Le Front Polisario se transforme-t-il graduellement en une organisation terroriste ? La question est d'actualité tant il est vrai que des collusions entre ce mouvement et des groupes radicaux au Sahel, ont été avérées. La question est également à l'ordre du jour de la communauté internationale eu égard aux informations relatées par la presse mondiale quant à l'implication d'éléments armés du Front dans la répression ordonnée par feu le colonel Kadhafi contre les insurgés libyens. La littérature à propos du détournement de l'aide humanitaire et de l'activisme des milices polisariennes en matière de trafic d'armes et de drogues dans la zone sahélo-saharienne, est très abondante. Aujourd'hui, de plus en plus, le débat au sujet de la prolifération des menaces terroristes au Sahel et les craintes exprimées à cet égard sont indissociables du regard suspicieux de la communauté internationale tourné vers ce mouvement séparatiste aux abords de la radicalisation. Certes, le Front Polisario ne figure pas sur les listes des mouvements terroristes, établies, et mises à jour périodiquement, par plusieurs organismes officiels tels le Département d'Etat américain ou encore le Conseil de l'Union européenne. Ceci dit, la question demeure pendante, et sûrement prisonnière de considérations autres qu'objectives, puisque tous les facteurs de risque y sont réunis. On ira même jusqu'à dire que le Polisario est plus terroriste que certaines organisations cataloguées en tant que telles. En 2006, un haut responsable du Front avait explicitement menacé le contingent français de la Mission des Nations Unies pour l'organisation d'un Référendum au Sahara occidental (MINURSO) en guise de représailles contre Paris pour son appui à la proposition marocaine d'autonomie. On ne peut plus clair. Si les gouvernements des grandes puissances mondiales n'ont pas encore exprimé publiquement leurs positions officielles à ce sujet, le débat, dans les sphères de réflexion et dans les médias internationaux, au sujet de la potentialité d'une dérive terroriste du Front, demeure d'actualité. Ceci dit, les déclarations des responsables occidentaux, notamment américains et français très au fait de la situation, quant à leurs craintes vis-à-vis de l'instabilité grandissante au Sahel, se prolifèrent de manière apparente. Ces craintes ont justement pris une envergure considérable avec le rapt devenu systématique d'étrangers circulant dans la « zone grise ». Des actions où la complicité, voire l'implication directe du Polisario, n'a jamais été écartée. Les Etats occidentaux sont également conscients, surtout après la prise de contrôle du nord du Mali par Al-Qaïda aux Pays du Maghreb Islamique (AQMI), du fait que le Sahel est devenu une base arrière pour d'éventuelles actions terroristes dans les pays du Maghreb et de l'Europe. Les états-majors occidentaux sont alertés et sentent que le statu quo sahraoui sert le terrorisme au Sahel. Le Front Polisario se trouve aujourd'hui dans un état de délitement avancé qui en fait une menace sérieuse pour la stabilité régionale. On sait depuis plusieurs années qu'un grand nombre de fondateurs et dirigeants influents ont déserté les rangs du Polisario, soit pour rallier le Maroc, soit pour s'installer en Mauritanie ou en Espagne. On imagine donc aisément que les jeunes sahraouis, qui n'ont pas accumulé de fortunes, suivent un chemin plus radical. Tout en s'autonomisant de l'emprise algérienne, ils tombent sous celle d'un parrainage terroriste ou dans la criminalité organisée. L'implication du Polisario dans le trafic d'armes est devenue une source d'inquiétude principale des pays riverains du Sahel. Après le cessez-le-feu en 1991, une nouvelle culture de trafic s'est installée dans les camps. Les combattants sahraouis participent activement au commerce d'armes, de carburant et d'aliments où se fournissent terroristes, rebelles, contrebandiers, trafiquants de drogue ou simples nomades. Le Polisario puise dans ses stocks d'armes fournis notamment par l'Algérie, mais perçoit également des droits sur le passage des convois d'armes qui traversent le désert