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Abdeslam Seddiki, économiste et membre du BP du PPS : «L'actuel gouvernement n'a pas droit à l'erreur…»
Publié dans Albayane le 17 - 01 - 2012

Dans l'attente de la déclaration et du programme du gouvernement Benkirane, des principales mesures phares et, éventuellement, des signaux forts, nous entamons des éclairages sur les attentes économiques et sociales du nouveau gouvernement, qui,
rappelons-le, jouit d'une confiance générale, au Maroc comme à l'étranger, notamment en matière de poursuites des réformes et d'accélération de leurs rythmes.
Face aux immenses attentes, la volonté du gouvernement de réussir a été maintes fois déclarée.
Abdeslam Seddiki, membre du Bureau politique du PPS et coordinateur, au nom du Parti, de la rédaction du programme du nouveau gouvernement, jette un faisceau de lumière sur les projets de l'équipe ministérielle, en répondant à nos questions.
«Les Marocains, lassés par des promesses non tenues et des projets mort-nés, attendent du concret», souligne Abdeslam Seddiki.
Dans cet entretien, accordé à AlBayane, il fait remarquer que l'actuel gouvernement, qui dispose de larges prérogatives de par la Constitution et d'un soutien populaire, n'a pas droit à l'erreur. Selon cet expert, «la méthodologie qui sera retenue pour traiter les principales problématiques, y compris celle de l'éducation qui est la « mère des batailles », consisterait à capitaliser et à valoriser les aspects positifs et à corriger les dysfonctionnements».
AlBayane : Les grandes attentes populaires, en matière sociale, sont fort connues. Cela va de l'éducation à la santé, en passant par le logement social et l'emploi décent, notamment pour les jeunes. Croyez-vous que le nouveau gouvernement, qui affirme qu'il fait siennes ces préoccupations, est en mesure de tenir ses promesses ?
Abdeslam Seddiki : Comme vous le dites à juste titre, les secteurs mentionnés son ceux là mêmes qui ont été retenus comme prioritaires par l'actuel gouvernement. Ils ont reçu d'ailleurs, dans le cadre du programme gouvernemental, qui sera présenté au parlement dans les tous prochains jours, un traitement spécial. Le gouvernement est-il en mesure de tenir ses promesses ? Pour l'heure, il n'y a aucune raison de penser le contraire. La volonté existe. Elle est indiscutable. Les moyens nécessaires également. Le gouvernement actuel n'a pas droit à l'erreur car, contrairement aux gouvernements précédents qui se plaignaient de manque de pouvoir et de moyens, ce gouvernement jouit d'atouts réels : il dispose de par la Constitution de larges prérogatives qui lui donnent les moyens d'agir et de prendre des initiatives ; il dispose d'un réel patron qui est un véritable chef d'orchestre ; il dispose enfin d'un soutien populaire indiscutable.
Sachant que ces domaines nécessitent, outre une volonté politique, des budgets colossaux, alors que la Fonction publique est l'objet de contraintes énormes et est mise sous pression par les revendications sectorielles, le pari semble, selon de nombreux observateurs, difficile…La question des moyens est souvent prise comme alibi. Le problème relève plus de la bonne utilisation des moyens existants. Par exemple, l'éducation absorbe plus du quart du budget de l'Etat pour des résultats médiocres. C'est une situation inadmissible ! Il ya manifestement des gaspillages et une mauvaise utilisation des deniers publics. Une évaluation objective de la manière dont sont dépensés les budgets alloués dans le cadre du Plan d'Urgence conduirait à coup sûr à des conclusions intéressantes !
De même, le secteur de la santé qui bénéficie de 6,5% du budget ne consomme qu'un peu plus de la moitié de cette enveloppe. D'ailleurs, c'est une problématique à laquelle notre ami et camarade en charge de ce département va s'atteler à partir de cet exercice budgétaire. La politique poursuivie en matière d'achat de médicaments dans le public nous fait perdre des dizaines de millions de DH.
Nous pouvons dire autant du secteur de l'habitat fortement pénétré par la corruption et l'illégalité. Voilà des chantiers prometteurs sur lesquels le gouvernement Benkirane, et notre parti en particulier, doit se distinguer et faire preuve d'audace.
En définitive, avant de chercher à mobiliser des moyens additionnels, on y arrivera à terme, commençons d'abord par mieux gérer l'existant.
La satisfaction des besoins pressants des Marocaines et des Marocains, dans ces domaines, restera tributaire d'une véritable politique de mise au travail générale et du redressement de la culture ambiante. Quels chantiers, en plus de ceux habituels, le gouvernement envisagerait-t-il de lancer pour conforter ses assises ?
Votre question me parait pertinente. Car dès lors que les Marocains se rendraient compte que « c'est du sérieux » ils commenceraient à croire enfin au changement et à se mobiliser derrière le gouvernement. C'est pour cela, pensons-nous, que les premiers jours et les premiers mois sont déterminants pour la suite de la mandature gouvernementale. Les Marocains, lassés par des promesses non tenues et des projets mort-nés, attendent du concret. Or force est des constater que le gouvernement actuel jouit d'un capital de confiance et d'une adhésion populaire qui nous rappelle, par certains côtés, la confiance dont jouissait le gouvernement d'alternance Youssoufi du moins dans ses premiers mois. Mais il faut faire attention pour ne pas se faire rattraper par l'usure du pouvoir ! D'où l'importance des messages forts qui doivent rassurer et surtout des mesures phares qui renforcent ce capital de confiance et suscitent plus d'enthousiasme populaire. Les gouvernements qui ont su résister à l'usure sont ceux qui restent fidèles à leurs engagements.
