Houbbane/l'amoureux Assis au café à ne rien faire, je tue le temps en jouant «sérieusement» aux mots fléchés dans le but de tester quotidiennement mon savoir et mes connaissances dans la langue de Racine. Cela me permet aussi, moine de rien, de fuir le tintamarre et la cacophonie environnants et les commérages des bonnes gens. Je donne ma langue au chat devant deux définitions énigmatiques. A mes côtés, mon vieil ami râle encore en buvant son café noir, trop amer pour moi. Il grogne toujours. S'il ne trouve aucun sujet de protestation dans les domaines socio-économiques, artistiques, politiques ou sportifs, il critique le temps. Qu'il fasse chaud, qu'il pleuve , qu'il vente ou qu'il ne neige même s'il neige jamais dans notre ville du sud, il n'est jamais content ! Dans notre petit groupe, on l'appelle « Ahmed / le Malentendu». C'est le malentendu en personne, un malentendu vivant! (Oh ! non ! n'attendez surtout pas que je vous révèle mon sobriquet: II est pire que le «Malentendu»)... Faisant semblant de réfléchir pour remplir toute la grille et sauver ma langue du chat qui commence à se lécher les babines impatient de déguster ma langue alléchante, je regarde savamment les passants... Et le voilà qui vient, émergeant de la foule, cette houle humaine, comme une âme en peine. Il vient se mettre au beau milieu du trottoir, regarde fixement les consommateurs sans mot dire. Puis il s'en va lentement sans importuner le monde qui l'entoure et disparaît dans la houle toujours humaine... Cet homme qui vient de passer m'était très familier. C'est lui, il n'y aucun doute! Comment l'oublier? Je voyage aussitôt dans ma tête et je fais un «Flash-back» digne d'un grand film d'auteur : J'étais encore collégien. Les garçons qui étudiaient au collège «Prince Héritier» allaient voir les filles du collège «Lalla Meryem» faire du sport, allez savoir pourquoi! Et là, devant le portail du collège, un jeune homme attendait patiemment la sortie des filles, à 17 heures. Il portait une chemise rouge, un pantalon blanc «Pattes d'éléphant» (en vogue à l'époque), des chaussures noires qui n'avaient jamais eu l'honneur de connaître le cirage. Il se peignait minutieusement les cheveux en leur ajoutant de l'huile d'olive afin qu'ils brillent. Et à la main, il avait toujours des roses rouges. On l'appelait «Houbbane» (l'amoureux). Il avait un sourire stupide, un peu timide. Il marchait et faisait des gestes comme une fille. Quand il riait, il se cachait la bouche avec la paumme de la main. En sortant des classes, les filles l'entouraient, le taquinaient, le chatouillaient, le pinçaient,le caressaient. Elles n'avaient nullement peur de lui. Il était anodin, aussi inoffensif qu'un bébé. Il était leur jouet! Cela ne le dérangeait pas du tout; il riait avec elles, leur offrait ses fleurs, leur disait des mots tendres. Elles lui demandaient toujours : «Où est Aîcha?» Il répondait toujours «Aîcha viendra ; Aîcha ma belle, ma vie, ma raison et ma raison de vivre. Elle viendra!» Pauvre Houbbane! Tout le monde se moquait ouvertement de lui. Même les petits enfants le suivaient dans la rue en criant :«Houbbane, l'amoureux! Houbbane, le fou!» ...On prétend qu'un amour impossible l'avait rendu fou. Y a-t-il encore des amoureux fous au XXIe siècle? Si l'Arabie d'antan avait son «Kaîss» et l'Italie son «Roméo», je peux vous affirmer que «Agadir» à son «Houbbane».. . Dans une autre version, Houbbane serait victime de la sorcellerie infâme des femmes. On raconte qu'on lui a fait ingurgiter un breuvage très spécial qui lui a fait perdre le nord et les autres points cardinaux. Qui croire?... L'essentiel est que Houbbane existe encore. Il déambule dans les rues d'Agadir mais n'attend plus les filles devant le portail du collège. Serait-il guéri de sa maladie d'amour? A-t-il vomi son «Toukal»? Qui sait?... Je te salue Houbbane, au nom de tous les amoureux, au nom de l'Amour. Tu resteras un mystère dans cette cité ingrate qui a vendu l'amour pour acheter l'hypocrisie et la méchanceté... Ah! Si nous étions tous des «Houbbane», Agadir serait.... Pouvez-vous répondre ou préférez-vous donner votre langue au chat?