en provenance de la Mauritanie ou des zones de conflits armés de la région. Dans ce paysage incertain, le Sahel est devenu une plaque tournante de toutes sortes de commerces criminels : contrebande, traite humaine et trafic d'armes et de drogue. La présence d'un groupe paramilitaire comme le Polisario vient ajouter un risque supplémentaire d'insécurité dans une région qui est la proie de la grande criminalité et du terrorisme. L'implication de certains membres du Polisario dans les trafics est fort probable compte tenu du fait que les bandes de cette organisation parcourent librement des territoires quasi désertiques des confins algéro-mauritaniens. De fait, le Polisario est en perte de vitesse. Il pourrait devenir une sorte d'électron libre échappant à tout contrôle. Son évolution pourrait suivre le processus qui a été celui des Forces Armées Révolutionnaires colombiennes (FARC), lesquelles sont passées du marxisme-léninisme au banditisme et au narco-terrorisme, dans la mesure où tous les trafics liés au grand banditisme sont connectés aux groupes terroristes qui s'agitent au Sahel. Plus inquiétant encore est le fait que tous les trafics liés au grand banditisme sont connectés en particulier à AQMI, ancien Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) algérien, et qui est d'ailleurs tout aussi nébuleux et louche que son prédécesseur. Il est donc inévitable que des connexions s'établissent entre le Polisario et AQMI. Il convient de se souvenir des origines du Polisario et ses liens anciens avec les terroristes de l'organisation « Pays basque et liberté » (ETA) avec en l'occurrence l'attaque d'un bateau espagnol en 1985. Le risque est que le Polisario revienne à son ancienne vocation terroriste. Or, ce risque a trouvé un début de consistance avec l'arrestation en janvier 2004 d'un certain Ould Mohammed Bakhili et de plusieurs autres agents du Polisario qui avaient volé d'énormes quantités d'explosifs et de matériel susceptibles de servir à des attentats. Il est indéniable que le Polisario constitue désormais l'un des principaux facteurs de déstabilisation et d'insécurité dans cette partie de l'Afrique. Le cas d'Omar Sahraoui est aussi particulièrement exemplaire de la dérive du Polisario. Le délitement de cette organisation qui n'a jamais été qu'une marionnette de l'Algérie pour une aventure sans issue, est incontestable. Toute une partie des miliciens les plus activistes et les plus violents qui végètent dans les camps de Tindouf, peuvent être tentés de rejoindre les rangs des groupes terroristes. C'est précisément ce qu'a fait Omar Sahraoui qui a reconnu devant le tribunal de Nouakchott, être un membre du Polisario et avoir servi de guide aux ravisseurs des otages européens. Les camps de Tindouf pourraient devenir le vivier des organisations terroristes qui sévissent dans la région. Ce risque peut d'autant moins être écarté qu'en refusant de négocier raisonnablement, le Polisario s'enferme dans une marginalisation qui le conduira inexorablement à des impasses qui ne feront qu'accentuer les tentations de fuite en avant. * Zoom sur le CEI *Créé en 2004 à Rabat, le Centre d'Etudes Internationales (CEI) est un groupe de réflexion indépendant, intervenant dans les thématiques nationales fondamentales, à l'instar de celle afférente au conflit du Sahara occidental marocain. Outre ses revues libellées, « Etudes Stratégiques sur le Sahara » et « La Lettre du Sud Marocain », le CEI initie et coordonne régulièrement des ouvrages collectifs portant sur ses domaines de prédilection. Sous sa direction ont donc été publiés, auprès des éditions Karthala, « Une décennie de réformes au Maroc (1999-2009) » (décembre 2009), « Maroc-Algérie : Analyses croisées d'un voisinage hostile » (janvier 2011) et « Le différend saharien devant l'Organisation des Nations Unies » (septembre 2011). En avril 2012, le CEI a rendu public un nouveau collectif titré, « La Constitution marocaine de 2011 – Analyses et commentaires ». Edité chez la LGDJ, ce livre associe d'éminents juristes marocains et étrangers à l'examen de la nouvelle Charte fondamentale du royaume.