L'approche participative et la responsabilité collective de la majorité gouvernementale laisse espérer une solution radicale, du moins à moyen terme, de la problématique de l'éducation. Pensez-vous que cet excellent challenge sera relevé ? Ya-t-il une feuille de route pour le nouvel Exécutif et quelles sont ses chances de réussir ?
Solution radicale, c'est trop dire. Car on ne part jamais du néant fort heureusement. Le bilan des gouvernements précédents n'est pas entièrement négatif. Il est pour consacrer une formule célèbre « globalement positif » ou si l'on veut être sévère « globalement négatif ». La méthodologie qui sera retenue pour traiter les principales problématiques, y compris celle de l'éduction qui est la « mère des batailles », consisterait à capitaliser et à valoriser les aspects positifs et à corriger les dysfonctionnements. Par exemple, dans le domaine de l'éducation, la question centrale consisterait à réhabiliter l'école publique et à valoriser la fonction de l'enseignant. Cette valorisation ne passe pas nécessairement par l'aspect purement matériel. Il s'agira de donner à l'enseignant la place qu'il mérite dans l'ordre social. C'est un travail de fond qui demande persévérance, engagement et remise en cause d'une certaine culture de la misère qui s'est confortablement installée dans nos établissements scolaires et éducatifs.
Pour gagner la bataille de développement, il faut gagner celle de l'éducation. Tel est l'enjeu auquel notre pays est exposé.
S'agissant de la responsabilité de la CGEM, à côté du secteur public, les opérateurs économiques estiment que le nouveau gouvernement a une visibilité et peut aller loin dans les réformes. En contrepartie d'éventuels avantages, que peut offrir le patronat en matière sociale ?
Le patronat peut offrir beaucoup : en se comportant d'abord comme tel ! Ce qui est aujourd'hui demandé au patronat c'est d'être socialement responsable. Gagner de l'argent, c'est légitime, c'est la raison d'être de l'entreprise. Mais l'entrepreneur a aussi la responsabilité de s'acquitter de ses responsabilités sociales : respecter la législation du travail, mieux partager les richesses produites, participer à la solidarité nationale…Le gouvernement a aussi des devoirs à l'égard du patronat et des autres partenaires sociaux : faciliter les procédures, renforcer la transparence en matière fiscale et de marchés publics, donner suffisamment de visibilité ... Le CES est sur le point d'élaborer les fondements de base d'un pacte social et le gouvernement s'est engagé à les mettre en application. Notre pays a besoin plus que jamais, de nouveaux rapports entre les différents partenaires basés sur la responsabilité et la contractualisation en lieu et place de clientélisme et de «ségmentarité»
Le combat de l'économie de rente, de la grande corruption et de la dépravation devra rapporter au pays plus de 20 milliards de dirhams, selon le Parti de la justice et du développement. Croyez-vous qu'il s'agit d'un combat gagnable d'avance, malgré l'esprit démocratique de la nouvelle Constitution ?
En la matière, il s'agit d'appliquer la loi, rien que la loi. Les Marocains doivent être traités sur un pied d'égalité. Ce qui passe immanquablement par la suppression de toutes formes de rente : politique, économique ou autre. Les foyers de la rente sont connus, tout comme les mécanismes de transmission de la corruption. Que la justice sévisse et fasse son travail en toute impartialité et indépendance. Il faut prendre ces gangrènes au sérieux, car elles risquent de faire mal et d'annihiler l'action gouvernementale et tous les efforts qui seront déployés par l'Exécutif. Bien plus, l'actuel gouvernement est attendu de plus près sur cet aspect.
C'est en luttant contre la rente que l'on peut réhabiliter la culture de l'effort et la valeur du travail en tant que source de richesse. La rente biaise la concurrence et pénalise l'effort et le mérite. Substituer les relations de compétence aux relations d'allégeance, tel est l'enjeu. Seule la concurrence, une concurrence saine, serait en mesure de tirer la société vers le haut et mettre fin à la médiocrité ambiante et à la culture de « l'oisiveté ».
La Constitution garantit une justice équitable et indépendante et répond ainsi à une revendication des plus populaires et à des exigences économiques nationales. Quelle serait, selon vous, la démarche du gouvernement ? Evitera-t-on les solutions de replâtrage et les demi-mesures, pour n'appliquer que la loi et rien que la loi ? Le gouvernement Benkirane a-t-il les moyens de sa politique, notamment dans ce domaine ?
Comme je l'ai mentionné précédemment, le gouvernement actuel a tous les moyens qui lui permettraient d'agir et de mettre en œuvre son programme. Et je crois qu'il sera capable d'aller dans ce sens. L'intérêt du pays le dicte et l'exige. On ne peut pas laisser le pays tout entier en péril pour continuer à servir les intérêts d'une minorité. Les attentes sont réelles et la rue continue de « bouillonner » dans plusieurs villes du pays. Il est temps de mettre de l'ordre dans la maison et passer au travail. Seul le travail est libérateur. C'est connu depuis Ibn Khaldoun. Le gouvernement a plusieurs chantiers en perspective et il ne va pas chômer. A commencer par la mise en œuvre de la nouvelle constitution pour la consolidation de l'Etat de droit et de la démocratie.
Bref, le gouvernement doit prendre les problèmes à bras le corps pour vaincre la peur et ouvrir l'espoir. Qu'il me soit permis en guise de conclusion d'emprunter la phrase suivante au candidat socialiste actuel à l'Elysée : «le rôle de la politique, ce n'est pas de faire peur pour ne rien changer, mais c'est de changer pour vaincre la peur».


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