visibles chez des collectionneurs, ne permettent pas de les classer ou de les occulter, mais d'y voir un commencement qui annonce l'actuel. Un actuel riche et foisonnant de signes picturaux propres à l'artiste. Lorsqu'il s'agit de couleur c'est la vivacité qui est exprimée. Un rouge brulant, un mauve accaparant, des multitudes chaudes et entremêlées qui nous rendent pensifs et étonnés. Quand c'est le noir et blanc c'est, comme dit au début de ce papier, une entrée en matière dans le secret de la création lorsqu'elle se met face à un désir impérieux de s'exprimer librement et en dehors de toute contrainte, sauf celle de l'exigence artistique. Les travaux récents sont un réel creuset pour une œuvre en devenir, singulière et rare. Ça fait partie du registre de la création intime qui dialogue avec ses rouages internes hantés par le tumulte du monde comme par les menus détails d'une vie d'un ermite sage et généreux. Du spirituel instinctif.