Il y a une très forte prise de position dans "Les Chevaux de Dieu" Quelle a été exactement la genèse du scénario «Les Chevaux de Dieu» ? La genèse, c'était une écriture que j'ai commencée en 2008 en parallèle d'une recherche sur le terrain et qui s'est interrompu quand j'ai découvert le manuscrit de Mahi Binbine (NDLR : Les Etoiles de Sidi Moumen), parce que j'ai entendu dire à un moment qu'il écrivait un livre sur le même sujet, donc, évidemment je lui ai parlé et je lui ai expliqué ma démarche parce que j'étais en plein dedans et je lui ai dit que j'aimerais bien lire son manuscrit, et quand je l'ai lu je me suis rendu compte qu'il y avait toute une histoire humaine et des vrais personnages dans ce livre, et donc j'ai arrêté l'écriture du scénario et à l'époque le scénariste c'était Younes Bouab et puis j'ai commencé l'adaptation du roman de Mahi avec Jamal Belmahi qui est un scénariste marocain qui habite en France. Quels sont les aspects qui vous ont frappés dans le roman de Mahi Binbine ? J'ai trouvé les personnages vraiment bien construits et comme c'était un film dans lequel j'avais envie de passer par l'humain pour raconter cette histoire c'était important pour moi que les personnages existent et soient incarnés.. C'était ça qui m'a tout de suite interpellé dans le roman de Mahi et qui m'a donné envie de travailler dessus. J'ai remarqué que vous alternez dans vos choix de casting d'un film à l'autre entre un casting à majorité de professionnels, puis de non professionnels (Mektoub- Ali Zaoua- Lola- Les Chevaux de Dieu).. Qu'est ce qui détermine chez vous les choix du casting ? Ah oui c'est vrai ça (Sourire) ! Mais entre temps il y a eu « Une minute de Soleil en moins » où il y avait Lubna Azabal qui est une professionnelle en face de Noureddine Orahhou qui est un acteur non professionnel. C'était là un mélange entre les deux en quelque sorte... C'est vraiment à chaque fois en fonction du sujet du film et en fonction surtout du point de vue avec lequel j'ai envie de le raconter que je me décide d'opter pour des acteurs professionnels ou non professionnels. C'est pas plus dur de travailler avec des acteurs non professionnels c'est juste différent, c'est une autre forme de travail et moi j'aime les deux : J'aime diriger des acteurs professionnels et j'aime diriger des acteurs de la vie qui n'ont jamais rien fait, qui sont des bels personnes et qui ont des choses à révéler ou à dire, mais pour les aider à les révéler tels qu'elles sont devant une caméra comme ils sont dans la vie c'est du travail et c'est ça que j'aime. Avec ce film, après deux ans et demi de recherche sur le terrain à Sidi Moumen, dans les quartiers populaires et les bidonvilles, je n'ai pas envisagé d'aller prendre des acteurs professionnels pour jouer les rôles de ces jeunes, j'avais envie de montrer leur part de vérité ; pour chacun d'entre eux. Le scénario a-t-il évolué pendant la période du tournage ? Non c'était un scénario qui était très écrit avant de commencer le tournage. Jamal Belmahi est quelqu'un qui travaille beaucoup dans la recherche, quelqu'un de très précis et méticuleux. On a fait neuf versions de scénario, on n'a pas donc commencé le tournage tout de suite et du coup quand on a commencé on est arrivé avec un scénario qui était vraiment bien travaillé. Il y a eu des petites choses qui ont évidemment évolué pendant le tournage, il y a eu deux fois des interruptions pour différentes raisons et à chaque fois j'ai essayé de relire le scénario et de voir où on en était dans l'histoire et de voir s'il n' y a pas des choses qui ne fonctionnaient pas ou manquaient et il m'est arrivé de demander à Jamal de réécrire deux séquences qui pour moi manquaient dans le film. Il y avait aussi une évolution sur certaines formes du langage, c'est-à-dire qu'on voulait que ce langage évolue d'une façon tel que vous l'avez vu dans le film entre l'enfance, l'adolescence et la période où ils sont embrigadé et on voulait jouer sur différents niveaux de langage parce que c'est extrêmement signifiant mais évidemment la manière dont on avait décrit les choses dans les dialogues en arabe avec Youssef Fadel était différente de ce qu'on envisageait quand ça a été mis en bouche des enfants et on a autorisé quelques petits changements tout en restant dans le cadre qui a été voulu dès le départ. Qu'en est-t-il de la mise en scène? Cette sobriété qui fait que la forme suit toujours le fond, qu'elle n'en fait jamais plus ou moins, était-t-elle dès le début clair dans votre tête ? Je crois que c'est le film que j'ai le plus préparé dans ma tête au niveau de la mise en scène avant de commencer. J'avais rêvé le film, je l'avais imaginé et construit dans ma tête et donc je savais exactement ce que je voulais dans chaque scène, avant de tourner. Je voulais aussi et surtout non seulement rester dans la sobriété parce qu'il me semblait important de donner quelque chose à voir et à comprendre et de ne pas prendre parti en terme de sens mais de ne pas non plus avoir une caméra trop visible parce que quelque part ça est aussi une forme de parti pris. Donc j'avais envie d'une sobriété et d'une élégance en terme de filmage et j'avais aussi au niveau du positionnement envie d'une caméra sur l'épaule pendant quasiment toute la première partie du film, mais je trouvais pas le bon système dans la mesure où je ne voulais pas la steadicam qui est trop figé, je voulais quelque chose de plus chaotique pour filmer l'enfance, et donc j'ai fait fabriquer par les machinistes des systèmes particuliers pour porter la caméra et surtout j'ai demandé au chef opérateur Hicham Alaoui beaucoup d'efforts car il avait quasiment tout le temps la caméra sur l'épaule (...). On a voulu par la suite que la caméra s'installe au fur et à mesure que le film avance mais sans qu'on le sente véritablement parce que dans le propos du film aussi on travaille comme ça en entonnoir. Que répondez-vous à ceux qui vous reprochent justement de n'avoir pas pris position ? Je trouve qu'il y a une très forte prise de position dans le film sauf qu'elle ne s'exprime pas comme on a l'habitude de s'exprimer au Maroc. En tout cas, dans la région du monde où on habite, on attend des choses beaucoup plus évidentes et peu être un peu plus simplistes. Je pense que si ce film a voyagé et voyage toujours autour du monde c'est qu'il arrive sur un sujet extrêmement sensible et parvient à toucher différentes formes de public. Alors je comprends qu'il y ait une partie des critiques qui reproche ça au film mais il y a aussi une autre partie de la critique, des journalistes et du public marocain qui reconnaît ou va reconnaître que dans cette manière d'aborder une problématique comme je l'ai fait il ne s'agit pas de faire preuve d'absence de parti pris mais une façon de rendre humain cette violence, de lui mettre un nom, de lui donner un visage..., c'est quelque chose d'extrêmement nouveau et en même temps extrêmement nécessaire parce qu'on peut continuer à ne pas la voir ou à la juger en lui mettant des étiquettes... et ça c'est un jugement basique qui ne fait pas du tout avancer les choses.